Le temple de Lanleff
par
Octave-Louis AUBERT
Au sommet d’un plateau schisteux qui domine la vallée du Leff (le ruisseau des Pleurs), le petit bourg de Lanleff groupe autour de son clocher massif les pignons de ses anciens convenants. Le pays est à l’écart des routes fréquentées. Il faut quitter le chemin de grande communication qui va de Plouha à Paimpol pour le trouver. Le promeneur non prévenu suivrait ce chemin sans s’arrêter dans ce village qui lui paraîtrait le plus banal de toute la Bretagne. Il aurait cependant passé tout auprès du plus extraordinaire édifice qui soit sur le sol d’Armor : une église circulaire, malheureusement ruinée, dont la construction semble remonter à la fin du XIe siècle et que l’on appelle le Temple de Lanleff.
Ses pierres se nuancent de teintes délicates où s’harmonisent le rose et le vert de gris ; son architecture est un mélange de toscan et de roman ; ses arcades avec leurs pierres bigarrées font, d’autre part, songer aux mosquées arabes ou aux alcazars d’Espagne.
Sur le sol gît le chevet d’une croix de schiste dont le pied a dû servir à la construction de la maison voisine, à moins qu’il ne soit devenu la margelle de la fontaine qui se trouve en avant de la porte du Temple.
Cette fontaine a été le témoin d’un odieux marché : une mère, que la misère avait sans doute rendue folle, décida, certain jour, de vendre, pour une pièce d’or, son enfant au diable. Elle donna rendez-vous à ce dernier entre le Temple et la Fontaine. Défiante, elle exigea que l’argent lui fût versé d’abord. Le diable n’avait pas plus de raison de se montrer confiant. Il plaça donc la pièce d’or sur la margelle et exigea que l’enfant fût mis à côté. L’échange transactionnel se fit dans ces conditions, mais, quand la mère indigne voulut prendre la pièce d’or, elle s’aperçut que celle-ci avait marqué la pierre de la fontaine d’une profonde empreinte.
Et l’on vous montre encore aujourd’hui la preuve du sacrilège.
Octave-Louis AUBERT,
Légendes traditionnelles
de la Bretagne, 1949.