Le mur qui saigne

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Octave-Louis AUBERT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant un quart de siècle, de 1341 à 1365, une guerre intestine mit la Bretagne à feu et à sang. La cause de cette guerre était la rivalité entre Charles de Blois et Jean de Montfort qui, tous deux, prétendaient avoir des titres à la succession du Duc Jean III. Deux partis se formèrent parmi les seigneurs et le peuple. Jean de Montfort, Charles de Blois furent tour à tour faits prisonniers. Leurs femmes : Jeanne de Montfort, appelée par ses compagnons de combat : Jeanne La Flamme, à cause de sa bravoure, et Jeanne de Penthièvre, dite Jeanne la Boiteuse, poursuivirent la lutte, qui devint ainsi la guerre des deux Jeannes.

Après de nombreux sièges et combats, des trêves et des reprises au cours desquels les belligérants firent appel, l’un à l’Angleterre, l’autre à la France, Charles de Blois et Jean de Montfort, fils de Jeanne la Flamme, n’ayant pu se mettre d’accord sur les bases d’un traité, décidèrent de livrer une bataille définitive. Celle-ci eut lieu le 23 septembre 1364 dans la plaine d’Auray. Charles, qui n’avait pas voulu tenir compte des conseils de Duguesclin, se laissa entraîner dans les rangs de ses ennemis. Il reçut un coup de dague qui lui traversa la gorge. Il n’eut, avant d’expirer, que le temps de prononcer Domine Deus. Jean de Montfort fut alors reconnu comme seul et unique Duc de Bretagne, sous le nom de Jean IV. La postérité l’a surnommé Le Conquérant.

Or, Jean de Montfort, après la mort de Charles de Blois, se croyait poursuivi inlassablement par le spectre de ce dernier. Il le voyait partout. En 1368, il se rendit à Dinan et reçut l’hospitalité chez les Cordeliers. Ceux-ci avaient été jadis comblés de dons par Charles de Blois et lui gardaient une pieuse mémoire. Soudain, Jean IV, en entrant à l’église, aperçut sur le mur le portrait de Charles de Blois, représenté en chevalier avec une cotte d’armes de Bretagne et à genoux devant saint François. Le duc, gêné par cette vue, demanda aux moines d’effacer le portrait. Les religieux n’osèrent s’y refuser et firent blanchir le mur.

Mais, bientôt, voici que de l’endroit où, sur le tableau, devait se trouver le cœur de Charles, le sang jaillit à flots. Toute la ville accourt pour constater cet évènement prodigieux. Des Anglais, mêlés à la foule, et voulant paraître moins crédules qu’elle, accusent les moines de supercherie et de chercher par cette ruse à entretenir la superstition parmi le peuple. Ils examinent l’endroit d’où jaillit le sang et donnent dans le mur des coups de couteau pour s’assurer si quelque vessie n’y est pas dissimulée. Leurs recherches sont vaines et ne servent qu’à confirmer le prodige. Ce que voyant, Jean IV s’empressa de quitter Dinan.

 

 

Octave-Louis AUBERT,

Légendes traditionnelles

de la Bretagne, 1949.

 

 

 

 

 

 

 

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