La perle

 

 

Je vis par delà ce fleuve charmant

Un mont de cristal brillant de lumière ;

Maint rayon éclatant en jaillissait.

À son pied était assise une enfant,

Une fillette, sage et douce à voir ;

Elle était vêtue d’un blanc lumineux ;

Je la connus, je l’avais déjà vue.

            Tel l’or étincelant ouvré par l’homme,

            Brillait cet être radieux au bord ;

            Longtemps je la regardai dans ce lieu,

            Et mieux, et mieux je la reconnaissais.

 

Et plus j’interrogeais son beau visage,

Ayant observé sa gente personne,

Plus en moi se glissait bonheur allègre

Dont j’avais jusque-là bien peu coutume.

Le désir de l’appeler me poignait,

Mais d’un doute j’avais le cœur serré ;

Je la voyais en lieu si surprenant,

Que ce coup avait de quoi m’émouvoir.

            Alors elle tourna son front charmant,

            Son visage aussi blanc qu’ivoire lisse,

            Et jeta mon cœur en un désarroi

            Qui d’instant en instant ne fit que croître.

 

Plus que le désir, je sentis la crainte ;

Debout, muet, je n’osais l’appeler ;

Les yeux ouverts et les lèvres fermées,

Je restais coi, comme faucon en salle...

            ... Cet être gracieux, brillant, sans tache,

            Si lisse, menu, mince et virginal,

            Se leva dans ses atours de princesse,

            Précieuse personne ornée de perles.

 

Parure de perles d’un prix royal

L’on aurait pu par grâce apercevoir

Quand, aussi fraîche qu’une fleur de lys,

Elle descendit soudain vers le fleuve.

Blanche et brillante était sa belle robe,

Ouverte de côté, et rattachée

Par des perles, les plus fines, je pense,

Que de mes yeux j’eusse jamais pu voir...

 

... « Ô Perle, dis-je, parée de perles,

Es-tu ma perle que tant ai pleurée,

Regrettée, solitaire, dans la nuit ?

J’ai caché maint désir allant vers toi,

Depuis que de mes doigts tu chus dans l’herbe ;

Morne, pensif, je succombe à la peine,

Et tu as trouvé une vie de joies

Au Paradis, loin de toute querelle.

            Quel destin a conduit là mon joyau,

            Et fait de moi l’esclave du chagrin ?

            Depuis que fûmes tranchés l’un de l’autre,

            Je suis un joaillier privé de joie.

 

Lors ce joyau serti de pures gemmes

Leva son visage aux prunelles perses

Que couronnaient des perles d’orient,

Et doucement ensuite répondit :

« Messire, vous avez été mépris

De dire que votre perle est perdue

Qui est enclose en coffret si seyant

Que ce jardin aimable et gracieux,

            Pour toujours y demeurer et jouer,

            Là où perte et deuil jamais ne s’approchent ;

Ce serait pour toi trésor sûr vraiment

            Si tu étais un gentil joaillier.

 

« Mais, doux joaillier, s’il faut que tu perdes

Ta joie pour un joyau qui t’était cher,

Tes desseins me semblent peu raisonnables,

Et tu prends souci pour cause bien vaine

Car ce que tu perdis n’était que rose

Qui, fleurie, mourut selon la nature... »

 

... Ces propos furent pour moi une gemme,

Et des joyaux ses gentilles paroles.

« En vérité », dis-je, « mon cher trésor,

Tu as dissipé tout mon grand chagrin.

Excuse-moi, je t’en fais ma prière ;

Je croyais que ma perle était perdue ;

L’ayant retrouvée, je vais être en fête,

Vivre avec elle en ces bosquets heureux,

            Aimer mon Seigneur et toutes ses lois,

            Qui plus près de ce bonheur m’ont conduit ;

            Si j’étais avec vous, passé ce fleuve,

            Je serais un bienheureux joaillier. »

 

« Joaillier », dit alors la gemme pure,

« Pourquoi, mortels, railler comme hors de vous?... »

 

« Toi-même, vois si tes propos sont vains,

Car les mots devraient hausser l’homme à Dieu.

Tu dis que tu vivras dans ce domaine ;

Me semble que tu dois le demander,

Et pourrais encor ne pas l’obtenir.

Ton désir est de traverser ce fleuve ;

Avant cela, d’autres objets s’imposent ;

Ton corps refroidi doit tomber en terre,

            Car il fut condamné au Paradis,

            Le premier homme en ayant mésusé ;

            Par la triste mort chacun doit passer

            Avant que Dieu l’appelle outre ce fleuve... »

 

... Et comme je m’élançais vers la rive,

De grands cris me tirèrent de mon rêve.

Lors je m’éveillai dans ce pré splendide,

Ma tête était sur le tertre posée

            Où ma perle s’était perdue en terre.

            Je m’étirai, et sentis grand effroi,

            Et, en poussant un soupir, je me dis :

            « Tout soit désormais comme il plaît à Dieu. »

 

 

 

Anonyme du XIVe siècle.

 

Traduit de l’anglais par Louis Cazamian.

 

 

 

 

 

 

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