La jeune fille malade

 

ÉLÉGIE

 

 

L’HUILE sainte a touché les pieds de la mourante.

L’arrêt fatal est prononcé :

L’art n’a point de secours pour cette âme souffrante.

Le monde pour elle a cesse.

Tout s’éloigne ; tout fuit ; hélas ! l’amitié même

À l’effroi des derniers adieux

Se dérobe, en baissant les yeux.

Intrépide témoin de ce moment suprême,

Là mère est seule enfin près de l’enfant qu’elle aime.

 

Elle s’enferme alors sous les obscurs rideaux ;

Écarte loin du lit les funèbres flambeaux ;

Et, d’un œil que la foi rassure,

Regarde, sans pâlir, le crucifix de bois

Que la vierge chrétienne a saisi de ses doigts,

Et l’eau sainte, et le buis à la sombre verdure,

Du chevet des mourants douloureuse parure.

 

Mais quand elle voit de plus près

Le sinistre frisson qui parcourt tous ses traits,

Et ce front d’où découle une sueur mortelle,

Et cet œil qui s’éteint ! « Ô mon enfant, dit-elle,

« Si tu vis, je vivrai mais, si tu meurs, je meurs.

« Déjà la tombe enferme et ton père et tes sœurs ;

« Seules nous nous restons ; toi seule es ma famille !

« Et tu me quitterais, toi, mon sang, toi, ma fille !

« Non, tu vivras pour moi ; Dieu voudra te guérir ;

« Ta mère t’aime trop, tu ne peux pas mourir.

« Je ne sais quelle voix me dit encore, espère.

« Hélas ! pour espérer est-il jamais trop tard ?

« Jeune âme de ma fille, oh ! suspends ton départ,

« Et pour quitter ce monde, attends du moins ta mère. »

 

Ainsi la foi l’anime et l’espoir la soutient.

Mais par quels soins touchants cet espoir s’entretient !

Elle courbe son front sur la jeune victime ;

De son souffle abondant la réchauffe et l’anime ;

Saisit la froide main ; d’un doigt mal assuré

Interroge le pouls dans sa marche égaré,

Joint le doux suc du miel au doux jus de l’orange,

Et dans sa bouche en feu versant ce frais mélange,

Par un breuvage heureux cherche à combattre enfin

Le brasier de la fièvre allumé dans son sein.

 

Et déjà cependant, évoquant ses ténèbres,

Ses larves, ses terreurs, ses spectres menaçants,

        L’Agonie, aux ailes funèbres

De la vierge expirante, égarait tous les sens ;

Et l’ange du départ sur ses lèvres muettes

Répandait de la mort les pâles violettes.

 

À ce spectacle affreux, le front humilié,

Prenant entre ses bras son Dieu crucifié :

« Toi seul peux la sauver, Dieu puissant ! dit la mère ;

« Ce n’est qu’en ton secours maintenant que j’espère.

« Oui, sur ma pauvre enfant j’appelle tes bontés.

« Ses jours, si peu nombreux, sont-ils déjà comptés ?

« Tu vois l’affreuse lutte où se débat sa vie.

« De ce calice amer tu bus jusqu’à la lie,

« Je le sais ; et la mort fut digne encor de toi.

« Je n’ose à tes douleurs égaler ma misère ;

« Mais souviens-toi des maux que dut souffrir ta mère,

         « Et tu prendras pitié de moi.

« La fille de Jaïr à ta voix fut sauvée.

« Tu lui dis : Levez-vous. La fille s’est levée ;

« De l’éternel sommeil elle dormait pourtant ;

« La mienne au moins respire, et peut-être m’entend. »

 

En prononçant ce mot ; elle craint d’en trop dire,

        Et vers le lit revient soudain

S’assurer qu’en effet sa fille encor respire.

Puis sous les blancs rideaux qu’à soulevés sa main

De la mère du Christ apercevant l’image :

« Toi qui fus mère aussi, tu conçois mes douleurs.

« D’un hymen trop fécond voilà le dernier gage.

« De ton nom, au berceau, je dotai son jeune âge.

« Je vouai son enfance à tes blanches couleurs.

« Ce nom, ce vêtement m’étaient d’un doux présage ;

« Et quand ma fille et moi, nous tenant par la main,

« Nous allions à l’église invoquer ta puissance,

         « Les compagnes de son enfance,

        « Voyant de loin par le chemin,

« Et sa blanche tunique et son voile de tin,

« Se disaient : Celle-là, dans ses destins prospères,

« Aura des jours d’amour, d’innocence et de paix.

« Et moi, l’œil attaché sur ses chastes attraits,

« Je me trouvais encore heureuse entre les mères. »

 

Ainsi disait la mère, et la nuit s’écoulait.

        Depuis neuf jours elle veillait.

Déjà l’aube naissante a rougi le nuage ;

Le jour se lève, armé de feux plus éclatants ;

Le jour la voit encor devant la sainte image.

Longtemps elle y gémit ; elle y pria longtemps.

 

Tandis qu’elle priait : « Ma mère... ou donc est-elle ?

« (Dit une faible voix) Oh ! viens... je me rappelle

« Qu’un étrange sommeil a pesé sur mes yeux.

« Dieu ! quel songe à la fois triste et délicieux !

« Dans mon accablement, je me sentais ravie

« Loin de notre humble terre et par-delà les cieux.

« C’était un autre jour ; c’était une autre vie.

« Dans ce monde nouveau, paisible, exempt de soins,

« D’étoiles et de fleurs ta fille couronnée,

« Cherchait ta main pour guide et tes yeux pour témoins.

« De fronts purs et joyeux j’étais environnée,

« Et mon âme pourtant né goûtait qu’à moitié

« Ce bonheur imparfait dont j’étais étonnée.

« Ma mère... où donc est-elle ? ai-je aussitôt crié,

« Et les anges en chœurs vers toi m’ont ramenée. »

 

 

 

Vincent CAMPENON.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1825.

 

 

 

 

 

 

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