Le cœur de Jeanne d’Arc
Quand tout fut consommé ; quand la douce Pucelle
Eut jeté son « Eli lamma sabacthani »,
Qu’il ne resta plus rien, sur le bûcher, de celle
Dont ils avaient l’effroi grandissant, infini :
« Nous sommes tous sauvés ! », dirent ceux d’Angleterre.
Mais la foule cria : « Vous êtes tous maudits :
La sainte, que l’on vient de navrer sur la terre,
Entre, colombe blanche, au sein du Paradis ! »
Le tribunal hideux fuyait, muet, farouche ;
Le peuple lui jetait des pierres ; le bourreau
Sanglotait, les yeux fous et, l’écume à la bouche,
Soudain, inanimé, tombait sur le carreau !...
... Cependant, Winchester s’avança, plein de haine,
Monta sur l’échafaud, s’inclina pour mieux voir
Et, du bout calciné d’un des tisons de chêne,
Il écarta la cendre au pied du poteau noir.
Ô prodige ! le cœur de la vierge française,
Ce cœur si doux, si tendre et cependant si fort,
Est vivant à ses pieds dans l’ardente fournaise,
Miraculeusement épargné par la mort !
« Or çà, cria l’Anglais, qu’on apporte de l’huile,
De la poix et du soufre et qu’on brûle cela ! »
L’huile ne sert de rien ; le soufre est inutile :
Quand ils sont consumés, le cœur est encor là !
Par trois fois, on brûla le cœur de la Lorraine
Et, par trois fois aussi, le feu le respecta...
Si bien que « tout vivant, en rivière de Seine,
– Dit la chronique, – en blasphémant, on le jeta ».
... Et, depuis lors, le cœur immortel de la vierge
Descend au fil de l’eau jusques à l’Océan,
Puis remonte le fleuve et vient battre la berge
Dès qu’un nouveau malheur te menace, ô Rouen !
Sitôt que l’ennemi sur nos grèves accoste
Et qu’il sent le pays abandonné de Dieu,
Il s’en revient vers toi s’offrir en holocauste,
Prêt à subir encor le supplice du feu !
Théodore BOTREL.
Paru dans Les Annales politiques
et littéraires en 1909.