Cantique de l’enfant prodigue
Chant traditionnel
Je suis enfin résolu
D’être en mes mœurs absolu ;
Donnez-moi vite, mon père,
Ce qui revient à ma part,
Vous avez mon autre frère,
Consentez à mon départ.
Le père à son fils :
Pourquoi veux-tu mon enfant,
Faire ce que Dieu défend ?
Veux-tu désoler mon âme,
Nos parents et nos amis ?
Je serais digne de blâme
Si je te l’avais permis.
L’enfant prodigue :
Je veux en dépit de tous
M’éloigner d’auprès de vous ;
En vain vous faites la guerre
À ma propre volonté,
Je ne crains ni ciel ni terre,
Je veux vivre en liberté.
Le père à son fils :
Mais, hélas ! quelle raison
Te fait quitter la maison ?
Ne te suis-je pas bon père,
De quoi te plains-tu de moi,
Et qu’est-ce que je puis faire,
Que je ne fasse pour toi ?
L’enfant prodigue :
Vous me traitez en barbet
Et je veux vivre en cadet ;
Vous condamnez à toute heure
Le moindre dérèglement ;
Je veux changer de demeure
Sans retarder un moment.
Le père à son fils :
Adieu donc, cœur obstiné,
Adieu, pauvre infortuné,
Ton égarement me tue,
J’en suis accablé d’ennuis ;
Je vois ton âme perdue,
Je ne sais plus où j’en suis.
L’enfant prodigue :
Venez à moi libertins,
Prenez part à mes festins,
Venez à moi, chères lubriques,
Consumons nos courts moments
Dans les infâmes pratiques
Des plus noirs débordements.
Pensons à boire et manger
Dans ce pays étranger ;
Je n’ai plus peur d’un père
Qui me suivait pas à pas ;
Songeons à nous satisfaire
Dans les jeux et les ébats.
Contentons tous nos désirs,
En nageant dans les plaisirs ;
Et vivons de cette sorte ;
Tant que l’argent durera ;
Nous irons de porte en porte
Sitôt qu’il sous manquera.
RÉFLEXION
Pécheur, remarque en ce lieu
Le tort que tu fais à Dieu
Tu t’enfuis de sa présence ;
Afin de boire à longs traits
Le vin de ton offense
En dépit de ses attraits.
Tu crois ton juge bien loin,
Et tu l’as pour ton témoin ;
Sa justice met en nombre
Toutes tes méchancetés ;
Malgré la nuit la plus sombre,
Il voit tes iniquités.
L’enfant prodigue pénitent :
Ô le triste changement,
Après un train si charmant !
Je ne vois plus à ma suite
Ceux qui me faisaient la cour
Tout le monde a pris la fuite,
Pas un n’use de retour.
Je me trouve sans appui,
Dans la honte et dans l’ennui ;
Ma conduite toute impure
M’a mis au rang des pourceaux ;
Il est juste que j’endure
Autour de ces animaux.
Je rougis de mes forfaits
Et des crimes que j’ai faits ;
Je fonds en pleurs, je soupire ;
Je sens de cuisants remords ;
Je sens un cruel martyre
De cœur, d’esprit et de corps.
Je meurs même ici de faim,
Faute d’un morceau de pain,
Tandis que chez mon bon père,
Où jamais rien ne défaut,
Le plus chétif mercenaire,
En a plus qu’il ne lui faut.
Je voudrais bien me nourrir
Des fruits qu’on laisse pourrir ;
Je voudrais bien sous ce chêne
Les restes de mes pourceaux ;
Mais j’ai mérité la peine
Qu’attirent les bons morceaux.
Je veux pourtant me lever,
Pour penser à me sauver,
Il est temps que je détourne
Mon cœur de l’iniquité,
Et qu’enfin je m’en retourne
Vers celui que j’ai quitté.
RÉFLEXION
Voici, pécheur, les effets,
De ses terribles forfaits ;
Tu n’as plus rien dans le monde,
Le péché t’a tout ôté,
Et ton âme n’est féconde
Qu’en misère et pauvreté.
L’enfant prodigue de retour au logis de son père :
Voici, cher père, à genoux,
Un fils indigne de vous
Si vous daignez me permettre
D’entrer dans votre palais
Ce me sera trop que d’être
Au nombre de vos valets.
J’ai péché contre les cieux
Je n’ose y lever les yeux ;
J’ai péché contre vous-même,
Je n’ose vous regarder,
Ma douleur est extrême,
Je suis prêt à m’amender.
Je me soumets de bon cœur
À votre juste rigueur,
Je ne veux plus vous déplaire
Oubliez ce que je fis ;
Vous êtes encor le père
De ce misérable fils.
Le père de l’enfant prodigue :
Cher enfant, embrasse-moi,
Je brûle d’amour pour toi ;
Mes entrailles sont émues
Et de joie et de pitié ;
Par ton retour tu remues
Tout ce que j’ai d’amitié.
Laquais, cherchez des souliers,
Et mettez-les à ses pieds ;
Cherchez dans ma garde-robe
Une bague pour son doigt...
Avec sa première robe,
Puisqu’il revient comme il doit.
Qu’on prépare le veau gras,
J’ai mon fils entre mes bras ;
Il avait perdu la vie,
Mais il est ressuscité,
Chers amis, je vous convie
À cette solennité.
RÉFLEXION
C’est ainsi que le Seigneur
Reçoit le pauvre pécheur ;
Il l’embrasse, il le console,
Il l’aime plus que jamais,
Et d’une simple parole
Il remplit tous ses souhaits.
ANONYME.