Les chardonnerets de Galilée
par
René BAZIN
Quand Notre-Seigneur Jésus passait par les chemins, il mettait les oiseaux en joie.
Sitôt qu’ils apercevaient sa robe blanche, ils arrivaient en troupes ; les uns se posaient sur les branches des haies, et l’on eût dit qu’elles avaient fleuri ; d’autres trottaient dans la poussière que ses pieds avaient touchée ; d’autres planaient en l’air, et faisaient de l’ombre au-dessus de lui. Ceux qui savaient chanter n’y manquaient pas. Ceux qui n’avaient pas de voix montraient du moins leurs plumes. Tous disaient à leur façon :
« Merci, Seigneur, pour le vêtement, pour la voix, pour la couleur, pour le grain, pour la feuille qui nous cache ; merci pour la vie et merci pour nos ailes ! »
Lui souriait, les bénissait, et ils s’en allaient.
Les mères couveuses elles-mêmes n’hésitaient pas à quitter le nid, devinant que, pour cette fois, les œufs n’auraient point à souffrir. Elles venaient, silencieuses, et repartaient vite.
Un jour cependant, sur un talus de Galilée, deux s’attardèrent, tristes parmi les autres joyeux. C’était l’époque où l’épine noire est en fleur et l’aubépine encore verte. Jésus vit une souffrance et s’arrêta. Il comprit ce que les oiseaux ne savent pas dire :
« Maître, nous avons fait notre nid, confiants, au bas d’un arbre. Il y avait deux œufs déjà. Les grandes eaux sont survenues, et ont emporté la maison. »
Lui, leva la main, et dit si doucement que c’était une plainte encore mieux qu’un ordre :
« Recommencez, mes petits ! »
Les chardonnerets bâtirent un nouveau nid, tout en haut d’un chêne, de peur des grandes eaux. Il fallut du temps. Le crin, la laine, la plume, dont se composent les nids de chardonnerets, avaient été employés jusqu’au dernier brin par les premiers constructeurs, les heureux, ceux qu’on entendait chanter tout autour. Et voilà qu’au moment où la maison s’achevait, ronde, ouverte droit vers le ciel et balancée au vent, un orage éclata, si violent, si plein de grêle, que tout fut renversé.
Les deux chardonnerets se mirent à la recherche du Maître. Ils n’étaient point comme nous, qui nous plaignons toujours.
Ils voulaient seulement savoir si aucun espoir ne leur restait d’avoir, cette année-là, une famille à élever, et pourquoi deux couvées n’avaient pas réussi. La saison était avancée. Tous les petits, déjà drus, voletaient et commençaient à ressembler aux parents. Le soleil, à midi, chauffait comme le four d’une métairie. Et, de plus, le Seigneur avait continué sa route, prêchant les hommes, et il devait être loin.
Longtemps ils le cherchèrent n’ayant point de renseignements, ni aucune manière d’en demander. Seulement quand ils apercevaient, dans un village, une femme qui pleurait, un enfant malade, ou un aveugle, ou même une figure chagrine, ils se disaient : « Le Seigneur Jésus n’est pas là » et ils continuaient leur route. Cela leur arrivait souvent. Enfin, vers l’été finissant, ils entrèrent dans un bourg où il y avait une grande animation. Les enfants portaient des rameaux, les hommes raisonnaient entre eux, disant :
« C’est pourtant vrai qu’il a ressuscité la fille de Jaïre ; nous l’avons vue marcher, pleine de vie. »
Des jeunes filles pleuraient de joie en quittant leurs voiles de deuil. Les deux chardonnerets, sur une branche avançante, à la sortie du village, attendirent Jésus, et, comme la nuit commençait à venir, il passa et les reconnut.
« Petits, dit-il, rien n’est perdu. Recommencez encore. Vous mettrez le nid au milieu de l’arbre, ni trop bas, de crainte des grandes eaux, ni trop haut, car vous n’êtes pas de force à lutter contre l’orage. Allez en paix ! »
Autour de lui, plusieurs hommes étaient groupés. En l’entendant parler, l’un se prit à dire :
« Vous ordonnez aux oiseaux de bâtir un nid, Maître, et l’hiver approche !
– Avant que les matériaux ne soient réunis, dit l’autre, les arbres n’auront plus de feuilles !
– La gelée tuera la mère sur les œufs, dit un troisième, et même s’ils venaient à s’élever, les petits, sur la terre glacée, ne trouveraient plus de nourriture. »
Mais Celui qui, au milieu d’eux, paraissait comme un prince, regarda tristement les hommes, sourit aux deux oiseaux, et dit :
« Le printemps m’obéit, allez en assurance ! »
Et les deux chardonnerets, dans la nuit, s’envolèrent. Sans arrêt et sans fatigue, d’un seul trait de vol ils revinrent au pays où deux fois déjà leur couvée avait péri. Les cavales avaient été mises en pâturage tout l’été, et ils trouvèrent du crin en abondance ; les brebis avaient accroché leur toison aux épines, et ils ne manquèrent pas de laine ; beaucoup de plumes inutiles tremblaient à la surface des abreuvoirs, et ils choisirent les plus duvetées. Le nid fut vite fait. La mère pondit six oeufs, et se mit à les couver.
On vit alors une chose bien étonnante. Tandis que les arbres se dépouillaient partout, celui qui portait le nid, et les voisins, jusqu’à distance d’un moyen champ, gardèrent leurs feuilles. Pour cet espace béni, le ciel demeura pur. Les nuages se tordaient autour et laissaient une grande déchirure bleue, par où tombaient la lumière et la chaleur sur la couveuse immobile. Le vent s’attiédissait en passant la limite que Dieu avait marquée. Cela dura le temps voulu. Six chardonnerets nouveaux sortirent des six coquilles. Ils virent, comme tous les autres de leur espèce, en ouvrant les yeux, que la terre était belle, prirent les premières plumes, s’essayèrent à voler... Ce fut seulement quand ils eurent toutes leurs ailes que les feuilles jaunirent et que les petits s’aperçurent que l’hiver avait depuis longtemps dépouillé le sol, à cent mètres du nid.
« Vous comprenez, mes enfants, ajoutait bonne Perrette, que si le Seigneur Jésus a fait un printemps pour des chardonnerets dont la couvée était en retard, il ferait bien davantage pour vous si vous le lui demandiez. Mais rien n’aurait eu lieu si le père et la mère n’avaient recommencé leur nid jusqu’à trois fois, et c’est ce qu’il faut savoir. »
René BAZIN, Contes de bonne Perrette.