La mort de la novice
BALLADE
Tu étais trop belle pour le monde...
Dieu a vu qu’il lui manquait un Ange, et il l’a rappelée.
A. DUMAS.
... ET les Anges chantaient : « Viens, ô blanche colombe ;
« Dans les bras de la mort en paix ferme les yeux :
« Ouvre ton aile, et, de la tombe,
« Pour t’unir à l’Époux, prends l’essor vers les cieux !
« À sa voix, renonçant au bonheur de la terre,
« Tu consacras tes jours au culte du malheur...
« Dans sa Mère aujourd’hui viens retrouver ta mère :
« Elle te tend les bras... Viens à nous, jeune sœur ! »
La Novice écoutait. « Bonne mère Sante-Ange,
N’entends-tu pas, dit-elle, une harmonie étrange
Comme des voix d’élus qui chanteraient en chœur ?...
– Non, ma bien chère enfant, répondit l’autre Sœur ;
Je n’entends rien, sinon la cloche qui réveille
De ses sons matineux le couvent qui sommeille.
– Ah ! mère, quel bonheur, si la mort, en ce jour,
Du sommeil d’ici-bas m’éveillait à mon tour !...
Mais non, pourtant : j’ai peur, en quittant cette enceinte,
D’en regretter la joie et la paix chaste et sainte. »
Alors, prêtant l’oreille, elle ajouta tout bas :
« C’est cependant un chant... je ne me trompais pas ! »
... Et les Anges chantaient : « Viens, ô blanche colombe ;
« Dans les bras de la mort en paix ferme les yeux :
« Ouvre ton aile, et, de la tombe,
« Pour t’unir à l’Époux, prends l’essor vers les cieux !
« Aux malheureux sans pain que le monde abandonne
« Des chrétiens attendris tu distribuas l’or,
« Et, pour guérir leur cœur, tu joignis à l’aumône
« Quelques mots de ta voix plus consolante encor ! »
La Novice écoutait. « N’entends-tu pas, ma mère,
Un chant divin, semblable aux Ave du rosaire
Murmurés de la voix dont l’ange Gabriel
Dut saluer Marie, en descendant du ciel ?...
– Mais non, ma chère enfant ; c’est la brise enivrante
Qui du ruisseau voisin ride l’eau transparente
Et chante, au point du jour, en caressant les fleurs...
– Pauvres fleurs du jardin !... Ah ! j’aime vos odeurs
Fraîches comme un sourire ou comme la prière...
Ce n’est pas un péché, n’est-ce pas, bonne mère ? »
Elle se tut alors, puis ajouta tout bas :
« C’est pourtant bien un chant, je ne me trompais pas ! »
... Et les Anges chantaient : « Viens, ô blanche colombe ;
« Dans les bras de la mort en paix ferme les yeux :
« Ouvre ton aile, et, de la tombe,
« Pour t’unir à l’Époux, prends l’essor vers les cieux !
« Lis divin qu’ici-bas le Seigneur fit éclore
« Au céleste soleil de son mystique amour,
« Toi que le ciel connaît et que la terre ignore,
« Il va te transplanter dans un autre séjour ! »
La Novice écoutait : « Entends-tu dans l’espace,
Dit-elle à l’autre Sœur, comme un doux chant qui passe,
Plus ravissant encor que les divins concerts
D’un cœur qui bénit Dieu, dégagé de ses fers ?
– Non, dit la plus âgée à la jeune Novice,
C’est la voix de nos Sœurs qui récitent l’office...
Du reste, ces chants-là, quand on meurt au couvent,
Ma fille bien-aimée, on les entend souvent.
– Alors je mourrai donc, ma mère ? » Sans rien dire,
La vieille Sœur cacha ses pleurs dans un sourire,
Tandis que la malade, à part, disait tout bas :
« Oui, car c’est bien un chant : je ne me trompais pas ! »
... Et les Anges chantaient : « Viens, ô blanche colombe ;
« Dans les bras de la mort en paix ferme les yeux :
« Ouvre ton aile, et, de la tombe,
« Pour t’unir à l’Époux, prends l’essor vers les cieux !
« Viens, ô vierge choisie, ô jeune fiancée,
« Le doux Jésus t’appelle en un séjour meilleur ;
« Viens contempler sa gloire et t’endormir bercée
« Comme l’apôtre Jean, la tête sur son cœur ! »
La Novice écoutait. « N’entends-tu pas, dit-elle,
Tout près de nous, ma mère, une voix qui m’appelle ?
On dirait l’harmonie ineffable et sans nom
Qui fait battre nos cœurs dans la Communion...
– Mais ce n’est rien, enfant, sinon les cris peut-être
Du rossignol qui chante auprès de la fenêtre...
– Oh ! non pas, mère... écoute... entends-tu... c’est le chant...
Des Séraphins... je pars... adieu.... Jésus m’attend ! »
La pauvre enfant se tut : elle avait fui la terre.
Sœur Sainte-Ange en pleurant lui ferma la paupière :
« C’est un Ange de moins ! dit-elle. » Les élus
Allaient se dire au Ciel : C’est un Ange de plus ! »
... Et les Anges chantaient : « Viens, ô blanche colombe ;
« Dans les bras de la mort en paix ferme les yeux :
« Ouvre ton aile, et, de la tombe,
« Pour t’unir à l’Époux, prends l’essor vers les cieux !
« Portes du paradis, ouvrez-vous !... Et nous, frères,
« Du terrestre séjour ne soyons plus jaloux :
« La vierge pour le Ciel en a fui les misères...
« Hosanna ! Hosanna !... Notre sœur est à nous !...
Metz, ce 15 septembre 1851.
Louis BARTHÉLEMY.
Paru dans le Recueil de l’Académie
des jeux floraux en 1852.