La branche de lilas
Il n’est plus doux consolateur
De nos soucis, de nos misères,
De tous nos chagrins éphémères,
Qu’une aumône qui vient du cœur.
Soulager la douleur d’un autre,
Alléger le poids d’un tourment,
Allège bien souvent le nôtre.
C’est si doux, un remercîment !
Léger comme un parfum de rose,
Cela nous charme et nous repose,
Cela calme les sens aigris...
Dieu nous dit de faire l’aumône,
Et la moindre, au pied de son trône,
Est toujours un bijou de prix.
Au temps où la bise est venue,
Quand tourbillonne et rit le bal ;
Quand se balance, à demi nue,
La bacchante du carnaval,
À ce temps-là, la nuit est sombre,
Et dans plus d’un faubourg obscur
Monte à Dieu le blasphème impur
De plus d’un malheureux dans l’ombre.
Aux boulevards, point de passant ;
Le vent seul y va gémissant ;
Le gaz tremble sous la lanterne,
Le ciel est noir, le sol glacé,
Et le pauvre y marche l’œil terne,
La main froide et le front baissé.
Devant la vitre étincelante
D’un magasin du boulevard,
Une femme, de froid tremblante,
Dévorait des fleurs du regard.
C’était un splendide étalage,
Et, malgré l’heure (il était tard),
Les fleurs, au vent qui faisait rage,
Riaient sous le cadre vitré.
On eût dit, en voyant ces choses,
Ces lilas, ces touffes de roses,
Ces gerbes au reflet doré,
Que l’hiver avait fui la plaine,
Que le printemps venait, béni,
Et qu’auprès d’un brin de verveine
La fauvette faisait son nid.
Car vous savez que l’opulence
Déplace à plaisir les saisons,
Et que, dans ses riches maisons.
À l’heure où la fête commence,
Il la faut couronner de fleurs.
Alors que l’arbrisseau frissonne
Sous la neige froide, et ne donne
Pour toutes perles que ses pleurs.
Immobile, donc, cette femme
Ne quittait pas les fleurs des yeux.
Ce qui se passait dans son âme,
Le savait l’étoile des cieux.
Elle avait la beauté pâlie
Qu’à l’enfant du peuple, bénie,
Jadis, de force et de fierté,
Imprime la maternité :
– Car elle a son âge où tout chante,
Où son cœur est comme un oiseau ;
Vienne le vent et la tourmente,
Il se courbe comme un roseau.
Et de ce joyeux brin de fille,
Où la gaîté chante et pétille,
De ce cœur fidèle et charmant,
Il reste une femme isolée,
Un doux ange de dévoûment,
Dont la beauté s’est envolée,
Et Dieu sait, dans le pli rêveur
Qui se grave au coin de sa lèvre,
Combien se dérobe de fièvre,
De soupirs, d’ennuis, de douleur
Amassée en son pauvre cœur !
Devant ces gerbes magnifiques.
Où brillaient rubis, diamants,
Depuis les bouquets des tropiques,
Jusqu’au bluet qui vient aux champs,
S’épanouissait, fraîche et pure,
Une branche de lilas blanc,
Simple et brillant, dans la verdure,
D’un pâle et doux rayonnement.
C’était là qu’était la pensée
De la pauvre mère en haillons,
Cette gerbe tant caressée,
Comme l’ange des visions,
Semblait, coquette, lui sourire,
L’appeler vers elle et lui dire :
Viens, je suis un consolateur !
La femme répond à la fleur,
Et la fleur répond à la femme,
Par le doux parfum de son âme,
Par le doux parfum de son cœur.
Pauvre femme, te comprit-elle,
La fleur blanche, au reflet si doux ?
Je le crois : l’âme est immortelle,
Ton langage est compris de tous.
Son œil brilla de confiance :
Les pauvres gens ont l’espérance
Et ce n’est pas leur moindre bien...
– La porte s’ouvrit toute grande...
La femme alla vers la marchande :
« Ce lilas, dit-elle, combien ?
– Un louis.
– C’est bien cher, madame... »
La manière dont elle dit,
Ce que souffrait ce cœur de femme,
Dieu seul le sait qui l’entendit !
La marchande, surprise, émue,
Regarda cette femme en noir,
Jeune encor, pauvrement vêtue.
Frissonnant sous le vent du soir.
« Vous aimez les fleurs ? lui dit-elle.
– Oui... je les aimais... autrefois... »
On eût dit un battement d’aile
Que sa faible et tremblante voix...
– Vous ne m’en voudrez pas, j’espère,
On est en décembre, à Paris...
Mais, hélas, je n’ai pu me taire...
Ces fleurs, j’en ignorais le prix...
Cela doit vous paraître étrange,
N’est-ce pas ? que j’aime les fleurs...
Ce n’est pas pour moi... pour un ange !... »
Et ses yeux s’inondaient de pleurs.
« C’est votre enfant ?...
– Mon fils, madame !
... Il me vint au printemps dernier...
– Soyez forte, ma pauvre femme...
– Je l’aimais tant !... C’est le premier...
... Il était beau, j’en étais fière...
Des cheveux d’or et l’œil si bleu...
On eût dit le regard de Dieu !
Dieu l’a pris..., malgré ma prière...
Le cercueil vient de me venir...
Je suis sortie à demi folle,
Sans prononcer une parole,
Espérant que j’allais mourir !...
Et... comme je passais dans l’ombre,
Voyant ces fleurs en si grand nombre,
Je me dis que mon fils... hélas !...
Était né quand naît le lilas !...
J’en aurais fait une couronne...
J’en aurais semé son cercueil,
Et, que le Seigneur me pardonne,
J’eusse été moins triste en mon deuil !
Mais puisque c’est si cher, je laisse
Ces fleurs.... Pardonnez ma tristesse ! »
– Quoi, telle est l’humaine douleur
Qu’on ne peut même satisfaire
Son âme au prix d’une misère,
De ce don des cieux, d’une fleur !
« Restez..., dit la marchande émue.
Prenez », lui dit-elle tout bas,
Et la pauvre femme éperdue,
Se trouva, tenant dans les bras,
Toute une moisson de lilas...
Il est vrai, ces fleurs n’étaient guère
Que des fleurs, frêle diamant,
Mais plus d’un heureux de la terre
Eut payé la charge légère,
Ces fleurs-là, d’un monceau d’argent.
La marchande fit une heureuse,
Et le fit au prix d’un trésor ;
Et ce don d’une âme pieuse,
Dieu le mit à son livre d’or,
Car il veut qu’on fasse l’aumône ;
Ceux qui l’écoutent sont bénis,
Et la moindre, au pied de son trône,
Est toujours un bijou de prix !
Bruno ATHOL.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.