Le vallon de Marie

 

 

                           Ici, l’âme n’entend que ce seul mot : prière.

                                                          D. V.

 

 

Du jour la sixième heure au village tintait,

Le ciel était voilé, la brume qui montait,

Sans cesse en ondulant comme des vagues blanches,

Des sapins du coteau baignait les vertes branches.

Les corneilles en troupe au sein des champs déserts,

S’abattaient tout à coup, remontaient dans les airs.

Et tandis que la bise à la piquante haleine,

Murmurait au vallon, s’élançait dans la plaine,

Que les feuilles des bois, des buissons d’églantiers,

En pâles tourbillons volaient par les sentiers,

Une sainte famille, au fond d’une chaumière,

Avait de l’angélus achevé la prière,

Quand Jeanne dit : prions encore le Seigneur,

Afin qu’il soit en aide au pauvre voyageur.

Jeanne de son vieux père est la fille chérie,

C’est le timide oiseau du vallon de Marie,

Le chant que l’on écoute, au printemps dans les bois,

Doux chant qui ravit l’âme est moins doux que sa voix.

La famille par elle à prier invitée

Se remit à genoux ; l’oraison récitée,

En chœur elle entonna, dans un élan pieux,

Ce cantique à Marie où s’exhalaient ses vœux.

 

 

« Reine aimable au pur diadème,

» Toi qui là-haut veille sur nous,

» Pour te dire combien je t’aime,

» Et chanter la gloire à genoux.

» En vain vers toi mon âme aspire,

» D’amour s’exalte en ce moment,

» Chaque mot sur ma lèvre expire,

» Ô vierge sainte en te nommant.

 

» Alors je parcours en pensée,

» Du Jourdain les bords immortels

» Le Liban, sa crête élancée,

» Jérusalem et ses autels.

» Sous le majestueux portique

» Où de David poète et roi,

» A vibré le premier cantique,

» Mère ! je ne cherche que toi.

 

» Je te cherche et mon cœur avide

» Par un pieux zèle embrasé

» Te demande au ruisseau rapide,

» Au palmier dans les airs bercé,

» Aux buissons s’étoilant de roses,

» Aux cèdres vainqueurs du trépas

» Et dont les dômes grandioses

» Versaient leur ombre sur tes pas.

 

» Des champs heureux de Galilée

» Remplis de lumière et de fleurs,

» Si je descends dans la vallée

» Que l’aube argente de ses pleurs,

» Dans l’onde où le ciel pur se mire,

» Dans l’éclat des rayons du jour,

» Partout je t’aime et je t’admire

» Comme on t’aime au divin séjour !

 

» Dans le chant de l’oiseau timide

» Qui plane et monte vers le ciel,

» J’entends l’écho doux et candide

» De ta réponse à Gabriel ;

» Et tandis qu’en moi ta parole

» Pieusement vient retentir,

» Comme une colombe qui vole

» Pour Hébron je te vois partir.

 

» Mon cœur te suit chez Zacharie,

» Par un divin charme attiré.

» Et quand des fleurs de la prairie,

» Du Très-Haut le temple est paré,

» Je te retrouve au sein des fêtes ;

» Là, contemplant tout leur pouvoir

» Si je suis jaloux des prophètes,

» C’est qu’ils ont pu souvent te voir !

 

» Heureux celui qui sur sa lyre,

» Célèbre ta gloire sans fin.

» Heureux surtout dans son délire,

» Le mélodieux séraphin ;

» Quand l’extase qui le transporte,

» S’exhale en suaves accents,

» Et qu’à tes genoux il apporte

» Sa harpe d’or et son encens.

 

 

À son oreille encor résonnait ce cantique,

Quand Jeanne mit des fruits sur la table rustique,

Sans cesse alla, revint, multiplia ses pas ;

Le feu prêtant un charme au plus frugal repas,

Elle prit des rameaux qu’elle plaça dans l’âtre.

Par degrés s’allumant une flamme bleuâtre,

Éclaira la chaumière où bientôt la chaleur

Y répandit la joie et presque le bonheur.

Heureuse elle chanta puis partit pour la ville,

La bise était tombée et dans l’air plus tranquille,

Du séjour éternel un ange détaché,

Pour la suivre et la voir s’était d’elle approché.

Dans la plaine où souvent se joua le zéphyre,

Du soleil apparut le lumineux sourire.

Surprise tout à coup par ce rayonnement,

D’où peut venir dit-elle un si grand changement ?

L’ange lui répondit : – « Il vient de vos prières,

» Dont l’arôme est monté jusqu’aux célestes sphères ;

» Dieu voyant dans les airs des nuages fixés,

» Leur commanda de fuir, ils se sont dispersés,

» Il dit à l’aquilon : apaise-toi, silence,

» Et l’aquilon se tut soumis à sa puissance.

» Dans les champs éthérés le soleil rayonna,

» Le mont sur un fond bleu soudain se dessina,

» En son lit sablonneux l’onde courut brillante,

» L’image de ses bords s’y refléta riante,

» Et l’air frais du vallon s’exhala parfumé...

» Quand Dieu par une femme est ardemment aimé,

» Il entend sa prière et sa bonté suprême,

» Du haut du firmament l’exauce à l’instant même ! »

 

Jeanne le cœur ému, baissa ses yeux d’azur,

L’ange attachant les siens sur l’éther toujours pur,

Gracieux déploya ses rayonnantes ailes,

Et remonta rapide aux sphères immortelles.

 

 

 

Charles BOISMONT.

 

Paru dans L’Austrasie en 1863.

 

 

 

 

 

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