La Madone

 

 

 

Non loin de Pise, en Italie, dans la campagne déserte, – (on n’eût vu aucune habitation à un demi-mille à l’entour),

Au milieu de ruines antiques se trouve une masure, – où vivaient une vieille avec sa fille.

De l’aube à la nuit, elles travaillaient dur, – et souvent pourtant la faim les visitait.

La fille parfois, le cœur défaillant – et perdant patience, murmurait contre Dieu.

« Ne pleure pas, ne te désole pas, mon amour ! – lui disait alors la vieille pour la consoler ;

« Ne pleure pas, notre sort ne sera pas toujours si rigoureux, – la sainte Madone nous viendra en aide.

« Que son image te raffermisse dans la foi : – vois avec quelle bonté, de sa toile, elle te regarde ! »

Et, ce disant, l’humble vieille – se signait d’une main tremblante :

Dans la simplicité de son cœur et l’ardeur de sa foi, – avec un doux visage attendri,

Elle levait les yeux vers une peinture enfumée – qui, sans cadre, occupait un coin de la masure.

Mais la misère les pressait de plus en plus, – et la fille pleurait, quoi que la mère pût dire...

Un curieux errait depuis le matin au milieu des ruines : – il s’oubliait à les admirer, sans se rassasier de leur beauté.

Les rayons de midi l’obligèrent pourtant à chercher un toit : – il frappa chez la vieille et entra.

L’étranger fatigué s’assit sur le banc ; – mais il se releva aussitôt, à la vue du tableau.

Quelle merveilleuse peinture ! De qui est-elle ? – Du Corrège ! comment ne le reconnaîtrais-je pas ?

Et c’est dans cette cabane que se cache une œuvre, – dont s’enorgueillirait le palais d’un roi !

« La mère, vends-moi ton tableau : – je t’en donnerai cent piastres. »

« Signore, je suis pauvre, mais mon âme n’est pas à prix ; – je ne puis vendre la sainte image. »

« Je t’en donne deux cents, si tu consens à me le céder. » – « Signore, signore, c’est péché de tenter la pauvreté. »

Il ne put vaincre l’entêtement de la vieille : – le tableau resta dans la misérable masure.

Mais peu après dans toute l’Italie, – la nouvelle se répandit sur les ailes de la Renommée.

Un visiteur après l’autre vint frapper chez ma vieille, – et, ouvrant sa porte, la vieille s’étonnait.

Elle demande maintenant à l’entrée quelque menue monnaie, – et vit à l’aise avec sa fille.

C’est ainsi que, inopinément et généreusement, sa foi vive – a été récompensée par la sainte Madone.

 

 

Eugène Abramovitch BARATYNSKI.

 

Recueilli dans Les poètes russes, anthologie et notices biographiques,

par Emmanuel de Saint-Albin, 1893.

 

 

 

 

 

 

 

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