Sous le signe de l’Esprit

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Maurice BARRÈS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’avais toujours appelé le moment où je pourrais en quelque mesure replier mes dossiers et revenir à ma vocation première d’inventer en pleine liberté des pages de pure imagination, sans notes ni documents, simplement pour me faire plaisir à moi-même : petits écrits que je voudrais transparents et tranquilles comme des flammes qui brûlent en plein soleil. Ah ! quelles délices, devant un cahier de papier blanc et sur une table nette, de se livrer à sa fantaisie, avec une paisible attention, et de n’avoir pas d’autre loi que les rythmes qui se proposent à un poète dans ses loisirs ! Enfin ce beau jour arriva, au terme que je m’étais fixé, en janvier 1921.

Quand je dis ce beau jour, précisons. Vous vous rappelez quels brouillards nous eûmes au début de l’année. Ce matin-là, et jusqu’au soir, ce fut sur tout Paris un épais crépuscule jaunâtre. En plein midi, pour travailler auprès de ma fenêtre, j’avais besoin d’une lampe. J’aime beaucoup ces grandes journées où la nature semble défaite, tandis qu’en nous le travail nourrit une flamme d’allégresse : ces grandes journées plus tristes que nous-mêmes. Il me semble alors que je sois une maison illuminée dans la nuit. Je me sens pareil aux bêtes et gens qui, dans l’arche de Noé, par les hublots, regardaient l’immense plaine liquide et tourmentée les soulever. Cet isolement favorise la tâche que je me suis fixée : c’est de soustraire à la disparition quelques expériences d’une longue vie, non pas les songeries mais les demi-solidités de cinquante ans de poésie. Et pour commencer, je m’appliquai à décrire ce qu’il vous plaît peut-être de vous rappeler, ma visite à la Sibylle dans la cathédrale d’Auxerre.

Cette longue journée d’épais brouillard jaune, si heureusement employée, reste dans mon souvenir comme un précieux bijou d’ambre.

Vers quatre heures je me levai de ma table, j’ouvris les fenêtres pour changer l’air et, désireux de remuer un peu, j’allai porter des lettres à la poste. À mon retour, mes volets étaient clos, mes rideaux tirés, et je me remis au récit de mes plaisirs avec la Sibylle d’Auxerre. J’en étais à cet endroit où je raconte de quelle manière la païenne avait sur son épaule un beau pigeon roucoulant et piétinant, que le bedeau de son long éteignoir fit envoler dans le ciel, quand j’entends au-dessus de moi un étrange remuement. Je lève la tête, je cherche dans l’ombre, où ne parvient pas la lumière de ma lampe, toute retenue par l’abat-jour sur mon bureau. Je n’y vois rien, j’ai dû me tromper. Ma plume et ma pensée se remettent à courir sur le beau papier blanc. Mais quoi ! de nouveau, ce remuement, des palpitations, tout un ébrouement. Je suis debout, mon regard insiste avec un peu d’inquiétude dans les ténèbres, et qu’est-ce que voilà sur les livres qui tapissent le mur derrière moi ? Un gros oiseau tout ébouriffé, qui me contemple sans dire mot.

Je ne fis qu’un bond dans une pièce voisine prévenir la petite fille qui jouait du piano :

– J’ai dans mon cabinet, sur mes livres, une bête inouïe, un oiseau extraordinaire qui s’est sauvé du jardin d’acclimatation.

Elle le nia, par admiration. « Non ! ce n’est pas possible », – et me suivit rapidement sur la pointe des pieds, jusqu’au seuil de mon cabinet, d’où, tous deux, la tête en avant, et moi, le doigt tendu, nous cherchions la merveille dans l’ombre.

– Là, petite, au milieu des livres persans.

– C’est un pigeon, dit-elle, sur un ton de léger reproche et de déception.

– Eh ! bien oui, un pigeon. Tu ne trouves pas extraordinaire que j’aie un pigeon sur ma tête, un Saint Esprit qui est mon ami, qui m’a choisi, qui me fait visite, qui sait bien qu’avec moi il ne risque pas les petits pois, et qui m’arrive certainement d’Auxerre, à tire d’ailes, juste dans la seconde où je me souviens de lui ?

Elle avait déjà filé prévenir toute la maison.

Il est certain que, dès cette première minute, je tirai en moi-même une grande gloire de la démarche confiante de cette bête, et que j’y vis un signe favorable, dont je me réservais de trouver à loisir tout le sens. Pour l’heure, j’avais à remplir les devoirs de l’hospitalité, et d’abord à ne pas effrayer mon charmant visiteur. Il ne pouvait être question de le remettre dans ce ciel de pôle nord qu’il fuyait ; je continuai fort agréablement la soirée dans sa société, mais c’était fini du travail. Chacun venait l’admirer, sans qu’il s’en troublât une seconde, et moi, j’avais avec lui un dialogue dont je faisais les demandes et les réponses.

– D’où viens-tu, aimable pigeon ? M’apportes-tu sous ton aile frémissante un billet d’amour ? J’en serais averti par un commencement de souffrance. Es-tu quelque pigeon de la guerre, et par exemple celui du Fort de Vaux, qui fut cité à l’ordre de l’armée ? Tu ne descendrais pas chez moi, mais chez l’un de nos maréchaux de France. Un oiseau apportait à saint Paul dans la Thébaïde un demi-pain, chaque matin, et un pain entier les jours que le saint homme attendait un convive. Viens-tu me faire un cadeau ? Ta visite elle-même en est un. Je songe plutôt à ce pigeon noir qui venait demander à saint Benoît une part dans chacun de ses repas. Ton cas me semble pareil. Par un prodige de confiance, tu viens prendre chez moi ton asile. Sois le bienvenu, mon cher hôte, et dans cette soirée où le ciel fait rage, je reçois de ta venue, à l’heure que je me remets au travail, un signe favorable et comme le présage d’une heureuse inspiration. C’est pourquoi, si tu le veux bien, je te nommerai Esprit. »

Tout cela, comme vous pensez, je le lui disais dans mon cœur, et non d’une grosse voix indiscrète qui pût le tourmenter, et je me gardais, quoi que j’en eusse, de lui faire observer qu’il était installé sur quatre petits volumes assez rares, que j’ai fini par trouver à Londres, après les avoir longuement cherchés, sur la foi de Gobineau qui déclare que ce roman d’Hadjy-Baba est le livre le meilleur que nous ayons sur le tempérament d’une nation asiatique. Hadjy-Baba fut écrit par un secrétaire de la légation britannique à Téhéran, M. Morier, sous la dictée de son domestique indigène. D’abord publié en anglais, il fut traduit en persan et devint un des livres les plus populaires de l’Asie. Inspire-moi, cher Esprit, quelques histoires du pays des nuages, quelques-uns de ces récits gorge-de-pigeon comme en savent les poètes, récits frissonnants, qui prennent des couleurs diverses selon les heures où nous les relisons, et qu’à mon tour je puisse, comme fit Morier avec les récits de son petit domestique, les rendre légendaires auprès des plus belles colombes qui voudront bien me lire.

J’essayerais vainement de le nier, ma nuit fut mauvaise. Je songeais : qu’est-ce que mes livres vont prendre ? C’est très joli d’accueillir ce mystérieux pèlerin, ce familier de la Sibylle, ce messager d’espérance, mais mon manuscrit de Renan, mon exemplaire de Port-Royal, tout sabré des coups de crayon de Jules Michelet, mes premières éditions des poètes classiques et romantiques que j’aime le plus, ma belle série complète des œuvres littéraires et scientifiques de Pascal en éditions originales, mon Faust d’Eugène Delacroix, mon Liber Veritatis de Claude Gellée, ce pigeon-là va-t-il les respecter ? Et quelle sera en conscience ma situation, s’il distingue, pour les offenser, les deux grands livres dont je ne suis qu’un passager possesseur, dont je demeure comptable vis-à-vis de tous les lettrés de Lorraine et de France, les Heures de Philippe de Gueldre et le Corpus où Domat a crayonné le sublime portrait de Blaise Pascal adolescent ? Ah ! pigeon, sois plus sage que ton hôte, sois prudente et discrète personne.

L’aube arriva. Je me levai pour aller contrôler et délivrer la bête. Dans un éclair, je fus rassuré. Elle avait passé la nuit avec les poètes persans, paisiblement, sans trop leur faire de « calembours » (c’est le nom, vous en souvient-il, que donne Victor Hugo aux incongruités de « l’esprit qui vole »). Avant de lui rouvrir les voies du ciel, j’eus soin de disposer à son intention un solide repas sur le rebord de la fenêtre, car depuis quinze heures qu’elle était mon hôte, la pauvre bête jeûnait, et je pus constater ensuite à sa desserte qu’avant de me quitter elle avait fait honneur à mon menu de pain, de grains et d’eau pure.

En somme, tous dégâts tant bien que mal réparés, je gardais de cet épisode un souvenir très agréable. Mais peut-être eût-il été fugitif sans un fait nouveau qui fit rebondir l’intérêt.

Je m’étais remis au travail, et vers le soir je parachevais l’éloge de la Sibylle, quand une commotion violente vînt ébranler mes vitres, comme au temps des bombes allemandes. Ne comprenant rien à ce phénomène dont je pensais que les journaux du lendemain me donneraient l’explication, je continuais d’écrire, jusqu’à ce qu’une nouvelle commotion m’ayant fait lever le nez plus rapidement, j’aperçus mon pigeon tout étourdi du choc qui se remettait comme il pouvait sur la corniche extérieure de ma fenêtre et, tout en rassemblant ses esprits et son plumage, me regardait et m’attendait. L’aimable ami ! Par deux fois il vient de se précipiter à tire d’ailes dans ma vitre, tête baissée, pour réclamer son gîte de la veille. « Le jour tombe, dit-il, me voici. »

Ah ! c’est un cas de conscience qu’il me pose. Au dehors un froid diabolique : je ne puis l’y laisser. Au dedans, Blaise Pascal et Philippe de Gueldre et les autres, qu’il ne m’est tout de même pas permis de lui soumettre. J’ai tranché le problème en lui ouvrant une seconde bibliothèque, où je rassemble de préférence mes contemporains. Ce sont tous gens d’esprit et de cœur, et qui savent d’expérience qu’il n’est pas d’œuvre qui ne soit exposée chaque matin aux atteintes de quelque animal. Heureux s’ils n’ont connu que des affronts de colombes !

Le lendemain, j’ai trouvé à mon ami un coin pour lui seul, à son entière convenance, et depuis lors, depuis trois semaines, il fait la parure et l’animation constante de ma maison. Tandis que je vous parle, je l’ai là sous mes yeux, heureux, confiant et replet. Il a du pain, des grains, de l’eau dans une soucoupe. De temps à autre, s’il fait beau il se laisse tomber comme une pierre dans le petit jardin, et s’y promène avec un sérieux comique, en cueillant à droite, à gauche, d’un coup sec, des vermisseaux, comme vous cueilleriez des fraises au printemps. Je lui ai promis une merluche, dont on m’assure que son espèce est friande. Et chacun dit en le regardant qu’il engraisse. Vraiment il respire la santé. Et quelles gentilles manières ! Tenez, son repas servi, soit timidité, soit plutôt, comme je crois, dignité, il y demeure un petit moment insensible. Mais des familles de moineaux, rassemblées sur les arbres voisins dans l’attente de cette sainte minute, accourent et se mettent à table. Alors mon pigeon descend au milieu d’eux, qui lui font de la place et se tiennent ramassés en un bout de ce réfectoire en plein air. Ils mangent ensemble, et il les préside. « Comme il est doux », murmure la petite fille. C’est vrai : avec ces oiseaux qui vivent de ses reliefs, jamais une grossièreté, ni même une brusquerie ; avec moi, une sensibilité encore prudente, qui s’apprivoise. Qu’est-ce que je pourrais faire pour lui ?

J’ai demandé à un voisin qui possède un pigeonnier ce que devenaient ses pensionnaires, comment ils se portaient. C’était pour savoir la meilleure manière de traiter le mien. « Mes pigeons, m’a répondu ce brave homme, nous venons justement de manger le dernier ce matin, à déjeuner. Mais nous les aimons beaucoup, et je compte m’en procurer d’autres... »

Tu l’entends, Esprit, prends bien garde. Sous aucun prétexte ne va Impasse du Bon Accueil à Neuilly.

Des connaisseurs à qui je l’ai fait voir hésitent entre trois hypothèses. C’est un voyageur, disent-ils. Avez-vous remarqué s’il s’élève parfois et s’il interroge l’horizon ? Ce serait qu’il a perdu sa route et qu’il cherche un signe. Peut-être plus simplement attend-il le beau temps et un vent favorable. Ou bien encore, lassé par une longue étape, il se refait et vous quittera, une fois sérieusement remplumé. De toutes manières vous ne le garderez pas longtemps... Se peut-il ? le jeune insensé ! Du moins jouissons des jours qu’il m’accorde, avant qu’il suive son destin. Mon seul reproche, c’est qu’il ne puisse pas vivre sur la barre d’appui de ma fenêtre, de manière que de ma table, je l’aie constamment sous mes yeux. Il y souffre d’un courant d’air et n’y vient que pour ses repas. Le reste du temps il siège sur la corniche supérieure de ma fenêtre ou dans ma gouttière, où je le vois malaisément par un effort qui me remémore ce que dit un certain père Jean-Marie de Vernon, qu’à chaque fois que la colombe boit, elle lève la tête vers le ciel : « Je me persuade, écrit ce religieux, que ce n’est pas seulement pour faciliter l’écoulement de l’eau jusqu’au fond de ses entrailles, mais encore pour témoigner par un instinct naturel que ce breuvage est un don de celui qui habite dans les cieux... » Et par scrupule, le révérend père ajoute : « Il n’est pas besoin d’approfondir le sujet du mouvement de la tête du pigeon, il suffit que nous imitions son exemple et que nous levions les yeux... » J’imite l’exemple, et chaque matin, quand me penchant au dehors je lève les yeux pour retrouver mon nouvel ami, que je ne puis croire un volage, je remercie Celui qui me l’envoya.

J’aime les bêtes comme on aime les fleurs, pour l’agrément de leurs physionomies ; je les aime aussi pour leur vie intérieure. Je suis ravi des manières de mon hôte et de son âme qui les produit. Mais l’excès de gentillesse morale rend triste, tout comme l’excès de beauté. L’innocence d’Esprit, la complète sécurité avec laquelle il s’accommode de moi m’attendrissent. « Sa douceur », dit la petite fille. J’admire surtout sa force. J’admire tant de vaillance et d’espérance, dans un si petit corps. En vérité cet humble animal, enserré dans le drame de la vie plus dangereusement qu’aucun de nous, y déploie un courage d’Hercule. Je me demande d’où vient le feu qui lui confère cette beauté sobre et nette, cette hardie dignité de gentleman. Esprit m’inspire un sentiment du mystère des choses. Devant cette charmante merveille animée, qui piétine sur ma maison, j’éprouve quelque chose que nous ressentons à écouter une sonate de Mozart : un mélange de tendresse et de gaieté, une harmonie de tout l’être qui ne manque pas de magie, et je ne sais quel attrait pour le pur génie de la vie.

Cette explication manque de limpidité ? Je ne me fais pas d’Esprit et de mon attirance vers lui un concept précis, clair, distinct ? Eh ! j’en conviens. C’est la connaissance obscure dont parlent les mystiques, c’est l’état d’âme des poètes, qui ne peut pas se ramener aux catégories de la logique. Ne riez pas ! en regardant Esprit, je prends contact avec l’invisible, avec l’intangible, avec ce qui dépasse les sens, bref avec le grand secret de chaleur et d’amour qui sommeille sous son petit plumage. Et d’une telle excitation du plus intime de l’être, pourrait sortir (il n’y faudrait que du génie, car c’est là dans son rudiment le phénomène de l’inspiration), pourrait sortir indifféremment un beau poème ou bien une heureuse action.

Je songe à Saint François d’Assise, qui n’eut pas de disciple dans son amitié des bêtes, et je voudrais me ranger à la suite de cet homme divin. Il nous proposait un approfondissement du cœur et puis un but en avant des réalités présentes. Si nous l’avions entendu, les bêtes, dans leur éternelle enfance, seraient traitées par nous tous avec un ménagement amical, un peu comme ces pensionnats de petites filles et de garçons qui, le jeudi et le dimanche, circulent à travers nos avenues, où leur long serpentement immobilise le fleuve ardent des véhicules sous l’œil paterne des agents, leurs bâtons blancs levés, et nous ne serions pas un objet d’épouvante pour tout ce qui vit et respire sous le ciel, y compris la demi-douzaine d’espèces que nous avons domestiquées sans leur assurer le bonheur.

Ah ! quel poème pourrait rendre compte de mon émoi affectueux devant le cœur enfantin d’Esprit ? Le meilleur demeurera toujours en moi-même. Et il en sera ainsi pour toutes ces illuminations qu’à nos minutes heureuses nous avons pu entrevoir dans les profondeurs de l’âme, et que maintenant j’aimerais fixer et rendre sensibles. Des mots ne peuvent pas ramener à la surface de nos êtres ces grandes chaleurs d’enthousiasme et de lumière. De telles émotions, on voudrait les rendre contagieuses et les faire passer directement dans l’âme du lecteur, les lui communiquer telles quelles, connaissances confuses, sans noyau solide, à l’état gazeux. Mais le moyen ? C’est impossible. De l’expérience du poète à l’expérience qu’il s’agit d’émouvoir chez le lecteur, il faut nécessairement un agent de transmission, un messager, un Ariel. Comment le trouver ? Dans l’ombre j’écoute, avec moins de fièvre qu’autrefois, mais avec plus de recueillement et de piété, ces bruissements de l’âme. Je voudrais les traduire avec une sincérité plus sérieuse et plus calme. La musique s’offre à me servir, et c’est elle d’abord que nous voudrions employer. Son échec pourtant est certain. Ses sensations trop vagues ne font pas le support pour ce passage de l’état lyrique du poète à l’état lyrique de l’auditeur. Rien ne remplacera le travail intellectuel du poète. Rien ne me dispensera de me rendre compte de ce que j’ai éprouvé et surtout de me contraindre à l’exprimer. Je ne dispose que de mots trop clairs, trop précis. N’importe, c’est avec ces mots et à l’aide d’un thème concret qu’il faut que je produise sur mes lecteurs une impression voilée analogue à la mienne. J’essaye de saisir l’insaisissable, par ses deux ailes, ne laissât-il entre mes poings déçus qu’un vain nuage de plumes légères. C’est la lutte avec l’Ange, d’où l’on ne peut sortir que vaincu, mais d’une défaite qui a sa couronne.

Et ce passant mystérieux qui, de l’épaule de la Sibylle, vient à travers le ciel se poser sur ma maison, à l’heure où j’entreprends l’inventaire de mon trésor intérieur, c’est un rayon d’espérance qui se glisse à ma table de travail. Je tire bon augure d’une visite précieuse et bizarre, qui m’arrive si bien à point. Charmant ami, qui me devines et me confortes dans mon dessein d’un art limpide, ailé, familier de l’azur, grâce à toi je vais travailler sous le signe de l’Esprit.

Si vous voyez, au cours de vos promenades dans Paris, une fenêtre où se pavane un beau pigeon, c’est ma fenêtre et c’est Esprit. Parfois il s’élance de son poste, pour faire en mon honneur un vol plané, ou bien il trace autour de ma maison à tire d’aile des inscriptions énigmatiques qui me sollicitent à la fois et me découragent, en me rappelant les recommencements infinis du mystère.

 

 

 

Maurice BARRÈS,

Le mystère en pleine lumière, 1926.

 

 

 

 

 

 

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