L’oiseau d’argile

 

                             MIRACLE BLEU

 

 

                                    I

 

Dans le pauvre atelier de Joseph l’artisan,

– Pauvre, mais bien tenu, bien propret, bien luisant,

Car la Vierge Marie a le cœur à l’ouvrage –

La Vierge travaillait, seulette, avec courage ;

Et l’on n’entendait rien dans le logis muet,

Que le bruit monotone et grinçant du rouet.

 

Joseph était parti, depuis l’aube, à la ville,

Pour un travail très long, pressant et difficile.

Or, tandis que la Vierge était à son rouet,

Et que Joseph peinait, l’Enfant Jésus jouait.

 

 

                                    II

 

Avec de gais lutins, des enfants de son âge,

S’amusant de tout cœur, – et pourtant moins volage,

Car le fils de Marie était un enfant-Dieu, –

Jésus était assis près d’une source pure

Qui filtrait doucement avec un frais murmure,

Au pied d’un palmier vert plongeant dans le ciel bleu.

 

Le manteau retroussé pour être plus à l’aise,

Ils emplissaient, charmés, leurs mains de terre glaise,

Et tout à leur besogne, artistes enfantins,

Pétrissaient, façonnaient de leurs fins doigts agiles,

Des vases, des oiseaux informes et fragiles :

Et la fierté brillait sur les minois mutins.

 

Or, le petit Jésus cachait avec mystère

Aux enfants indignés son chef-d’œuvre de terre ;

« Montre, montre, Jésus ! » et c’étaient, sans arrêt,

Des cris impatients et des voix suppliantes...

– Et loin des enfançons aux mines souriantes,

La Vierge était seulette, et la Vierge pleurait.

 

Oui, la Vierge pleurait. Ô vision sévère !

C’est qu’elle apercevait dans l’ombre le Calvaire,

Et que son cœur saignait – pauvre femme ! – en songeant

Que Jésus, Dieu si doux, aurait mort si cruelle...

Et, comme s’il sentait, dans un vase auprès d’elle,

Un lis fleuri fermait sa corolle d’argent. –

 

... « Montre, montre, Jésus ! »... Près de la source pure,

L’Enfant divin, distrait, écoutait le murmure

Des larmes, que versait la Vierge doucement,

En démêlant les fils de son fuseau de laine...

Il songea, puis, ouvrant sa petite main pleine,

Il montra son chef-d’œuvre : un oiselet charmant.

 

Un bec fin, un corps mince avec de fines pattes,

Plume et duvet marqués en lignes délicates ;

C’était un vrai bijou qu’on eût payé bien cher.

Les enfants admiraient, muets, l’oiseau si frêle.

Mais Jésus mit, soudain, un baiser sur son aile,

Et l’oiseau s’anima, l’argile devint chair.

 

Et Jésus lui parla de sa voix jeune et douce :

« Oiseau que j’ai créé, va, la brise te pousse

« Dans le ciel azuré, mon œuvre aussi. Joyeux,

« Jette à l’air embaumé ta chanson, la première !

« Mais va chanter là-bas pour consoler ma mère. »

Et l’oiseau frissonnant s’envola par les cieux.

 

 

                                   III

 

Les enfants, en extase, écoutaient cet oracle.

Ils partirent, contant partout le frais miracle. –

Et Jésus, resté seul, leva ses grands yeux bleus,

Immobile, semblant voir au delà des cieux.

Puis, comme un simple enfant, il fit dans la prairie

Une moisson de fleurs destinée à Marie

Que l’oisillon charmait avec un chant divin :

Et la Vierge chantait, lorsque Jésus revint.

 

 

 

Edmond BLANGUERNON.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

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