Un rapt

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

ARIANE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que l’on traverse la province par la voie fluviale ou que l’on suive la route nationale, l’un des sites les plus agréables à visiter est sans contredit la Rivière-du-Loup.

Cette petite ville coquette et capricieuse se niche au flanc d’une colline qu’elle a escaladée à mesure qu’elle s’est développée. À distance, elle paraît beaucoup moins importante qu’elle ne l’est réellement car elle se dérobe à demi derrière un rideau de feuillage.

Trois clochers la dominent qui aux heures d’angélus mêlent leurs voix d’airain : au premier plan Saint-Patrice, entouré de l’hôpital, du palais de justice et de l’hôtel de ville ; plus haut Saint-François-Xavier, non loin de la gare du Canadien National et enfin Saint-Ludger, le « côté américain », séparé du reste de la ville par la rivière. Cette dernière fournit l’énergie électrique à la cité.

Plusieurs institutions religieuses dont une maison-mère et un monastère de Clarisses attestent l’intensité de vie religieuse qui s’épanouit dans cette petite ville de moins de dix mille âmes.

Voilà en résumé l’aspect que présente de prime abord Rivière-du-Loup. Disons maintenant un mot de ses origines. La seigneurie de la Rivière-du-Loup fut concédée le 23 décembre 1673 par la compagnie des Indes à Sr. Aubert de la Chesnaye. Elle comprenait trois lieues de front, se trouvant séparée en deux parties égales par la rivière.

L’endroit, d’après les Relations des Jésuites, était à cette époque désigné sous le nom de Mission du Bon-Pasteur et était, comme poste de traite, le rendez-vous des Gaspésiens et des Etchemiquois.

D’après la loi, le seigneur devait résider dans son domaine. Il est peu probable cependant que le seigneur Aubert, commerçant de Québec, vécût jamais sur aucun de ses fiefs, car outre celui de la Rivière-du-Loup, il possédait encore ceux du Bic et de la Madawaska. Néanmoins il est probable que la concession de la Rivière-du-Loup fut habitée vers 1698 par un fermier au service du seigneur de la Chesnaye.

Ce tenancier que nous nommerons Nicolas G... cultivait quelques arpents de terre avec l’aide de son épouse et d’un employé, Siméon L... À cette époque les incursions des Iroquois étaient assez fréquentes.

C’était une journée de l’automne de 1699. Siméon L... était parti depuis quelque temps pour la chasse afin de s’approvisionner de gibier pour l’hiver. Le fermier était à travailler autour de l’habitation, tandis que son épouse lavait le linge au bord de la rivière.

Il n’était pas beaucoup plus de quatre heures, et le soleil, qui disparaît tôt à cette saison, dardait ses derniers rayons sur le feuillage pourpré des érables.

Plusieurs canots de sauvages remontaient le fleuve pour se diriger vers l’échancrure de la rivière. Si la fermière n’eut été occupée activement à battre son linge, se hâtant de finir sa besogne avant la brunante, elle eut entendu le bruit cadencé des rames frappant la vague.

Les sauvages, surpris de voir quelqu’un sur cette rive qu’ils croyaient inhabitée, tournèrent afin de n’être pas aperçus et mirent pied à terre sans que personne ne soupçonnât leur arrivée.

Leur plan fut vite résolu : ils feraient disparaître le trop encombrant français et sa femme. Il n’était donc pas tard, à la nuit tombée, quand un groupe d’Iroquois alla en reconnaissance pour s’assurer de l’endroit où logeait Nicolas G... et s’il était seul à habiter ce poste que les peaux-rouges considéraient leur propriété.

Rien ne pouvait être plus facile, le français ne se doutant pas de l’inquisition que l’on faisait autour de son habitation. À la lueur du feu qui était entretenu dans la cabane, les sauvages purent voir le fermier et son épouse, le premier fumant tranquillement sa pipe et la seconde s’occupant de menus travaux de ménage.

Après avoir rendu compte à leur chef du résultat de leur perquisition et de la facilité de capturer les deux Français, il fut décidé qu’un groupe d’entre eux cernerait la cabane.

L’un des Indiens rampa jusqu’à la croisée par laquelle il se proposait de s’introduire dans le logis. Mais comme s’il eût prévu l’action du sauvage, le vent se mit de la partie et ouvrit brusquement la croisée. En voulant la fermer, le fermier aperçut ces êtres rampants autour de la maisonnette.

Rendu inquiet par cette rapide vision et le silence que troublait seul la plainte du vent, il saisit son mousquet, mais avant qu’il ait pu faire face à ses ennemis, il tomba percé de flèches.

Sur l’ordre du chef, les sauvages s’emparèrent de la femme, la bâillonnèrent et la traînèrent à leur campement dans le but sans doute de l’emmener dans leur tribu et peut-être d’en faire la femme d’un des leurs... Mais avant, ils brûlèrent la cabane, et avec elle le cadavre du malheureux fermier.

Qu’advint-il de Siméon L... l’employé de Nicolas G... ? Nul ne le sut. Peut-être fut-il aussi surpris par les Indiens et emmené en captivité, ou bien, voyant la disparition de ses compagnons et la destruction de l’habitation, se détermina-t-il à aller demeurer dans un autre poste ou à retourner à Québec ?

Quoi qu’il en soit, après cette invasion des sauvages, la Rivière-du-Loup ne fut plus habitée durant longtemps. Le recensement de 1700 n’y mentionnait d’ailleurs aucune habitation...

 

 

ARIANE, Contes d’autrefois et d’aujourd’hui, 1935.

 

 

 

 

 

 

 

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