Conte de Noël

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Marguerite BURNAT-PROVINS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VERS le dixième mois après ma mort. Dieu le Père dit : « S’il t’en coûte trop de ne point voir ton fils, je te permets d’aller cette nuit dans ta maison. » Et je redescendis vers la terre.

Sous sa cape de brume froide, ma vieille ville sommeillait ; il n’était pas minuit et les vitraux de la cathédrale étaient encore pleins d’ombre. Dans notre quartier, le vent du nord se tordait, déchiré aux façades mornes, le gel avait vitré le ruisseau et l’arbre qui dépasse le mur, à l’angle de la rue des Récollets, claquait des branches, comme on claque des dents.

J’entrai dans ma demeure sans le savoir, mon âme filtrant à travers la muraille et quand j’y fus, il me sembla que j’avais retrouvé mes artères anéanties, qu’un sang neuf se mettait à bouillir dans mon corps réédifié.

Mais, je n’étais plus rien, c’était bien fini et j’allai de chambre en chambre, arrêtée à tout moment par des surprises cruelles. Dans le bureau de mon mari, sur la table de travail, ma photographie n’était plus au même endroit, mais un peu en retrait. J’avais cédé la place à une femme blonde assez belle, d’après ce que disait le grand portrait qui avait effacé le mien. Deux fois morte, je me mis à regretter follement la vie.

Une odeur de bon souper restait aux murs de la salle à manger, des braises rougeoyaient encore au fond de l’âtre, je tendis mes mains de fantôme et ne sentis point la chaleur de mon foyer. Une désespérance infinie me terrassait.

Allais-je oublier que j’étais venue pour voir mon fils, dont la petite figure me poursuivait par l’autre monde ! Je montai doucement, mais son berceau n’était plus dans ma chambre transformée. Mon lit avait quitté son coin, là, rien de moi n’était resté et je sanglotai debout dans cette chambre inconnue où mon passé était enseveli.

Je compris que mon mari et sa femme avaient dû courir à quelque fête, à un réveillon joyeux et que le petit était là tout seul, tout seul, mon Dieu ! Je le trouvai, bien pâle, avec un cerne mauve autour de ses yeux clos. Une grosse fille que je n’avais jamais vue dormait dans une couchette auprès de lui. Sur la cheminée brûlait la veilleuse qui rassurait les nuits de mon enfance, la veilleuse aux panneaux de verres peints, où l’on voyait un château dans les bois, un pont, un âne monté par une jolie fille... ce pauvre lumignon éclairait le triste sommeil de mon enfant.

Je me penchai, exténuée de tristesse, et, pour oublier la vie comme la mort, je mis mon front contre le sien sur l’oreiller, avec le geste d’autrefois. Mais je ne sentis pas plus la chaleur de la tête fragile que celle des cendres rougies. C’était trop de ruines et mon âme se tordit dans la plus affreuse angoisse.

À ce moment, au pied du berceau, une clarté douce et bleue s’étendit, comme la traîne d’argent de la lune sur les clairs des Flandres. Jésus enfant me regardait.

Toute la divine pitié s’épandait dans ses yeux idéalement purs, il étendit la main vers mon fils et me dit : Prends-le.

Je l’ai enveloppé de ses langes et de sa couverture de laine et, le serrant tout centre moi, je l’ai emporté.

 

 

Marguerite BURNAT-PROVINS,

Contes en vingt lignes, 1922.

 

 

 

 

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