Le pardon
Jérusalem dormait. Au seuil des portes closes,
L’aurore épanouie avait semé ses roses,
Et déjà le soleil lançait ses flèches d’or...
Jérusalem dormait, silencieuse encor...
Tout à coup, un murmure, un grondement de foule
S’élève dans le ciel tout vibrant de clarté,
Et comme un flot qui monte, irrité par la houle,
Tout le peuple se rue à travers la cité !
Et devant lui, cherchant son salut vers la plaine,
La robe déchirée et les cheveux flottants,
Une femme s’enfuit et court à perdre haleine,
Elle est belle, elle est jeune, elle n’a pas vingt ans...
Elle vole, effarée ainsi qu’une gazelle,
Mais le souffle et le cœur lui manquent à la fois...
Elle s’arrête alors, éperdue et sans voix,
Sachant que la pitié n’est pas faite pour elle,
Et la peur élargit l’orbe de ses grands yeux...
Elle tombe à genoux et regarde les cieux,
Car l’implacable mort la touche de son aile...
L’arrêt sera rendu, terrible, mais légal ;
Le supplice infamant, la mort à coups de pierre,
Pour avoir violé le serment conjugal !...
Ce pauvre corps, déchu de sa beauté première,
Fut traîné jusqu’au temple à travers les graviers.
À cette heure, Jésus, beau comme la lumière,
Descendait en priant le mont des Oliviers...
Son visage était doux, sa démarche était lente...
Mais deux bras suppliants, dans la foule hurlante,
Vers Lui se sont tendus. Il s’est vite approché...
Un éclair fugitif jaillit de sa paupière,
Et le Juge apparaît sous le Sauveur caché :
« Qu’il ose le frapper de la première pierre,
« Celui d’entre vous tous qui n’a jamais péché !... »
La sentence a grondé comme un éclair de foudre,
À leur face jetant la honte et le remords...
Tous reculent, tremblants, plus pâles que des morts...
Les Prêtres condamnaient... Le Christ allait absoudre !...
Son visage reprit des lueurs de bonté,
Et son doigt, effleurant le front de cette femme,
Celle qui n’attendait que le supplice infâme,
Entrevit l’espérance avec sa volupté !...
Un mot consolateur caressa ses oreilles,
Et son corps tressaillit de joie en ce moment,
Car Jésus pardonnait... Alors, timidement,
Elle leva la tête... et comme les abeilles
Puisent au sein des fleurs pour en boire le miel,
Dans les yeux de Jésus, ses yeux burent le ciel !...
Elle se mit debout sous l’effluve mystique,
Et d’un pas grave et lent traversa le portique,
Emportant de Jésus le reflet radieux...
Son ombre se perdit dans les campagnes vertes...
Et ses bourreaux avaient des larmes dans les yeux !
Et les pierres glissaient de leurs mains entr’ouvertes !...
Une immense pitié semblait tomber des cieux !
Et l’oiseau dans son nid, le fauve en sa tanière,
Et depuis l’Olivier jusqu’à l’humble chardon,
La terre, les rochers et la nature entière,
Tout frémit... s’inclinant comme en une prière
Devant le repentir... et le premier pardon !
William CHAUMET.
Recueilli dans Répertoire poétique,
poésies et monologues recueillis
par Camélienne Séguin,
Montréal, 1937.