Haec dies !
IMITÉ DE L’ANGLAIS
par
Robertine BARRY
Lequel aimait-elle mieux de ses deux amis également bons, également beaux qui l’adoraient silencieusement depuis des mois ?
Vingt fois le jour elle se posait cette question – troublée et cependant heureuse – sans pouvoir, ou peut-être sans vouloir, y répondre.
Et voilà que le Samedi saint, à l’heure où les cloches, à toute volée, célèbrent leur retour de la Ville Éternelle, on lui remit un message d’amour, si doux, si tendrement éloquent, qu’elle crut entendre le son de sa voix dans chaque parole écrite.
Les yeux gris de l’écrivain semblaient percer son âme de leur lumineuse transparence, et le billet dans sa main, elle hésita longtemps ne sachant que répondre.
Elle y songea encore avant de s’endormir, elle en rêva aussi durant le sommeil de la nuit et toujours sans que son esprit troublé en prenne un parti.
Mais, le matin à son réveil, quand le soleil radieux de Pâques, inondant sa chambrette, vint frapper discrètement aux rideaux blancs de son petit lit, elle se leva, animée d’une détermination subite et sans prendre le temps de peigner ses beaux cheveux, elle écrivit sa réponse :
« Venez, dit-elle, je ne sais encore si je vous aime, mais vous pouvez espérer... »
Et vite, elle se hâta de compléter sa toilette pour aller jeter sa lettre à la poste. Son sort étant décidé, il lui tardait d’en avoir fini.
Le bureau de poste du village était situé de l’autre côté de la rivière. Pour y parvenir, il lui fallait traverser un long pont.
Arrivée au milieu, elle s’arrêta et s’appuyant sur le parapet, elle se prit à rêver en regardant l’eau.
La petite rivière coulait doucement et scintillait de mille feux sous les rayons du soleil levant. Le murmure de ses eaux montait jusqu’à la jeune fille et lui parlait un langage qui la remplissait d’une vague mélancolie.
Pourquoi ce sentiment agitait-il son esprit en ce jour de la Résurrection ? Quand la nature s’éveillait à la vie, à l’amour, pourquoi ne se joignait-elle pas au concert qui l’entourait ?
Cette heure matinale d’un printemps frais et pur n’était encore troublée par aucun bruit humain ; une paix universelle régnait sur les hommes et sur les choses, et cependant, un soupir, ce signe précurseur d’une âme inquiète, vint soulever sa poitrine.
Un bruit de pas l’arracha soudain à sa rêverie solitaire.
Elle leva les yeux et rougit. C’était l’autre, l’ami aux yeux bruns qui se dirigeait de son côté. Elle lui fit une place près d’elle et pendant quelques instants, ni l’un ni l’autre ne purent prononcer une seule parole.
Puis, rompant ce silence embarrassant, il se mit à lui parler rapidement et à voix basse. En l’entendant, elle pâlit d’émotion et la lettre qu’elle tenait entre ses doigts trembla comme une feuille d’automne agitée par la brise.
Les yeux bruns eurent une lueur d’espoir, ils devinrent plus suppliants, plus caressants et la voix, tout près de l’oreille de la jeune vierge, vibra des accents d’une chaude tendresse.
Enfin, il osa s’emparer de sa main ; ce mouvement, qu’elle n’avait pas prévu, lui causa un moment de surprise, la lettre échappa à son étreinte et tomba dans la rivière...
Il la tenait maintenant dans ses bras – car c’était lui, l’aimé – et de ce refuge assuré, elle regarda d’un œil serein la pauvre lettre qui s’enfonçait tristement jusqu’à ce que les eaux, en l’absorbant toute, l’engloutirent pour toujours...
Robertine BARRY, Fleurs champêtres, 1895.