Noël

 

À MA MÈRE

 

 

                                    I

 

Dans une chambre obscure un pauvre enfant dormait.

La mort l’allait ravir au foyer qu’il charmait ;

Sa poitrine oppressée exhalait une plainte,

Et de ses bras raidis dans une vive étreinte

Il serrait sur son cœur un petit oreiller.

 

La mère de l’enfant, pour ne pas l’éveiller,

Debout près du berceau retenait son haleine.

Étouffant les soupirs dont son âme était pleine,

Elle courbait son front par les veilles blêmi

Et caressait des yeux son enfant endormi.

 

– Elle veillait son fils, la pauvre malheureuse,

Espérant l’arracher à la sombre faucheuse ! –

 

 

 

 

                                    II

 

                        Un ange au radieux visage,

                        Penché sur le bord d’un berceau,

                        Semblait contempler son image

                        Comme dans l’onde d’un ruisseau.

 

                        REBOUL.

 

 

Mais l’enfant s’éveilla. Vers sa mère il tendit

Ses petits bras maigris, et doucement lui dit :

 

« Maman, écoutez-moi; j’ai fait un rêve étrange.

Pendant que je dormais, j’aperçus un bel ange

Qui, s’avançant vers moi, me dit : « Jésus t’attend. »

 

Je prends sans avoir peur une main qu’il me tend,

Je le suis.

               « Bel ami, quelle est donc cette route ? »

Fis-je.

           « Mon cher enfant, c’est la vie. »

                                                                   Et j’ajoute,

En le voyant si bon :

                                     « Ange, où donc allons-nous ?

 

« – Vers le Maître éternel qu’on adore à genoux.

« – Ami, ce n’est pas vers Jésus qui me protège,

« À qui les chérubins font un divin cortège,

« À qui chaque matin je dis une oraison

« Qu’il ne veut écouter – avec grande raison –

« Quand j’ai fait de la peine à ma petite mère ?

 

« – Nul être, cher enfant, dit l’ange, n’énumère

« Les bontés de celui vers qui je te conduis.

 

« De l’univers entier les immenses produits

« Sont au petit Jésus, sont au Maître suprême.

 

« Pour les jeunes enfants son amour est extrême.

 

« – Mais, mon beau compagnon, hier au soir je sus

« Par ma chère maman que le petit Jésus

« Va venir m’apporter des choses bien jolies :

 

« Un chien, un vieux guignol faisant mille folies,

« Un cheval mécanique, un sabre, des fouets...

« Je dois rester chez moi pour prendre ces jouets.

 

« – Non, le petit Noël te veut offrir lui-même

« Ces dons. Il ornera ton front d’un diadème

« Qui doit comme un soleil briller au paradis,

« Et tu seras un ange, enfant ! »

 

                                                     Mais je lui dis :

« Comment suis-je sorti sans que maman permette ?

« Je voudrais bien rentrer.

                                             – Il faut qu’on se soumette

« À l’ordre de celui qui nous gouverne tous.

 

« Le beau ciel est, enfant, le lieu du rendez-vous

« Où tout homme se trouve à son heure indiquée.

 

« À cet appel jamais l’âme revendiquée

« Ne manque d’accourir.

                                           Ta mère, mon ami,

« Auprès de ton berceau, te voyant endormi,

« De ses yeux mouillés croit sur ton visage blême

« Du sommeil éternel lire déjà l’emblème.

« Bénis Notre-Seigneur et le petit Noël,

« Car ils vont te donner comme présent... le ciel ! »

 

Nous étions arrivés devant cette demeure.

 

Je m’arrête, et lui dis :

                                      « Mais il faut que je meure

« Pour entrer dans le ciel qu’habite le bon Dieu,

« Il faut quitter mon père et que je dise adieu

« À ma chère maman que j’adore !

                                                           Bel ange,

« Je ne veux pas du ciel, car je perds à l’échange ! »

 

M’entraînant malgré moi vers le petit Jésus,

Le messager divin, que je ne voyais plus

– Tellement les rayons de la tête sacrée

Du Père qui nous aime et du Dieu qui nous crée

Projetaient sur mes yeux un éblouissement, –

Me laissa consterné dans le même moment

Aux pieds d’un jeune enfant à peu près de ma taille.

 

Inutile, maman, que ma lèvre détaille

La beauté de Jésus, la splendeur de son ciel ;

Je ne te dirai que le fait essentiel.

Je me mis à genoux, et, les yeux pleins de larmes :

 

« Ô mon petit Jésus, dissipe mes alarmes.

« Est-ce vrai que je dois rester dans ce séjour ?

« Est-ce vrai qu’il me faut, à partir de ce jour,

« Vivre ici, près de vous, et ne plus voir ma mère ?

« Je rêve, n’est-ce pas, et c’est une chimère ?

« Réponds, mon doux Jésus, réponds avec bonté,

« Oh ! ne me laisse pas dans mon anxiété ! »

 

Mais Jésus : « Pourquoi donc retourner sur la terre,

« Où tout n’est que chagrin, où tout n’est que misère ?

« Pourquoi vouloir quitter la splendeur que voilà ?

 

« – Parce que, bon ami, ma mère habite là !

 

« – Mais ici, mon enfant, tout est bonheur et joie;

« Aux embûches, au mal, on n’est jamais en proie ;

« On n’y pleure jamais; le plaisir règne ici.

« Reste donc près de moi, je suis ton père aussi,

« C’est moi qui te créai, c’est moi qui te fis naître !

 

« – C’est ma mère, Jésus, qui me fit vous connaître !

 

« – Eh bien ! répondit-il, feignant d’être irrité,

« Va dans ces lieux maudits que tu viens de quitter.

« Vis donc, mais garde à toi ; je te prendrai ta mère,

« Cette grande douleur sera la moins amère,

« Car ma main sèmera tous les maux sous tes pas,

« Pour punir ce dédain que je ne comprends pas !

 

« – Tu ne me comprends pas ? Tu te mets en colère !

« Eh quoi ! mon bon Jésus, tu n’as pas eu de mère ? »

Dis-je en le regardant, et ce mot le toucha.

 

Le sourire à la lèvre, alors il attacha

Sur moi deux yeux charmés, et me dit :

                                                                  « Va, mon frère,

« Ton amour filial ne pouvait que me plaire.

 

« En aimant bien sa mère on obéit à Dieu !

 

« Vis longtemps avec elle, enfant, et sois heureux. »

 

Puis je me réveillai. »

 

 

 

 

                                    III

 

                        Oh ! l’amour d’une mère !

                        amour que nul n’oublie !

                        Victor HUGO.

 

 

                                         L’enfant rose et sans fièvre

– Sur le front de sa mère en riant met sa lèvre,

Il dit d’un air câlin et confidentiel :

 

« J’aime mieux ton baiser que les trésors du ciel ! »

 

Elle, pour un instant, avait quitté la terre;

Vers le Maître éternel une douce prière

S’envolait de son cœur. Elle riait, pleurait.

 

Quoi ! son enfant parlait ! l’enfant qui se mourait,

Son enfant presque mort, revenait à la vie !

Il vivait ! il vivrait !

                                  Et son âme ravie

Remerciait Jésus, car le petit Noël,

Prenant enfin pitié de sa douleur amère,

Apportait à tous deux ce don qui vaut le ciel :

 

À la mère un enfant, à l’enfant une mère !

 

 

Décembre 1879.

 

 

 

CARLOS-RENDON, Les préludes.

 

 

 

 

 

 

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