Les orphelins de Bethléem
par
Frédéric CHRISTOL
Bethléem est à une heure et demie de Jérusalem ; on y arrive par la plaine des Géants ou Rephaïm, à l’extrémité de laquelle on laisse, à droite, le tombeau de Rachel et la route d’Hébron. Il semble encore que la nature crie depuis des siècles : Qu’avez-vous fait du roi de Bethléem ? comme disait Mireille, de Mistral. Cependant, dans cette, petite ville de Juda, il y a plus de travail, d’instruction et moins de mendiants que partout ailleurs dans le pays. – C’est avec une grande joie que nous nous y rendîmes le 24 décembre 1878. M. Muter, qui est à Bethléem depuis trente ans environ, nous reçut chez lui avec une hospitalité qui nous fit le plus grand bien. Il y a dans la maison une vingtaine d’orphelins, filles et garçons, qui contribuèrent à nous réjouir à leur façon. C’était plaisir à les voir jouer pendant leur récréation, faire chacun sa part des travaux de la maison avec un entrain que nous ne connaissions guère aux indigènes. Après le dîner, nous entrâmes dans une grande chambre où était l’arbre de Noël. Les enfants étaient rangés en cercle, en aussi grande tenue que faire se pouvait, éblouis des richesses étalées devant eux et impatients d’arriver au moment psychologique. Ils chantèrent quelques cantiques, racontèrent la naissance de Jésus ; puis ils reçurent tous une assiettée de petits gâteaux, qui leur fit bien plus plaisir que le reste ; quant à leur nouvelle paire de souliers, ils semblèrent la regarder avec un grand dédain. Les filles reçurent des poupées, les garçons des ballons et des livres d’images. Dans le fond de la chambre, on voyait un grand ange peint, et au-dessus, dans les trois langues – arabe, allemand et français – « Gloire soit à Dieu, au plus haut des cieux ! »
Nous nous rendîmes ensuite à l’Église de la Nativité et dans la grotte de ce nom. Là, nous vîmes une étoile en cuivre doré clouée sur le sol, et tout autour ces mots : « Ici est né Jésus de la Vierge Marie ! » Dans cette grotte se tient toujours un soldat turc, qui y monte la garde. De tous côtés sont suspendues des lampes appartenant au rite grec, au rite latin, arménien, « pour rappeler que la grande lumière a lui pour ceux qui marchaient dans le pays de l’ombre de la mort. » (Es. IX, 1.)
Dans la partie de l’Église qui appartient aux Latins étaient installés et assis par terre des centaines d’indigènes. Vers minuit, parut un grand personnage qui honorait la fête de sa présence ; il était en grand uniforme, précédé de quatre cavass, ou gardes d’honneur, splendidement habillés, munis d’énormes cannes à pommeau d’argent ; ils frappaient ensemble sur les dalles de l’antique basilique, et faisaient reculer d’effroi et d’admiration la foule qui se trouvait sur leur passage. Bientôt après parurent de nouveaux cavass, suivis du patriarche latin de Jérusalem qui présidait la fête. Il avait sur la tête une énorme tiare chargée d’ornements d’or, d’argent et de pierres de toutes couleurs ; il était couvert d’un grand manteau où l’or aussi « se relevait en bosse », et dans ses bras il portait une corbeille contenant une poupée en cire, qui représentait l’Emmanuel ! Un vieux chroniqueur dit : « C’est ici où li anges nonça aus pastour la nativité de Nostre Signour, là fut chanté primièrement Gloria in excelsis Deo ! » En sortant de la basilique, les étoiles scintillaient au ciel et nous remplissaient de joie, nous apportant comme un écho du premier chant des Anges : « Je vous annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple, c’est qu’aujourd’hui dans la cité de David, le Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur vous est né. »
Frédéric CHRISTOL,
Noël chez les lépreux de Jérusalem
et Les orphelins de Bethléem, 1879.