Guido et son frère
par
Jacques COLLIN DE PLANCY
Le frère qui oublie son frère
n’est plus un homme ;
il est un monstre.
S. JEAN CHRYSOSTOME.
Le même Pierre le Vénérable raconte encore l’histoire d’un seigneur de son temps, nommé Guy ou Guido, lequel avait reçu la mort dans un combat ; ce qui était fréquent au moyen âge, où les comtes et les barons étaient avant tout de grands batailleurs. Comme celui-là n’avait pas pu faire sa dernière confession, il apparut tout armé à un prêtre, quelque temps après sa mort.
Stéphane, lui dit-il (c’était le nom du prêtre), je vous prie d’aller trouver mon père Anselme ; vous lui direz que je le conjure de restituer un bœuf que j’ai pris à un paysan (il le désigna), et aussi de réparer le dommage que j’ai fait à un village qui ne m’appartenait pas, en lui imposant des charges injustes. Je n’ai pu ni confesser, ni expier ces deux péchés pour lesquels je suis tourmenté durement.
Pour assurance de ce que je vous dis, continua l’apparition, je vous annonce que, quand vous rentrerez dans votre maison, vous trouverez qu’on vous a volé l’argent que vous aviez épargné pour faire le pèlerinage de Saint-Jacques.
Le curé, de retour, reconnut en effet qu’on avait forcé son coffre et enlevé son argent ; mais il ne put s’acquitter de sa commission, parce que Anselme était absent.
Peu de jours après, le même Guido apparut une seconde fois pour reprocher à Stéphane sa négligence. Le bon curé s’excusa sur l’impossibilité où il s’était trouvé jusque-là de rencontrer Anselme ; mais apprenant qu’il était revenu dans son manoir, il s’y rendit et remplit fidèlement sa commission.
Il fut accueilli très sèchement. Anselme lui répondit qu’il n’était pas obligé de faire pénitence pour les péchés de son frère ; et sur ces paroles il le congédia.
Le mort, qui ne ressentait aucun soulagement, se montra une troisième fois, et en gémissant sur la dureté de son frère, il supplia l’honnête serviteur de Dieu d’avoir lui-même compassion de sa détresse et de le secourir dans son extrémité. Stéphane ému le promit. Il restitua le prix du bœuf volé, fit des aumônes au village maltraité, dit des prières, recommanda le défunt à tous les gens de bien qu’il connaissait, et dès lors Guido ne reparut plus.
Jacques COLLIN DE PLANCY,
Légendes de l’autre monde, s. d.