Les oiseaux de François d’Assise

 

 

Sur un chemin désert et poudreux de l’Ombrie

Le doux François d’Assise avançait à pas lents,

Tandis que le soleil, de ses rayons brûlants,

Criblait les oliviers et la plaine flétrie.

À travers la fournaise il marchait les pieds nus,

Tête nue : il songeait, et de la plaine immense

Le promeneur pensif troublait seul le silence.

D’habitude, en passant dans ces lieux bien connus,

Il saluait, joyeux, les êtres et les choses ;

Il donnait un sourire au plus humble buisson,

Des plus humbles oiseaux il savait la chanson,

Et de chaque rosier ce qu’il portait de roses.

Mais en vain, ce jour-là, le chêne et l’olivier

Vers lui tendaient leurs bras ; en vain les hirondelles,

En vain les passereaux le frôlaient de leurs ailes,

En poussant dans les airs leur appel familier :

Le moine cheminait plongé dans ses pensées...

 

Sans doute il avait vu le péché grandissant,

La souffrance ou la mort frappant un innocent ;

Comment donc essuyer tant de larmes versées ?

À tant de cœurs brisés comment rendre l’espoir,

Comment rendre la force à ces lutteurs sans trêve ?

Or tandis qu’il allait, absorbé par son rêve,

Dans le ciel radieux apparat un point noir.

Il grandit, il grossit... Messager de tempête,

Le vent mugit soudain, et les géants des bois

Et les herbes des champs, dociles à sa voix,

Sous son souffle puissant inclinèrent la tête...

Et puis l’on entendit au loin un roulement

Sinistre, que suivit un pétillement grêle.

La nature frémit d’horreur ; c’était la grêle !

... Et le moine marchait toujours paisiblement.

Mais les oiseaux de l’air, désertant le feuillage,

Voletaient au-dessus du maître bien-aimé.

Blottis l’un contre l’autre, ils avaient tous formé

De leurs ailes un toit protecteur de l’orage...

Joyeux, ils gazouillaient sous les assauts du vent,

Ils gazouillaient, sachant que leur mort était sûre,

Mais leur ami du moins serait franc de blessure,

Car ils planaient sur lui comme un rempart vivant !

 

Et le ciel s’obscurcit encor.

                                              François d’Assise,

Sortant de sa torpeur, leva soudain les yeux,

Il aperçut dans l’air ce vol mystérieux

Qu’estompait vaguement la lumière indécise.

Dans cette nue il vit des ailes palpiter :

Quoi ! ce sont des oiseaux, ces chers oiseaux qu’il aime,

Ils imploraient son aide en ce péril suprême...

Déjà l’on entendait la grêle crépiter.

 

« Vierge, ô mère de Dieu, Jésus et vous bons anges !

S’écria saint François se jetant à genoux,

Écartez l’ouragan qui va fondre sur nous,

Épargnez ces oiseaux qui chantent vos louanges... »

 

– Un formidable coup de foudre répondit !

Le nuage s’ouvrit...

                                   Ô surprise, ô merveille !

Jamais on n’avait vu tomber grêle pareille...

Et le moine lui-même en restait interdit...

 

Ainsi qu’aux jours de mai, le vent dans les vergers

Agitant les pommiers fait neiger leurs pétales,

Du firmament obscur pleuvaient des roses pâles,

De blanches fleurs de lys et des fleurs d’orangers !...

Sur l’aile des oiseaux elles restaient à peine,

Au lieu de les meurtrir elles les caressaient,

Et, comme un souvenir, après elles laissaient

Le parfum pénétrant de leur subtile haleine...

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

Et, tandis que l’orage augmentait ses clameurs

Semant aux alentours la mort et la ruine,

En cet endroit béni régnait la paix divine :

Un flot d’encens montait du blanc tapis de fleurs !

 

Saint François s’écria : « Pardonne ma faiblesse !

Ce matin, ô mon Dieu, j’ai péché contre Toi :

J’étais triste, abattu, car je manquais de foi...

Mais au lieu de punir l’ingrat qui te délaisse,

Tu m’as montré, Seigneur, ton amour surhumain !

Celui qui se confie en Toi rien ne l’arrête,

Je ne craindrai plus rien ! »

                                              – Et, relevant la tête,

Le moine, sans tarder, se remit en chemin.

 

 

 

Auguste BLONDEL.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1894.

 

 

 

 

 

 

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