Christophe Colomb

 

 

 

 

« – Que me veux-tu, Fernand ? ta pâleur m’annonce une nouvelle sinistre, – Hélas ! tous mes efforts ne peuvent contenir l’équipage révolté ! S’il ne découvre bientôt le rivage, vous serez victime de sa fureur : déçu dans ses espérances, il demande à grands cris le sang du chef qu’il accuse de l’avoir trompé. »

 

À peine il a parlé que la foule irritée s’élance dans la chambre de l’amiral. La rage et le désespoir se peignent dans leurs yeux caves, sur leurs visages épuisés par la famine : « – Traître ! s’écrient-ils, où est la fortune que tu nous as promise ?

 

« Tu ne nous donnes pas de pain ; eh bien, donne-nous du sang ! – Du sang ! répète la troupe déchaînée. » L’amiral, avec calme, oppose son courage à leur fureur. « – S'il vous faut du sang, abreuvez-vous du mien, leur dit-il, et vivez. Cependant je vous demande de me laisser, une fois encore, voir le soleil se lever sur cet horizon.

 

« Si demain l’aurore n’éclaire point une plage libératrice, je me dévoue au trépas ; poursuivons jusque là notre entreprise, et ayons confiance en Dieu. » La majesté du héros triomphe encore une fois de la révolte. Ils s’éloignent, son sang est épargné.

 

« – Oui, jusqu’à demain. Mais si les premières clartés ne nous montrent point un rivage, tu auras vu le soleil pour la dernière fois. » Le terrible pacte est signé, et l’aurore prochaine doit décider le sort du grand homme.

 

Le soleil disparaît, le jour fuit ; la proue des navires sillonne la vaste mer avec un bruissement lugubre ; les étoiles s’attachent silencieuses au firmament. Mais nulle part un rayon d’espoir ; nulle part, sur ce désert humide, un point ou l’œil puisse se reposer.

 

Le sommeil n’a point approché les paupières de Colomb. Sa poitrine est oppressée ; son regard, fixé vers l’occident, cherche à percer les ténèbres : « – Hâte ton vol, ô mon navire ! que je ne meure point avant de saluer la terre que Dieu a promise à mes rêves.

 

« Et toi, Dieu tout-puissant, jette un regard sur ces matelots qui m’entourent ! ne les laisse point tomber sans consolation dans cet immense sépulcre ! » Ainsi s’exprimait l’émotion du héros, lorsqu’un pas rapide se fait entendre. « – C’est toi, Fernand ! que vient encore m’annoncer ta pâleur ?

 

« – Ah ! Colomb, tout est perdu ! le crépuscule apparaît à l’orient. – Sois tranquille, ami, toute lumière est envoyée par Dieu ; sa main touche d’un pôle à l’autre ; elle m’aplanira, s’il le faut, le chemin de la mort. – Adieu, Colomb, adieu ; les voilà, les voilà, ces furieux, qui s’avancent ! »

 

À peine il a parlé que la foule irritée s’élance dans la chambre de l’amiral. « – Je sais ce que vous demandez, leur dit-il ; je suis prêt : la mer aura sa proie. Mais poursuivez mon entreprise, car le but n’est pas loin. Que Dieu pardonne à votre égarement ! »

 

Les épées résonnent menaçantes, un cri sauvage et meurtrier perce les airs ; le héros se prépare avec calme au sort qui l’attend. Tous les liens du respect sont brisés : on le saisit, on le traîne au bord de l’abîme... Terre !... ce mot retentit du haut des vergues : Terre ! terre !

 

Une bande de pourpre à l’horizon frappe tous les yeux ; c’est la plage de salut que dorent les rayons du ciel, cette plage devinée par le génie... Tous se précipitent interdits aux pieds du grand homme, et adorent Dieu.

 

 

 

Louise BRACHMANN.

 

 

 

 

 

 

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