Légende de Geoffroid d’Iden

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jacques COLLIN DE PLANCY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On résiste à la prière ; on cède à la menace.

HUGUES BLAIR.

 

Pierre le Vénérable raconte que, dans la première moitié du douzième siècle, le seigneur Humbert, fils de Guichard, comte de Beaujeu, dans le Maçonnais, ayant fait la guerre à d’autres seigneurs de son voisinage, Geoffroid d’Iden, l’un de ses vassaux, reçut dans la mêlée une blessure qui le tua sur-le-champ. Deux mois après sa mort, Geoffroid apparut à Milon d’Ansa, qui le connaissait bien ; il le pria de dire à Humbert de Beaujeu, au service duquel il avait perdu la vie, qu’il était en purgatoire, pour l’avoir aidé dans une guerre injuste et n’avoir pas expié ses péchés par la pénitence, avant sa mort imprévue ; qu’il le suppliait donc instamment d’avoir compassion de lui, et aussi de son propre père Guichard, qui, bien qu’il eût mené la vie religieuse à Cluny dans les derniers temps de sa vie, n’avait pas satisfait entièrement à la justice de Dieu pour ses péchés passés et surtout pour une partie de ses biens qui, comme ses enfants le savaient, était mal acquise ; qu’en conséquence il le conjurait de faire offrir pour lui et pour son père le saint sacrifice de la messe, de distribuer des aumônes aux pauvres et de recommander l’un et l’autre des patients aux prières des gens de bien, afin d’abréger leur pénitence. Dites-lui, ajouta l’apparition, que s’il ne vous écoute pas je devrai aller moi-même lui annoncer ce que vous venez d’entendre.

Le seigneur d’Ansa (aujourd’hui Anse) s’acquitta fidèlement de la commission qui lui était imposée. Humbert en fut effrayé ; mais il ne fit ni prier, ni réparer et ne distribua point d’aumônes.

Toutefois, craignant que Guichard son père ou Geoffroid d’Iden ne vînt l’inquiéter, il n’osait plus demeurer seul, surtout pendant la nuit ; et il avait toujours autour de lui quelques-uns de ses gens qu’il faisait coucher dans sa chambre.

Un matin, comme il était encore au lit, mais éveillé, il vit paraître devant lui Geoffroid d’Iden, armé comme au jour de la bataille. Lui montrant la blessure mortelle qu’il avait reçue et qui paraissait encore toute fraîche, il lui reprocha vivement son peu de pitié pour lui et pour son père, qui gémissait dans les tourments ; et il ajouta : Prends garde que Dieu ne te traite dans sa rigueur et qu’il ne te refuse la miséricorde que tu ne nous accordes pas ; et pour toi, abandonne la résolution que tu as prise d’aller à la guerre avec Amédée. Si tu y vas, tu y perdras la vie et les biens.

En ce moment Richard de Marsay, l’écuyer du comte, entra, venant de la messe ; le mort disparut, et dès lors Humbert de Beaujeu travailla sérieusement à soulager son père et son vassal, après quoi il fit le voyage de Jérusalem pour expier ses propres péchés.

 

 

Jacques COLLIN DE PLANCY,

Légendes de l’autre monde, s. d.

 

 

 

 

 

 

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