La dame Azalaïs de Toulon
par
Laurent Jean Baptiste BÉRENGER-FÉRAUD
UNE DAME de Toulon appelée Azalaïs avait accompli durant sept ans avec une foi vraie le pèlerinage de l’île. La septième année elle obtint la palme qu’elle gardait précieusement lorsque la guerre et la famine s’abattirent avec tant de rage sur le territoire de Toulon que les pauvres gens furent contraints de l’abandonner pour n’y point mourir de misère. Azalaïs vint à Marseille n’emportant qu’une seule robe qu’elle vendit pour vivre, et la précieuse palme. Quand il ne lui resta plus rien, la bonne âme en détacha une feuille et, croyant dans sa naïveté que cette feuille aurait le même prix aux yeux de tout le monde, elle alla trouver le plus riche des changeurs et lui dit :
« Seigneur, je te vendrai, si tu veux, un objet qui m’est très cher et dont je te prie de me donner or ou argent. »
Le changeur regarda la feuille et, voulant s’amuser de la simplicité de cette femme, il appela ses confrères, aussi indifférents qu’il l’était lui-même aux souffrances d’autrui, et demanda en leur présence à la pauvre Azalaïs combien elle voulait de ce trésor.
« Quatre feuilles d’or de même grandeur, répondit Azalaïs, quoiqu’elle vaille davantage.
– Par ma foi, reprit le changeur, l’or n’est pas si commun qu’on le donne à première vue pour des feuilles de palmier, mais je t’en donnerai, par exemple, les deniers de Marseille qu’elle pèsera, car je vois bien que c’est chose précieuse.
– Fais ce que tu voudras, seigneur », lui répondit la femme en soupirant.
L’opulent changeur prend son trébuchet, déplie par raillerie avec la plus grande précaution la feuille enveloppée dans un morceau de drap de soie, la pose délicatement dans un des plateaux du trébuchet et met douze deniers dans l’autre ; mais la feuille pesa davantage.
Le changeur tout émerveillé du poids de cette feuille alla prendre sa balance, mit la feuille d’un côté et deux sols d’or pour contrepoids de l’autre, mais elle les enleva. De plus en plus surpris, il plaça cinquante sols bien comptés dans le plateau, la feuille les emporta comme un cheveu. Dans son dépit, il jeta dix livres d’or que la feuille enleva sans peine comme un petit bouton. Au comble de la surprise, cette fois, le marchand demande avec terreur à la pauvre femme quelle est cette feuille merveilleuse.
« Une feuille, lui répond-elle, de ma palme de pèlerine. »
Le marchand d’or s’agenouille à ces mots, et après l’avoir conjurée de lui pardonner ses dédains et de prier pour lui saint Honorat, il lui donna de quoi braver la pauvreté toute sa vie et ne laissa point passer une année sans visiter dans l’île de Lérins le saint qui fait de si grands miracles.
Laurent Jean Baptiste BÉRENGER-FÉRAUD,
Contes populaires des Provençaux
de l’Antiquité et du Moyen Âge, 1887.
Recueilli dans Histoires et légendes de la Provence mystérieuse,
textes recueillis et présentés par Jean-Paul Clébert, Tchou, 1968.