Bals de Noël
par
Edgar BONEHILL
I
NOËL neigeait.
Grinçant sur le gel, éveillant le soir à la clarté pâle de ses lanternes fuyantes, le coupé l’emportait. C’était exquis cette course vers le plaisir ; elle rêvait à toutes les joies de tantôt, l’œil mi-clos vers le noir de la vitre que des flocons lamaient de blanc ; la tête reposait sur le capitonné doux, bercée au roulement uniforme, plus noire ainsi, sous la pâleur des dernières roses ; un long châle enlaçait de plis larges la svelte tombée de satin, la blanche robe de bal.
La jeune fille songeait qu’elle serait ainsi, bientôt, au grand jour, sous le voile d’épousée et les fleurs d’oranger : et du rose lui venait aux joues, le front battait, un peu fiévreux.
Il était là, lui, à l’attendre, à ce bal ; c’était si doux de penser que les valses l’emporteraient à son bras ; ils parleraient de l’avenir, s’oublieraient à cueillir les fleurs d’espoir ; on l’envierait belle et rieuse, aimée. Aimée ! c’est si doux de l’être, d’y penser, de le dire tout bas, dans une rougeur.
Tantôt, il ferait grisant dans l’air tiède et alanguissant de la grande salle joyeuse, dans l’or des lustres et les frémissements de l’orchestre.
II.
C’est moins joli, Noël, sans neiges.
Dans la chambre chaude, devant une psyché large où se joue une flamme vive du foyer, la rêveuse mire le bleu de sa robe de bal.
La glace claire ment donc ? Elle voile d’ombres ce grand œil qui devrait briller comme les feux du candélabre là-devant. Elle ment ? Le sourire est mort sur ces lèvres où devraient nicher les baisers. Elle ment ? Une ride noire raie ce front où voudrait rosir la fleur des vingt ans. Elle ment ! La robe de plaisirs chante un poème triste ; ces couleurs de printemps pleurent comme un effeuillement de novembre, ce satin clair pleure comme un deuil de veuve.
Il y a un an, c’était ce bal : elle y volait radieuse, alors que l’amour lui fredonnait au cœur comme une joyeuse abeille d’or. Et maintenant c’est comme un cercueil son cœur. Elle ne veut pourtant pas pleurer les souvenirs qui y dorment. – Et peut-être que lui, l’insoucieux, folâtrait sans souvenirs, l’oubliant comme un serment !
Ne voulant pas pleurer, donc, jetant de l’orgueil sur les ruines de son âme, se souvenant qu’elle allait danser pour braver le monde et les regrets, la belle inconsolée se sourit dans la psyché.
Prête au départ, elle se drapa dans la mantille à fourrures blanches, serra l’éventail nacré à sa ceinture, ajusta au doigt le dernier bijou qui fit courir un scintillement vers la glace.
La porte s’ouvrit : on apportait le courrier, tardif, ce soir. Il y avait deux lettres de part, l’une rose, comme un sourire détachant les lettres d’or d’un nom d’enfant, en biais : c’était une naissance.
Et distraitement la jeune fille saisit l’autre, la grande enveloppe à larges bords noirs endeuillés. Elle lut.
De grosses larmes la suffoquent et roulent comme des perles sur le satin surpris.
Et maintenant la psyché ne ment plus : agenouillée sur son prie-Dieu la triste enfant pleure et sa robe est noire ; la bleue de tantôt est là qui rêve aussi, très mélancolique sur le velours rouge du sopha.
Elle n’ira pas au bal, mais à la messe de minuit, et là-bas, dans l’ombre d’une nef, sous les bras du grand Christ souffrant, elle priera pour le mort.
Edgar BONEHILL.
Paru dans Le Magasin littéraire
et scientifique en 1891.