Autour du château de Brest

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Octave-Louis AUBERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ON peut admettre que Brest est la Gésocribate de la Table Théodosienne, car il serait contraire aux données historiques que les lieutenants de César eussent négligé, pour s’y établir, une position aussi avantageuse. Il est d’ailleurs acquis que le château actuel, construit au XIIIe siècle, a remplacé un castellum vraisemblablement dû aux Romains, à en juger par sa base, mise à nu, au cours d’importants travaux de réfection.

Une tradition fort ancienne rapporte qu’au milieu du Ve siècle, Brest n’avait qu’une importance toute militaire. La cité principale, où résidaient les seigneurs du Pays, était Daoulas, tout au fond de l’estuaire de la rivière de ce nom. Sa première célébrité lui venait d’un tragique événement.

Le seigneur du Faou était païen et ennemi des moines. Ayant appris que tous les supérieurs des monastères de Cornouaille se réunissaient proche de chez lui, pour conférer de leurs affaires et que devaient notamment se trouver là les abbés Tadec, Joua et Judulus, de Landévennec, il se rendit au monastère où se tenait cette assemblée. Il força les portes, occit à l’autel Tadec qui célébrait la messe, puis « avala » d’un coup d’épée la « teste » de Judulus.

Mais il ne tarda pas à se repentir de son acte et s’en vint demander à Paul Aurélien, évêque de Léon, de le délivrer du « malin esprit » qui le possédait depuis le meurtre des deux abbés. Pour réparer son crime, il fonda un monastère au lieu même où les meurtres avaient été commis et, en « éternelle mémoire » de cette action, ce lieu fut nommé Mouster-Daou-laz (monastère des deux meurtres).

Des habitations nombreuses s’établirent autour du monastère et la ville nouvelle connut la prospérité. Celle-ci fut relativement de courte durée.

Une pauvre mère de famille, déjà pourvue d’une lignée fort nombreuse, mit au monde sept enfants à la fois. Les habitants de Daoulas, effrayés d’une telle fécondité, la chassèrent avec ses enfants. Prenant une poignée de terre, la proscrite la lança contre la ville en disant :

 

            Brest var cresq, Daoulas var discar ;

            Pa saofat eun ti, é cou ézo tri 1.

 

Puis ses sept enfants et elle s’embarquèrent dans une maie en chêne qui servait à pétrir le pain. Le courant des eaux les emporta tout d’abord dans l’estuaire de l’Aulne, puis dans celui de l’Elorn. À demi morts, ils vinrent atterrir près du castellum de Gésocribate. Des habitants du village les recueillirent dans une humble demeure et leur prodiguèrent les meilleurs soins. Hélas ! ce fut en vain : les malheureux avaient eu si faim et si froid au cours de leur périlleuse traversée, ils avaient tant souffert qu’ils succombèrent tous à la même minute. Comme ils venaient de rendre le dernier soupir, des anges apparurent à leurs côtés et se mirent en devoir de les pieusement ensevelir. Tout en accomplissant leur funèbre besogne, les célestes messagers confirmèrent la prophétie de la mère. Et c’est sur l’emplacement de la maison hospitalière qui les reçut que s’éleva, plus tard, la Chapelle des Sept-Saints.

Celle-ci voisinait avec le château dont la masse imposante est un type remarquable de l’architecture militaire du moyen âge, malgré les grands changements qu’il a subis, surtout lors des transformations exécutées par Vauban. De nombreux ouvrages secondaires ont en effet disparu. Seules cinq tours principales sont demeurées debout. Elles ont nom : de Brest, d’Anne de Bretagne, de César, de la Madeleine et d’Azénor. Ce dernier nom est celui d’une touchante et jeune princesse qui fut, au VIe siècle, dans des conditions cruelles, enfermée dans ce même château de Brest et dont voici la lamentable histoire.

Vers l’an 537, Éven, prince de Léon, était seigneur de Brest. Il n’avait qu’une fille, Azénor. Celle-ci, dit Albert Le Grand, dans la Vie de saint Budoc, « était de riche taille, droite comme une palme, belle comme un astre et cette beauté extérieure n’était rien en comparaison de celle de son âme ».

Azénor épousa un comte de Golo, descendant du célèbre Audren, dont le castel (Châtelaudren) dominait la gracieuse vallée du Leff, aux confins mêmes du Goëlo, du Penthièvre et du Trégor. Les jeunes époux connurent tout d’abord un bonheur sans mélange. Mais le père d’Azénor devint veuf. Comme la solitude lui pesait, il se remaria bientôt à une « dame de grande maison qui avait l’esprit malicieux, noir, sombre et malin ». La marâtre eut immédiatement l’atroce pensée de se débarrasser d’Azénor dont elle convoitait le douaire. Elle rassembla des faux témoins qui accusèrent la princesse d’adultère et de jalousie. Ils furent tellement affirmatifs que le comte de Goëlo et le roi Éven les crurent sur parole. Azénor fut, par son père, enfermée dans la plus sombre tour du château, en attendant de comparaître devant ses juges. Ceux-ci, sans vouloir écouter ses protestations d’innocence, sans contrôler les dires de ses accusateurs, sans la moindre preuve en un mot, condamnèrent impitoyablement la jeune femme à être brûlée vive.

Au moment où ils la conduisaient au bûcher, ses bourreaux apprirent qu’elle serait mère dans quelques mois. Or les lois leur défendaient, jusqu’à sa délivrance, de la livrer aux flammes. Sur quoi, ils décidèrent de l’enfermer dans un tonneau et de la jeter à la mer. La sentence fut impitoyablement exécutée. Le tonneau vogua pendant cinq mois comme une barque, protégé, guidé par le bon ange d’Azénor qui, chaque jour, lui apportait sa nourriture directement du ciel.

Finalement, Azénor accosta en Irlande, au lieu dit Beauport, où elle donna le jour à un fils, qui fut baptisé Budoc (sauvé des eaux), soit parce qu’il avait eu la même chance que Moïse, soit pour rappeler saint Budoc qui fonda, dans l’île Lavret, près de Bréhat, en 400, un monastère, le premier du genre, dont il reste encore des substructures.

Pendant que la pauvre Azénor accomplissait son exode, sa marâtre était morte. Elle avait reconnu à ses derniers moments la fausseté de ses accusations. Le comte Éven et le comte de Goëlo se mirent alors à la recherche d’Azénor, pour se faire pardonner d’elle leur manque de confiance et lui rendre la place à laquelle ses vertus et ses souffrances lui donnaient plus que jamais droit. Ils visitèrent dans ce but de nombreuses régions. Ils parcoururent les côtes de la Cornouaille, du Léon et du Trécor. Ils comprirent en étudiant le mouvement des flots que les courants avaient dû porter Azénor vers la Grande-Bretagne. Ils traversèrent la mer, se rendirent au pays de Galles, en Écosse, et, enfin, après de longues recherches au cours desquelles ils désespérèrent souvent de retrouver Azénor, ils gagnèrent l’Irlande et prirent terre à Beauport.

Le comte de Goëlo ramena sa femme et son fils en Armorique. Il mourut au cours de la traversée. Azénor, dont la santé était fort ébranlée, ne tarda pas à le suivre dans la tombe.

Le petit Budoc fut élevé par son grand-père le comte Éven qui, plus tard, le confia à saint Samson, évêque de Dol, pour qu’il l’instruisît. Budoc, sous la direction d’un tel maître, fit des progrès remarquables tant en matière religieuse que dans les sciences. Il devint abbé de Dol, puis, lorsque Magloire décida de quitter les charges de l’épiscopat, c’est à Budoc qu’il les confia.

 

 

Octave-Louis AUBERT,

Légendes traditionnelles

de la Bretagne, 1949.

 

 

 



1 Brest croîtra, Daoulas décherra ; quand vous bâtirez une maison, il en tombera trois.

 

 

 

 

 

 

 

 

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