Maison de rêve
par
Robertine BARRY
Toute fantastique que soit cette histoire, je vous la raconte comme on vient de me l’écrire.
Naturellement, aucun nom ne sera donné ; il ne saurait cependant y avoir d’inconvénient à mentionner que la scène a eu les Provinces Maritimes pour théâtre.
Il y a quelques années, Mme X., une Acadienne, rêva d’une maison et d’un jardin dans une campagne. Le rêve était tellement vivant qu’il lui fallut, à son réveil, faire effort de jugement et de raison pour se rendre compte qu’elle n’avait été dans cet endroit que par l’imagination. Ce songe se répéta durant plusieurs nuits consécutives et elle devint tellement familière avec l’habitation qu’elle y voyait, qu’aucun détail ne lui était étranger.
Au déjeuner, elle faisait à son mari et à ses enfants des descriptions minutieuses d’une chambre bleue, d’une chambre rose et des autres pièces de la maison, sans oublier la disposition des allées et des plates-bandes du jardin.
« Quel dommage, disait en riant M. X. que ton imagination ne soit pas habitable, car elle nous offre là une belle installation ! »
Après quelque temps, le rêve ne se répéta plus, et les années passèrent...
Dernièrement, Mme X. se rendit avec son mari dans le Nouveau-Brunswick, pour visiter une maison dont on offrait la vente dans les journaux et qui semblait répondre aux désirs qu’ils avaient d’une pareille acquisition.
Le spectacle qui attendait Mme X. en arrivant à cette propriété la frappa d’un étonnement si grand qu’elle ne trouva pas de paroles pour l’exprimer. C’était la maison, les dépendances, le jardin du rêve !
Le propriétaire vint au-devant d’eux et leur fit visiter la maison du haut en bas. Il y avait, en effet, la chambre rose, la chambre bleue et jusqu’à cet escalier tournant que Mme X. avait autrefois décrit comme étant d’ascension trop raide.
Au salon, Mme X., recouvrant la voix, dit :
« N’y avait-il pas une porte, ici, ouvrant sur le hall ?
– Elle existe encore, madame, répondit poliment le maître de la maison, mais nous l’avons condamnée il y a quelque temps pour y placer ce meuble qui la masque complètement. »
À ce moment, on vint chercher le propriétaire que sa femme mandait immédiatement chez elle.
Il s’excusa auprès de ses hôtes et disparut.
« Comment se fait-il, dit M. X. à sa femme, quand ils furent seuls, que tu connaisses l’existence de cette porte ?
– Ne m’en parle pas ! s’écria Mme X., prête à fondre en larmes, nous voici dans la maison que j’ai vue en rêve tant de fois ! Et, continua-t-elle en s’approchant d’une fenêtre, je la retrouve exactement comme elle m’est apparue ; je reconnais même ce X que le ciseau a taillé dans une des pierres de la façade, et ce saule dont les racines croisent trop fortement une des allées du jardin... J’en suis toute nerveuse. »
Le maître de la maison, entrant sur ces entrefaites, prit à part M. X. et lui dit :
« J’ai à vous faire part d’un fait bien étrange. De la fenêtre de sa chambre, ma femme vous a vu venir ainsi que Mme X. et, figurez-vous qu’elle a reconnu, dans la personne de votre épouse, trait pour trait, la figure de cette dame qu’elle a vue pendant des semaines en songe, il y a quelques années, se promenant dans le jardin, puis montant et descendant l’escalier. N’est-ce pas vraiment singulier ? Ma femme en est toute bouleversée, et je me demande si vous ne pourriez pas expliquer ce phénomène.
– Vous me voyez peut-être plus perplexe que vous, répondit M. X. Voici que je dois encore ajouter à votre surprise en vous racontant ceci. »
Et il fit le récit de ce que l’on sait déjà.
Maintenant, les soi-disant acquéreurs se demandent :
« Devons-nous renoncer à acheter cette maison qui nous conviendrait en tous points sans cette malheureuse histoire ? Ou, ne nous est-elle pas plutôt assignée par une force supérieure à laquelle nous devrions céder, parce qu’il y va peut-être de notre bonheur ? »
Si cette question vous était posée, dites, que répondriez-vous ?
Robertine BARRY, Fleurs champêtres, Fides, 1984.