La princesse aux oiseaux
par
Mathilde ALANIC
... Il était une fois une princesse (les princesses seules ont des malheurs dignes d’être racontés).
Elle avait quinze ans, elle était jolie comme aucune princesse de conte de fées le fut jamais, et, à cette époque, était heureuse comme une simple bergère : car Bianca-Rosa (ainsi l’appelait-on pour son teint blanc et rose) devait épouser le prince Marco, son cousin, qu’elle aimait depuis l’enfance et, si savant que vous soyez, avez-vous découvert meilleure chose que l’amour ?
Ils s’adoraient : leurs fiançailles étaient célébrées ; le jeune prince avait délaissé chevauchées, chasses et tournois pour sa douce Bianca-Rosa.
Ils erraient tout le long du jour dans les grands bois ombreux qui entouraient le palais, et le soir, au clair de lune, ils y retournaient encore pour écouter le rossignol. Ce dernier seul et aussi les chardonnerets et les mésanges eussent pu dire combien de baisers Marco avait volés à Bianca-Rosa derrière les églantiers ; mais le pivert, dont le rire moqueur avait plus d’une fois effaré les deux jouvenceaux, eût rapporté avec quel empressement louable la jeune fille rendait à son ami les baisers dérobés.
Seulement il est probable qu’à ces racontars d’oiseaux, le bon père de Bianca-Rosa eût souri dans sa barbe en se contentant de répondre : « Bah ! c’est leur meilleur temps qui passe ! Et puis, ne seront-ils pas mariés dans un mois ! »
Malheureusement ce bon roi indulgent aux amoureux, était un politique terriblement brouillon. Étourdi comme un linot, il chercha noise à un puissant voisin, qui, pour le punir de son insolence, envahit son territoire, tailla son armée en pièces et mit tout à feu et à sac. – Le vainqueur entra tout botté et éperonné dans le palais de son adversaire et lui dicta les conditions les plus dures.
– Et pour être assuré, conclut-il, que tu ne recommenceras pas tes agressions, j’emmène ta fille aînée comme otage. Son bonheur et sa vie même dépendront de ta soumission à venir... Le pauvre roi, qui avait tremblé pour sa précieuse existence, accueillit avec soulagement cet arrêt qui sacrifiait seulement sa fille ; il n’eût d’ailleurs rien osé objecter : de tous temps, les pauvres petites princesses ont été immolées à la raison d’État.
Il se rendit ensuite à la chambre de la jeune fille pour lui transmettre la décision du roi Kandor ; mais, dès les premiers mots, la malheureuse Bianca-Rosa tomba défaillante dans les bras de ses chambrières. On profita de son évanouissement pour la transporter hors de l’enceinte du palais, dans la litière qui devait l’emmener à la suite du vainqueur.
Le prince Marco avait été renfermé sous double tour dans sa chambre et ne connut la vérité que lorsque la princesse était déjà sortie du royaume. Il jeta feu et flammes, courut à ses armes pour aller délivrer sa fiancée ; mais on lui fit prendre patience en lui démontrant que toute tentative ne pouvait qu’être funeste à la princesse : le ressentiment de Kandor n’était pas calmé et s’exercerait par de terribles représailles.
... Bianca-Rosa revint à elle pour s’éveiller à la douleur et verser des larmes sans fin. Pourtant le roi Kandor, touché de la grâce et du désespoir de sa jeune prisonnière, mais trop autoritaire pour revenir sur sa décision, la traita généreusement et fit tous ses efforts pour adoucir la tristesse de la pauvre exilée. Il lui donna de riches parures, la combla de friandises. Il lui assigna pour demeure une tourelle blanche entourée des plus beaux jardins qu’on pût voir, et lui choisit des suivantes intelligentes, adroites brodeuses, habiles musiciennes, dont le babil et les chants devaient la distraire.
Mais elle fuyait au contraire ces filles qui l’importunaient par leur bavardage et leur préférait la société des oiseaux dont le domaine était peuplé.
Une fée, sans doute, lui avait donné, à sa naissance, le pouvoir singulier de les attirer et de comprendre leur langage ; elle trouvait aujourd’hui dans ce don la seule consolation qu’elle voulût accepter.
Bianca-Rosa se promenait donc mélancoliquement dans ses jardins, entourée d’un essaim d’oiselets qui voletaient autour d’elle, se posaient sur ses épaules, sur son voile et venaient becqueter ses lèvres avec des battements d’ailes et des cris joyeux.
Mais, hélas ! à qui goûta les délices enivrantes de l’amour, tous les passereaux du monde ne pourraient faire oublier le bonheur perdu ! Et Bianca-Rosa, à chaque minute du jour et de la nuit, pensait à son bien-aimé Marco.
Elle était si malheureuse d’être séparée de lui qu’il lui semblait impossible qu’une telle situation se prolongeât ; elle conservait le ferme espoir que Marco tenterait tout pour la délivrer ou tout au moins pour l’entrevoir.
Elle le cherchait dans les caravanes de marchands qui venaient lui apporter des étoffes ou des bijoux, supposant qu’il avait pu prendre ce déguisement pour parvenir jusqu’à elle ; mais une demi-année s’était écoulée.
Alors, lasse d’attendre, le cœur saisi d’une douleur sans pareille, elle s’approcha du grand lac avec le désir d’y dormir pour toujours.
À cet instant, le bruit d’un vol pesant lui fit tourner la tête ; elle aperçut alors avec surprise et émotion une cigogne du palais de son père, reconnaissable à son petit collier.
« Bianca-Rosa, lui dit l’oiseau, tu arrachas un jour de mon aile une flèche qu’un méchant enfant m’avait lancée ; un autre jour, tu sauvas ma couvée en tuant un épervier qui menaçait mes petits ; je suis toute à toi. Si tu veux me confier un message pour celui que tu aimes, je le lui donnerai en quelque lieu qu’il soit et je te rapporterai sa réponse. »
– Ma cigogne, dit la princesse, tout éperdue de joie devant ce secours miraculeux, je te devrai à mon tour plus que la vie si tu m’apprends que mon cher Marco m’aime toujours ; vole vers lui au plus vite et reviens promptement me dire si je dois espérer ou mourir...
Sur une mince bande de soie blanche, elle écrivit :
« Mon cher Marco pense-t-il encore à celle qui aime, souffre et attend ? » Puis elle en fit un rouleau qu’elle entoura d’un de ses longs cheveux dorés, et le suspendit au cou de l’oiseau qu’elle embrassa.
– Hélas ! soupira-t-elle, que n’ai-je tes ailes pour voler vers la chère maison qui renferme tout ce que j’aime ! »
... Je dois l’avouer : Marco dormait avec béatitude quand la cigogne pénétra dans la chambre par la fenêtre ouverte... Il avait vingt ans et il était homme : on pourrait peut-être déduire de là qu’il devait posséder tout naturellement un soupçon d’insouciance et une petite dose d’égoïsme.
Il aimait pourtant sincèrement sa belle princesse. Il eût depuis longtemps tenté de la délivrer, mais il craignait que Kandor, à la première nouvelle d’une agression, n’exécutât ses menaces contre sa prisonnière.
D’autre part, le roi Bruno vieillissait ; la prudence avait chez lui remplacé le courage. La seule idée de s’attaquer à son puissant et terrible voisin le faisait trembler d’effroi.
– Sur les ailes du temps, la tristesse s’en vole – a dit le poète. La tendresse de ses autres filles lui faisait oublier l’absente ; peu à peu, le vide se comblait ; cela est triste à dire ; mais la vieillesse devient facilement égoïste.
Au fond du cœur, Marco gardait le cher souvenir de sa bien-aimée Bianca-Rosa, et avec la ferme et aveugle confiance de la jeunesse, il attendait quelque circonstance imprévue qui changerait du jour au lendemain la face des choses.
Quels furent son étonnement et son bonheur en recevant le mystérieux billet par une voie si extraordinaire ! Il fit les mille folies ordinaires aux amoureux et se montra aussi stupide qu’aucun homme le fut jamais en pareil cas ; c’est-à-dire qu’il embrassa mille fois la lettre et le fil d’or qui la scellait et les plaça sur son cœur.
Puis il écrivit une longue épître remplie des choses les plus passionnées, des serments les plus ardents, et quand Bianca-Rosa, palpitante à la fois de crainte et d’espérance, lut cette lettre, je dois dire qu’elle se livra aux mêmes extravagances et qu’elle faillit effacer tout le billet par ses baisers et par ses larmes...
Ah ! ce ne fut pas une sinécure que le service de courrier entre ces deux amants !... La pauvre cigogne fut mise à une rude épreuve. Elle avait beau faire diligence, voler à tire d’aile sans prendre le moindre repos, sans s’accorder le temps de faire la plus petite causette avec les commères cigognes rencontrées en route, à son arrivée, elle était toujours gourmandée doucement pour sa lenteur. C’était pure injustice. On lui avait à peine confié une lettre, qu’on eût voulu posséder la réponse ! Les amoureux ne sont guère patients, mais le bon oiseau redoublait de zèle pour plaire à la petite princesse en exil.
Ce fut un vrai désespoir, de part et d’autre, quand l’hiver arriva : la cigogne devait émigrer vers les pays du soleil avec ses compagnes. Elle ne partit qu’à l’arrière-garde, parmi les traînards de l’armée emplumée, et promit de revenir aux premiers beaux jours.
Les mois d’hiver parurent éternels à la pauvre prisonnière. Oh ! l’attente qui use et consume la vie, qui en dépeindra jamais le mortel supplice !
La princesse, assise au coin de la grande cheminée dans son fauteuil armorié, rêvait tristement, indifférente aux causeries de ses femmes qui devisaient en brodant. Elle songeait aux fêtes données à la cour de son père. On ne devait plus guère, hélas ! penser à l’absente ! Ses sœurs devaient être grandes et jolies maintenant. Elles trouvaient au bal les succès qui étaient les siens autrefois, et Marco leur servait de cavalier servant en bon et féal cousin !...
À cette idée, torturée par le doute, elle se tordait les mains en jetant de tels soupirs, que toutes les chambrières se taisaient, effarées !...
La cigogne revint aux premières violettes et reprit fidèlement son service... Et les années s’écoulèrent sans changer rien au sort de la petite princesse. Kandor ne trouvait dans ses nombreux combats ni la mort, ni la défaite : Bruno tournait au roi d’opérette bouffe, et Marco et Bianca-Rosa s’aimaient toujours.
Le quatrième été touchait à sa fin.
Pour la dernière fois avant d’émigrer, l’oiseau apportait une lettre de Marco à Bianca-Rosa. Ce n’était qu’un billet écrit en toute bâte, dans le tumulte d’un armement ; une révolte avait éclaté dans le Sud, et le jeune prince était placé à la tête de l’armée qui devait pacifier le pays et châtier les rebelles. Il était ravi d’exercer ses talents militaires et de se livrer à son goût pour la guerre ; il suppliait vivement son amie de rester calme et de ne pas se tourmenter.
– Le puis-je ? s’écria Bianca-Rosa au désespoir ; rester six mois dans cette affreuse incertitude, oh ! j’en mourrai ! Cher, cher oiseau qui m’as donné tant de preuves de ton dévouement, reste près de moi pour me donner des nouvelles de mon Marco...
– C’est impossible, dit la cigogne, en hochant gravement sa tête de docteur ; les hommes peuvent se révolter contre les lois établies, mais non pas les oiseaux.
Mais je comprends ton inquiétude, et je veux essayer encore de servir ma chère maîtresse. Je connais sur les bords du Rhin un vieux docteur qui a vécu longtemps en Égypte, et qui possède des secrets merveilleux. Je dois justement aller le voir avant de partir avec mes sœurs, car il me charge toujours de ses messages pour son vieil ami, le derviche chez lequel j’habite pendant l’hiver. Je vais lui demander s’il peut quelque chose pour toi.
... Le soir du troisième jour, la princesse vit enfin apparaître l’oiseau qu’elle guettait avec impatience. La cigogne fendait l’air d’un vol majestueux ; elle se percha sur la balustrade de pierre ajourée qui entourait la plate-forme de la tourelle où, jour et nuit, veillait l’exilée.
– Je t’apporte trois plumes d’ibis enchantées, dit l’oiseau dévoué ; quand tu voudras savoir ce qui se passe au loin, tu en jetteras une au vent en disant : « Transporte-moi où je désire aller ! » Et immédiatement ton souhait sera exaucé !... Tu pourras voir et toucher le prince Marco sans qu’il soupçonne ta présence, car tu seras invisible à tous les yeux.
– Donne, donne vite ! fit impétueusement Bianca-Rosa, hors d’elle-même à cet espoir imprévu.
– Mais, reprit tristement la cigogne, ce don comporte deux conditions : le miracle durera vingt minutes seulement et pour chaque plume envolée, dix années de ta vie seront retranchées. Ce n’est pas là jeu d’enfant : réfléchis mûrement...
– Et qu’importe de mourir ! s’écria la princesse. La mort n’est-elle pas préférable à l’existence que je subis loin de celui que j’aime
Et résolument, sans vouloir entendre davantage les sages avis de la cigogne, elle lança en l’air l’une des plumes roses en prononçant la formule magique.
Aussitôt elle éprouva un vertige violent ; tout disparut à ses yeux et elle se sentit emportée dans un tourbillon d’une vitesse vertigineuse.
Bientôt ces impressions se dissipèrent ; elle reprit pied sur la terre ferme et les objets environnants lui apparurent aussi nettement que le permettait une nuit sans lune.
Elle était au milieu d’un camp. À perte de vue s’alignaient les tentes, et les faisceaux d’armes brillaient près des feux du bivouac autour desquels les soldats dormaient, roulés dans leurs manteaux. Un pavillon plus élevé, plus vaste que les autres, orné d’étendards et gardé par, deux sentinelles, devait servir d’abri au jeune général.
L’approche d’un bonheur très grand et très désire nous cause presque une impression d’angoisse : Bianca-Rosa hésita sur le seuil, tremblante d’une émotion indicible. Une petite table au chevet du lit, encombrée de papiers et d’armes, supportait une veilleuse qui éclairait faiblement la scène. Il était là devant elle, couché tout vêtu sur son lit de camp. Elle s’inclina au-dessus du cher dormeur pour mieux distinguer les traits que depuis si longtemps elle ne voyait plus qu’en rêve : il dormait tranquille comme un enfant, insouciant de la bataille du lendemain ; elle se pencha un peu plus... encore un peu... Et soudain Marco s’éveilla, ayant cru sentir sur son front un baiser et une larme...
– Hélas ! j’ai rêvé ! murmura-t-il tristement, chère Bianca-Rosa.
Et se voyant seul dans sa tente, il soupira deux ou trois fois et se rendormit pour reprendre le rêve interrompu.
Encore le tourbillon et les ténèbres ; le prodige avait pris fin : Bianca-Rosa se retrouva seule dans sa chambre ; il était déjà passé, cet instant de bonheur si ardemment désiré et pour lequel elle venait de sacrifier dix années de sa vie ! Mais elle l’avait revu et il l’aimait toujours ! Et elle resta pendant quelques jours ravie en ces merveilleux souvenirs.
Pourtant ses inquiétudes la reprirent bientôt ! Comme elle enviait ses sœurs qui chaque jour pouvaient apprendre des nouvelles de l’armée par les messagers qui venaient au palais ! La guerre a des hasards terribles ; Marco était si fougueux, si ardent, si téméraire, si prêt à courir au danger ! Les idées les plus sombres assaillaient la pauvre petite princesse.
Elle s’éveillait en sursaut, poursuivie par des cauchemars affreux qui lui montraient Marco ensanglanté. L’absence de nouvelles la rendait folle ; aussi, après une semaine d’anxiété énervante, elle se décida à jeter au vent la seconde plume d’ibis.
Elle se trouva instantanément au milieu d’une scène de carnage et d’un tumulte terrible de détonations, d’armes choquées avec des cris de fureur et de souffrance : toute la désolation de la guerre. Au milieu d’un monceau d’hommes et de cadavres, elle aperçut un groupe de combattants acharnés, dominés par la tête fière et la taille imposante de Marco. L’armée royale arrivait à la rescousse pour délivrer son général enveloppé par les rebelles ; ceux-ci firent un dernier effort et se ruèrent sur le prince.
Bianca-Rosa affolée s’élança au-devant de lui pour le couvrir de son corps comme d’un invisible bouclier et tomba aussitôt, l’épaule percée du coup de lance qui devait atteindre Marco en plein cœur.
Une longue nuit succéda pour elle à cette abominable vision. Enfin, un jour, elle put percevoir ce qui l’entourait. Elle se réveillait dans la chambre de sa tour. Ses chambrières lui racontèrent que, une semaine auparavant, elles l’avaient trouvée dans son lit tout ensanglantée. On avait supposé qu’un chasseur maladroit l’avait atteinte d’un javelot pendant qu’elle se promenait dans le parc au milieu de ses oiseaux, mais comment avait-elle pu regagner son lit ? Le roi Kandor avait daigné faire prendre de ses nouvelles et... patati, patata ! Quelle chose agile qu’une langue de femme !
Le fil des souvenirs se renouait et soudain la princesse pensa au danger que courait Marco quand elle avait perdu connaissance ; un frisson glacial parcourut ses membres et elle essaya de se lever pour atteindre le coffret où était cachée la dernière plume d’ibis : ses chambrières s’y opposèrent.
– Je veux savoir ! Je veux savoir ! s’écria-t-elle en se débattant avec une énergie désespérée.
– Las ! Seigneur ! firent-elles tout apitoyées. Le délire la reprend.
Et elles la replacèrent de force sur son lit.
Pendant de longs mois elles l’obsédèrent de leurs soins tyranniques. Elles eurent enfin raison des révoltes de la pauvre Bianca-Rosa et celle-ci se résigna à obéir passivement aux prescriptions de ces docteurs en jupons.
Les violettes commençaient à montrer leurs petits capulets sombres entre leurs feuilles vertes, quand la princesse put enfin se débarrasser de l’insupportable surveillance de ses femmes trop zélées.
Elle profita de sa première minute de liberté pour courir au coffret.
Revoir son bien-aimé, apprendre sa destinée, c’était son unique préoccupation depuis son retour à la vie.
Elle jeta au vent, sans hésiter, la plume qui emportait encore dix ans de sa vie. Le miracle s’opéra connue de coutume.
À son grand étonnement, elle se trouva devant le palais de son père, au milieu d’une foule endimanchée ; les cloches sonnaient un joyeux carillon et elle distingua même le tintement de la cloche d’or du palais qu’on ébranlait seulement dans les occasions extraordinaires.
– Pauvre Bianca-Rosa, dit une vieille mendiante s’adressant à un artisan, elle est bien oubliée !
– Bah ! que voulez-vous, voisine, répondit l’homme, le prince ne pouvait pas pleurer toujours. Et puis, notre roi abdique en sa faveur à la condition qu’il épouse sa fille cadette ! Faut se faire une raison !
– Vive notre Roi ! Vive notre gracieuse reine !
... Et alors, Bianca-Rosa, terrassée par une douleur surhumaine, comprit, avec une joie navrante, qu’elle allait mourir. La cigogne vint soudain s’abattre près d’elle, hérissant ses plumes avec fureur :
– J’arrive à l’instant ! Ô ma bien-aimée maîtresse, devais-je vous retrouver ainsi ! Le traître ! Je vais les aveugler tous deux. Je vengerai d’une façon éclatante l’outrage fait à ma chère princesse.
Mais Bianca-Rosa se souleva dans au dernier effort :
– Arrête, cher oiseau, pas de vengeance, jamais ! Et que les nids s’accrochent plus nombreux aux toitures afin de porter bonheur à ceux que j’aime !
Et elle acheva doucement d’expirer.
Mais les esprits de lumière descendirent, magnifiques et légers, dans un immense rayon, pour conduire, au séjour de l’Éternel Amour, l’âme délivrée !
Mathilde ALANIC, Contes d’entre-ciel-et-terre, 1945.