Le pèlerinage d’Olivier Leefdale
À LA RECHERCHE DE GODEFROID-LE-BARBU
par
Jacques COLLIN DE PLANCY
Prosperum iter faciat tibi Deus,
et custodiant te angeli Dei,
in omnibus viis tuis.
ANCIEN RITUEL
I
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
Ceci est la relation de mon pèlerinage à la recherche de monseigneur Godefroid de Louvain, aujourd’hui Comte de Brabant et duc de la Lotharingie Inférieure. On y verra comment je suis parti de Brabant le 12 avril de l’année 1097, pour n’y revenir qu’au mois de janvier de l’an 1100.
Aux fêtes de Pâques de l’année 1096, pendant que tous les chrétiens, animés par les pieuses prédications du bienheureux ermite Pierre, se hâtaient de prendre la Croix pour aller délivrer le sépulcre de Notre-Seigneur, on vit plusieurs princes et nobles personnages exciter leurs amis à les accompagner. Ils donnaient, pour les réunir, de grandes fêtes en leurs cours.
Monseigneur Éverart, prince de Tournay, avait annoncé des jeux militaires. Les plus vaillants hommes y étaient invités. Parmi tous, on remarquait monseigneur Henri-le-Troisième, comte de Louvain et avoué de plusieurs abbayes. Ayant revêtu sa bonne armure de buffle chargée de lames de fer, il fit équiper son cheval de combat, avec les tabliers de cuir et le chanfrein d’argent ; puis il embrassa Gertrude de Flandre, sa femme, la bonne comtesse Adèle, sa mère ; et, suivi de deux écuyers seulement, il partit de son château de Louvain pour la ville de Tournay. Il fit ce voyage en quatre jours, s’étant arrêté, pour passer les nuits, à Bruxelles, à Enghien, et en un manoir voisin d’Ath. Plusieurs chevaliers de ces lieux-là s’étaient joints à lui.
Le seigneur Éverart fut content de l’honneur que lui faisait le comte de Louvain. Il voulut le loger chez lui, tout le temps de son séjour à Tournay. Il habitait le vieux château royal qui est dans l’île formée au bas de la ville par le petit bras de l’Escaut 1. Sur la rive gauche, entre le fleuve et la cathédrale, il avait fait préparer une lice pour le tournoi.
Avant de combattre, bon nombre de seigneurs reçurent la croix, comme il s’était fait à la passe d’armes de monseigneur Baudouin de Hainaut à Anchin ; et ils jurèrent de faire le saint voyage en la compagnie de Godefroid de Bouillon, qui rassemblait une grosse armée. Monseigneur le comte de Louvain promit aussi d’aller aux saints lieux, mais toutefois après le retour de son frère Godefroid, qui était parti depuis longtemps déjà, avec les premiers Croisés. Il ne devait pas remplir ce vœu.
Le tournoi s’étant ouvert, il se fit de belles joutes et rencontres, d’un contre un, deux contre deux, dix contre dix. C’était un spectacle de guerre qui faisait grand fracas, toutefois sans effusion de sang : car les armes de fer se heurtaient avec bruit ; mais n’étant qu’armes de jeu, elles ne perçaient point.
Par malheur et fâcheuse affaire, au milieu du dernier jour qui devait clore le tournoi, Monseigneur Henri de Louvain eut une querelle, on ne sait pourquoi, avec le seigneur Gosceguin, chevalier du Tournaisis. Ils se reprirent à voix basse et sans qu’on soupçonnât qu’ils disputaient avec fiel. Puis ils sortirent tous deux un instant et demandèrent au retour qu’on leur donnât le champ. On ne s’aperçut pas qu’ils avaient changé leurs armes et pris des lances de guerre. La lice leur fut laissée ; la foule se mit à regarder qui des deux romprait la lance de son adversaire. On vit rapidement le combat devenir sérieux et animé. Au bout d’un quart d’heure au plus, on fut surpris par un évènement terrible : le comte de Louvain tomba, percé d’un coup de lance qui lui traversait la poitrine.
Le seigneur Gosceguin, abandonnant son arme, se retira en l’église de Saint-Piat. Il n’en sortit que quand on se fut assuré que le combat s’était passé loyalement, et que le comte Henri était armé aussi de la lance affilée. Le pauvre prince mourut peu d’instants après, ayant eu le temps à peine de reconnaître ses torts, de recevoir la sainte communion, et de recommander qu’on rappelât son frère Godefroid de la Palestine pour lui succéder, car il ne laissait que des filles. Le tournoi fut clos avec consternation, à cause d’une calamité si grande ; et les seigneurs du pays, s’étant assemblés à Louvain, donnèrent la régence à la comtesse Adèle, qui administra au nom de son second fils Godefroid.
On envoya à la recherche de ce prince plusieurs messagers, chargés de lui annoncer la mort de son frère et de le ramener pour hériter du comté de Louvain. Mais, de ces messagers, les uns ne revinrent jamais, d’autres reparurent sans avoir rien découvert. Un seul, qui s’appelait Hugues, après huit mois de pénibles voyages, rapporta pour tous détails qu’il avait parlé à divers chevaliers dans le pays de Constantinople, et à l’empereur d’Asie lui-même, et que tous l’avaient assuré que le seigneur Godefroid de Louvain était captif chez les infidèles. Mais il n’avait pu savoir en quelles contrées. D’autres renseignements qui vinrent pendant l’hiver confirmèrent ce triste rapport.
La grande armée des Croisés que conduisaient Godefroid de Bouillon, Hugues de Vermandois, Baudouin de Mons, Robert de Paris et Robert de Flandre, était partie. On avait promis de hautes récompenses à celui qui pourrait ramener le comte de Louvain ; mais ces promesses n’avaient produit aucun résultat. On en fit de nouvelles. On demanda des hommes qui voulussent se consacrer spécialement à la recherche du prince et jurer de ne pas revenir sans lui. Le seigneur évêque de Tournay, le seigneur évêque de Liège et d’autres prélats offrirent aussi pour ce périlleux voyage de grandes faveurs. Mais personne ne s’y décidait.
II
Dans ces entrefaites, quoique j’eusse alors un peu plus de trente ans, ayant passé plusieurs de mes meilleures années dans les armes, je cherchais à épouser une jeune fille de seize ans qui se nommait Alix. Elle avait pour père André de Warik, noble homme de Bruxelles. Je priai le chapelain de Saint-Jacques, qui était mon confesseur, de la demander en mariage. Il fut accueilli avec bienveillance. Mais on lui dit que la fille étant trop jeune, on ne la marierait que dans deux ou trois ans, après le retour des Croisés ; que cependant on me permettait de lui parler. Ce fut déjà pour moi une bonne chose, et j’allai saluer Alix.
Ses parents l’ayant laissée seule avec moi, pour qu’elle fût plus libre en ses déterminations, elle me dit qu’elle avait fait un vœu ; et, comme je pâlissais, elle se hâta de me l’expliquer : c’était de ne se marier qu’après le retour du comte Godefroid, à qui son père devait sa fortune.
Voyant qu’elle ne disait rien de mon âge, je me rassurai, et je dis que je ne pouvais blâmer ses généreux sentiments. Elle ajouta :
– Mais pourquoi n’êtes-vous pas croisé ? Tout homme vaillant ne doit-il pas saisir une occasion si belle d’effacer ses péchés ?
Je répondis que j’avais équipé trois hommes pour l’armée de la Croix. Alors elle reprit :
– Je ferai donc un autre vœu, s’il peut vous plaire, celui de n’être jamais à autre que vous, pourvu que vous alliez à la recherche du seigneur comte, et que vous le rameniez à Louvain, ou que du moins vous rapportiez de lui des nouvelles si certaines, que l’on puisse traiter de sa rançon.
– J’accepte votre vœu, répondis-je au bout d’un instant ; et dans huit jours je partirai, pour ne revenir qu’après avoir satisfait à ce qui est votre désir. Mais, pour rendre mon voyage plus doux, consentez-vous, avant mon départ, à être ma fiancée ?
Alix ayant dit qu’elle consentait, et André de Warik approuvant tout, il fut fait ainsi.
Je fus conduit à la comtesse Adèle, qui me donna ses instructions et me remit des pierres précieuses pour payer la rançon de son cher fils. De toutes parts je reçus de grands encouragements. Je fus muni des cédules de protection de plus de vingt seigneurs. J’eus une charte de l’évêque de Tournay, une de l’évêque de Liège, une de l’abbesse de Nivelles ; et, le douzième jour d’avril de l’année 1097, quatre de mes amis ayant consenti à m’accompagner, je remis ma maison du chemin de Saint-Jacques 2 à la garde de l’Église, et je montai sur le Caudenberg, à la chapelle, pour être béni comme pèlerin consacré à Dieu.
On demanda à tous les fidèles de la paroisse s’ils ne me trouvaient pas indigne d’aller visiter les lieux saints, à la recherche du comte Godefroid ? Personne ne s’étant levé contré moi, le chapelain de Saint-Jacques exposa mes projets. Il mit ma fiancée sous la garde de Dieu et de l’Église, et il dit que pour mon salut je désirais, en faisant un si long voyage, aller adorer, si je le pouvais, dans Jérusalem. Tout le monde ayant répondu amen, il m’imposa les mains, me donna la panetière et le bourdon bénits, avec une lettre encore qui me recommandait à tous les monastères et à tous les serviteurs de Dieu. La même cérémonie eut lieu pour mes quatre compagnons. De toutes parts on nous combla de bénédictions et de louanges ; après quoi, selon l’usage, la paroisse entière, avec le clergé, la bannière de Saint-Jacques et un très grand nombre d’habitants de Bruxelles nous firent la conduite en chantant les cantiques de l’Église, les litanies des Saints, et jetant devant nous des rameaux de buis vert, jusqu’aux limites du territoire de Bruxelles, sur le chemin de de. Là, le bon chapelain nous bénit encore et nous embrassa.
III
Nous allâmes ce premier jour coucher à Malines, où le seigneur Gauthier de Grimberg, avoué de cette ville, qui est fief de l’évêque de Liège, nous reçut avec grande bonté. Le lendemain, nous allâmes faire nos prières devant la châsse du bon saint-Amand, à Anvers. Trois jours après, nous nous embarquâmes sur un vaisseau marchand, qui partait, chargé de draps de Louvain, d’Arras et de Bruxelles, les plus renommés du monde.
Il y avait huit mois que l’armée qui devait délivrer le Saint-Sépulcre avait quitté le pays. Nous ne voulions pas suivre la route de terre ; nous savions tous les malheurs des premiers Croisés, massacrés en partie chez les barbares. À la vérité, ceux que Godefroid de Bouillon avait menés par le même chemin l’avaient plus heureusement traversé. Mais nous étions sans défense, et nous aimions beaucoup mieux nous fier à la mer, en ce temps-là sillonnée en tous sens par les vaisseaux amis, qui portaient continuellement des secours aux Croisés.
Notre navigation fut heureuse. Je n’en ferai aucun récit. En ces derniers temps, un si grand nombre des nôtres ont traversé les mers pour le saint pèlerinage, que tout le monde sait ce que je pourrais dire.
Nous arrivâmes à Constantinople, dont les habitants sont chrétiens, mais hérétiques et mal portés pour nous. J’appris les fâcheuses trahisons qu’ils avaient faites aux Croisés ; et je sus là que si Godefroid de Bouillon ne fût pas venu, qui intimida l’empereur d’Asie, les pèlerins de Jérusalem eussent probablement péri tous dans les pièges qu’on leur tendait. Nous savions déjà que les premiers soldats de la Croix avaient été massacrés ou faits prisonniers par les Infidèles, et que notre jeune comte Godefroid de Louvain faisait partie des captifs. Il nous fut dit que l’armée de Godefroid de Bouillon avait pris Nicée, et qu’elle s’avançait en triomphe sur la Palestine.
Nous étant réunis à plusieurs autres, nous fîmes marché d’un petit navire qui devait nous conduire, en remontant le fleuve Sangar, jusqu’à trois ou quatre lieues de Nicée. On nous trompa cruellement ; car on nous débarqua au-dessus d’Héraclée, au bord d’une rivière de la Paphlagonie ; c’est le nom qu’on donne à ce pays inconnu. Nous étions soixante et dix pèlerins. Nous prîmes un chemin qu’on nous indiqua sur notre gauche, croyant gagner Nicée, dont nous étions séparés par plusieurs journées de marche.
Après nous être avancés tout un jour, sous un soleil brûlant, mourant de soif, nous aperçûmes un bois, qui nous fit espérer de la fraîcheur et de l’eau. Mais nous n’y étions pas arrivés, qu’un de mes compagnons s’arrêta tout à coup avec effroi. Il nous montra, parmi les arbres, des hommes montés sur des chevaux et sur des chameaux. Ils avaient pour nous un aspect sinistre ; leur chevelure était ornée de rubans qui pendaient, ou surmontée d’aigrettes ; ils étaient entièrement nus, à l’exception de leurs épaules, que couvraient de petits manteaux rayés, et de leurs pieds, qui reposaient dans des bottines grossières.
Tous nos camarades s’arrêtèrent, pensant à fuir ; mais les hommes du bois, lançant leurs chevaux et leurs chameaux, montures que je voyais pour la première fois, vinrent sur nous. Ils tenaient à la main de très grands arcs bandés et chargés de longues flèches. Nous tombâmes tous à genoux ; ce qui nous sauva. Les barbares, nous voyant humiliés, nous épargnèrent et se contentèrent de nous emmener prisonniers. Ils nous prirent tout ce que nous possédions, excepté les pierreries que j’avais emportées pour la rançon du comte Godefroid, et que j’eus l’adresse de cacher.
Pendant vingt-deux mois, nous restâmes captifs des Infidèles, mal nourris et continuellement surveillés, mais occupés à des travaux assez doux. Nous apprenions là, par des prisonniers chrétiens qu’on amenait de temps en temps et qui partageaient notre malheur, les progrès de la guerre sainte : c’était pour nous une consolation. Personne toutefois ne pouvait nous rien dire de Godefroid de Louvain. Nous espérions néanmoins toujours. Pour moi, je pensais continuellement à ma fiancée et je me disais :
– Dieu me permettra de la revoir.
J’étais trop préoccupé pour observer assidûment les mœurs de ces barbares, qui adorent Mahomet. Plusieurs fois, dès qu’il y en eut parmi nous qui surent quelques mots de leur langue, ils nous proposèrent la liberté, si nous voulions adopter leur religion. Mais aucun n’y consentit, et ils nous tourmentèrent peu à ce sujet. Deux d’entre nous, qui étaient d’habiles artisans de Louvain, ayant imaginé, pour gagner le cœur de nos maîtres, de construire un métier à tisser le drap, les barbares en furent si contents, qu’ils promirent de nous laisser libres, aussitôt que nous aurions pu leur apprendre à fabriquer les étoffes qu’ils allaient acheter à Chalcédoine. Cet espoir nous inspira à tous de l’ardeur ; et ces hommes tinrent leur promesse.
IV
Au mois d’août de l’année 1099, on sut que Godefroid de Bouillon venait de prendre Jérusalem... Il inspirait dans toute l’Asie une grande terreur. Voulant avoir un titre à ses bonnes grâces, nos maîtres comptaient s’appuyer auprès de lui de notre témoignage ; et nous n’avions pas trop à nous plaindre en effet d’une captivité qui eût pu être bien plus rude. Ils nous conduisirent donc, par de longs chemins, jusqu’au pied du mont Liban, où l’on disait que plusieurs chefs de l’armée de la Croix avaient posté leurs camps.
En traversant ainsi des villes et des bourgs inconnus, je remarquai plusieurs choses nouvelles. Je fus frappé de voir des moulins que le vent faisait tourner : invention qui né peut être due qu’à des hommes entièrement dépourvus d’eaux courantes. Au lieu de la roue, que fait aller un ruisseau, c’est un assemblage de quatre, cinq ou six voiles, à peu près comme les voiles de nos barques de pêche, supportées par autant de petits mâts disposés en croix ou en étoile, et qui ont pour centre commun un essieu. On expose cette roue de voiles au souffle du vent, au moyen d’un pivot sur lequel tourne l’édifice, et le moulin intérieurement va comme les nôtres. Mais je n’en dirai pas plus ; on commence déjà à construire de ces sortes de moulins dans notre pays.
J’admirai encore une imagination qui me parut ingénieuse. Ces peuples, quand ils sont en guerre, ont, en deux ou trois heures, des nouvelles de ce qui se passe à cinquante ou soixante lieues, par des colombes ou pigeons apprivoisés, qu’on lâche avec une petite lettre sous l’aile et qui s’en retournent fidèlement à leur gîte.
Ces découvertes, en nous instruisant, nous réjouissaient et nous consolaient un peu de nos peines.
Les peuples de l’Asie reçoivent aussi de la nature quelques dons qui prouvent bien que leur terre a été autrefois le pays chéri de Dieu. Ils recueillent sur des arbustes une laine fine qui est plus douce que celle des agneaux 3. Ils tirent de certains roseaux une poussière jaunâtre, plus exquise que le miel ; ils l’appellent sucre (zucar). Mêlée à toute boisson, cette substance est très délicieuse.
J’allais donc, m’enquérant partout avec persévérance du comte Godefroid de Louvain, et n’en ayant encore sérieusement aucune nouvelle. Des chevaliers que nous rencontrâmes un jour, m’assurèrent qu’il avait été emmené captif chez le roi d’Arménie et qu’il y était mort. J’espérai qu’il n’en serait pas ainsi. Je conservais toujours en secret mes pierreries pour le racheter.
En arrivant au Liban, les Paphlagoniens nous apprirent que Godefroid de Bouillon était à Jérusalem, où le peuple venait de le faire roi. Avant de quitter ces hommes, qui nous traitaient de leur mieux et qui faisaient notre sûreté au milieu des infidèles, comme nous faisions la leur au milieu des chrétiens, nous demandâmes à visiter le Liban. Il nous fallut monter sept à huit heures pour arriver jusqu’aux cèdres, dont quelques-uns sont énormes, et remontent, dit-on, au commencement du monde.
Nous nous embarquâmes pour aller à Jérusalem, où j’espérais gagner l’absolution de mes péchés, et recueillir, parmi tant de soldats de la Croix réunis dans la ville sainte, des renseignements sur le comte de Louvain. Les barques qui nous transportaient relâchèrent à Berithe 4 ; je profitai de quelques instants pour aller voir la caverne du dragon de saint Georges. On me raconta des choses qui semblent très prodigieuses.
Il y avait là, me dit-on, au bord de la mer, du temps de l’empereur Dioclétien, un puissant dragon qui dévastait le pays. Il se retirait sous un rocher, dans un antre qu’on fait voir encore. Pour calmer ce monstre, on lui livrait de jeunes filles qu’il dévorait. La masure où ces pauvres victimes étaient exposées subsiste toujours, et j’y ai fait ma prière. On y conduisit la fille d’un notable seigneur de la contrée : le sort l’avait désignée à son tour, et elle se lamentait en longs sanglots, s’apprêtant à mourir. Son vieux père s’arrachait les cheveux, quand le glorieux saint Georges, l’un des plus vaillants capitaines de l’Empire, débarqua à Berithe. Il se fit conduire à la masure, tua le dragon, détacha la jeune fille et la ramena à son père. Ce haut fait d’armes parut si noble, que, depuis, les chevaliers ont pris saint Georges pour leur patron.
De Berithe, nous passâmes près de Sidon, où l’on trouve encore la maison de la Cananéenne, dont Notre-Seigneur guérit la fille. On me montra aussi les ruines de Sarepta, ville habitée autrefois par cette pauvre veuve qui reçut si bien le prophète Élie. Je ne pus voir Tyr ni Damas. Mais j’obtins de nos guides la permission de monter au Carmel, où je priai dans la grotte d’Élie. Quelques bons moines de son ordre, le plus ancien de tous, sont là, vivant dans la pénitence. Ils me menèrent à un lieu qu’on nomme le jardin d’Élie, et qui est, comme presque tous les lieux saints, un miracle perpétuel. Les religieux me rapportèrent qu’un soir le saint prophète, accablé par la chaleur, aperçut en ces lieux-là un jardinier qui avait beaucoup de melons. Il s’approcha de cet homme et lui demanda un melon pour se rafraîchir.
– Ne voyez-vous pas, dit le jardinier avare, que ces objets qui vous semblent des melons ne sont que des pierres ?
– Eh bien ! répliqua doucement le saint, si vous voulez que ce soient des pierres, qu’elles restent des pierres.
Tous les melons s’étaient pétrifiés pendant qu’il parlait ; et je vis en effet, sur ce lieu maudit, une multitude de pierres qui ont la forme de melons. Cette histoire, toutefois, est très vieille et peut avoir été altérée.
À six lieues du Carmel, nous allâmes visiter Nazareth, qui n’est plus qu’un pauvre village. On y arrive en descendant toujours, comme dans une fondrière. Je me prosternai la face contre terre dans la chambre de la Sainte Vierge et dans son oratoire. Cet oratoire est une grotte creusée dans le rocher ; il n’a pas seize pieds de long sur douze de large. Marie était en prière dans la chambre, quand l’ange vint lui annoncer le choix que Dieu faisait d’elle. L’impératrice Hélène a fait placer une colonne de marbre à l’endroit où le messager du ciel prononça l’Ave Maria. Les Infidèles ont respecté ces monuments. Malgré leur égarement impie, qui leur fait adorer Mahomet, ils honorent Notre-Seigneur, l’appelant le prophète Jésus ; et ils révèrent sa très sainte Mère.
On voit auprès de Nazareth une grand pierre ronde, qu’on nomme la table de Notre-Seigneur, parce qu’il y mangea, dit-on, plusieurs fois avec ses disciples ; et à peu de distance la fontaine où la Sainte Vierge lavait de ses mains les langes de l’enfant Jésus. On sait que quelques-uns de ces précieux langes ont été conservés, et que l’empereur Charlemagne en a enrichi la sainte basilique d’Aix-la-Chapelle.
De Nazareth, nous montâmes au Thabor, qui est la plus belle montagne du monde. On y voit la pierre où Abraham dîna avec Melchisédech, et plus haut trois autels rustiques, appelés les trois tabernacles, qui marquent le lieu où Notre-Seigneur fut transfiguré, ayant à ses côtés Élie et Moïse.
Nous dominions sur de vastes plaines. On me désigna le champ où les apôtres, ayant faim, pressèrent les épis, la colline où Notre-Seigneur rassasia cinq mille personnes avec sept pains et deux poissons, le tertre sur lequel il prononça les béatitudes.
J’allai ensuite, à deux lieues, visiter Cana, où Jésus changea l’eau en vin. Je bus à la fontaine où l’on allait remplir les cruches. L’église que sainte Hélène avait fait bâtir sur le lieu du festin est en ruines. Près de Cana, on me fit voir le tombeau de Jonas. Les infidèles, qui honorent aussi ce prophète, ont élevé là un temple à leur usage ; personne de nous n’y entra.
Au milieu des agitations de la guerre, qui n’était pas finie, car toute la Terre-Sainte n’obéissait pas encore aux chefs chrétiens, nous allions pourtant sans mésaventures. Il est vrai que nous étions prudents, selon le conseil de l’Évangile ; et, malgré notre empressement à honorer le Saint-Sépulcre, nous nous hâtions avec une sage lenteur.
En nous éloignant de Cana, nous vîmes de loin la ville de Naïm, où le bon Sauveur ressuscita le fils de la veuve et le rendit à sa mère. Ce n’est plus qu’un village. Je remarquai les ruines d’Endor, où vivait la pythonisse que Saül alla consulter, les montagnes de Gelboé, terres stériles et maudites, depuis que Saül s’y tua de son épée. On me montra le triste village d’Iscariote, lieu natal de Judas. Je vis à Joppé (Jaffa) la demeure de Tabitha, à qui saint Pierre rendit la vie, touché par les larmes des pauvres qui lui montraient les vêtements qu’elle leur avait donnés. Je saluai dans Ramla la maison de Joseph d’Arimathie ; je traversai le village où était né le bon larron ; et enfin je sus que nous étions près de Jérusalem, en me trouvant dans cette plaine où David tua autrefois Goliath et où depuis peu les soldats de la Croix avaient défait les Sarrasins.
Nous aperçûmes bientôt la cité sainte. Tous nous tombâmes à genoux.
V
Jérusalem, le but de tant de pèlerinages, est bâtie sur des collines et entourée de montagnes. Cette ville nous parut désolée. Mais sa vue nous touchait le cœur. Nous y entrâmes pieds nus, en nous frappant la poitrine. J’étais si pénétré de la sainteté du lieu, que d’abord je ne remarquai rien. Après que je me fus prosterné devant le Saint-Sépulcre, où je priai et pleurai bien longuement, dans une douleur mêlée de tant de joie et de tendresse, que jamais je n’ai rien éprouvé de tel, comme je m’en retournais pour chercher un gîte, j’appris que le seigneur Baudouin, qui avait conquis la principauté d’Édesse, était en ce moment à Jérusalem, auprès de Godefroid de Bouillon, son frère. Je sus de quelques-uns de ses chevaliers, qui étaient du Brabant, que très certainement le prince que je cherchais était captif en Arménie. Je fis part de cette nouvelle à mes amis. Il fut décidé que nous partirions avec Baudouin, qui, dans quelques jours, devait reprendre le chemin d’Édesse. Mais, comme on me dit qu’il faudrait une grosse somme pour racheter le comte de Louvain, je confiai toute ma position au roi de Jérusalem, qui me donna généreusement cinquante marcs d’or, et fit promettre à son frère de m’aider du reste, s’il le fallait. Plus tranquille alors, je profitai du peu de temps qui me restait pour visiter les saints lieux de Jérusalem.
Cette ville forme une espèce de carré qui a plus d’une lieue de circuit. Les rues en sont étroites et obscures. Je commençai par aller au mont de Sion. Je me prosternai à l’endroit où furent la tour et le palais de David. C’est à ce même lieu que, dans une chambre qui subsiste encore et qu’on appelle aujourd’hui le cénacle, Notre-Seigneur fit la Cène avec ses apôtres, leur lava les pieds, et institua l’adorable sacrement de son amour.
C’est là encore que descendit le Saint-Esprit.
À peu de distance était la maison dans laquelle l’apôtre saint Jean se retira avec la Sainte Vierge. De cette maison, notre tendre mère à tous, au milieu des apôtres et des disciples merveilleusement rassemblés de tous les points du monde, s’enleva au ciel, où son divin fils lui avait préparé la plus riche couronne.
Je descendis à la piscine Probatique, ouvrage de Salomon. Elle n’a plus rien de miraculeux. Mais autrefois un ange venait à certain temps en troubler l’eau ; après quoi le premier malade qui s’y plongeait en sortait guéri.
On me conduisit, dans une partie assez reculée de la ville, à la maison de Caïphe. J’y vis l’olivier sous lequel était Jésus, lorsqu’il reçut un violent soufflet de la main d’un soldat infâme. Je pleurai amèrement dans la petite salle basse où saint Pierre avait renié son divin maître. Je visitai, dans la maison d’Anne-le-Pontife, le prétoire où Jésus comparut devant le magistrat. J’étais surpris de retrouver aussi aisément toutes ces traces sacrées, dans une ville occupée si longtemps par les Infidèles. Mais on me dit que les Sarrasins avaient tout conservé, parce qu’ils en tiraient profit, faisant payer aux pèlerins de gros droits pour entrer dans tous les saints lieux. De plus, beaucoup de chrétiens, depuis l’invasion musulmane, étaient restés à Jérusalem.
Il nous fallut traverser presque toute la ville pour aller de la maison d’Anne à celle de Pilate. Je vis au-devant un escalier que les fidèles ne montent qu’à genoux, parce que Notre-Seigneur le monta et le descendit au milieu des gardes qui le conduisaient à Pilate. Je vis la colonne à laquelle Notre-Seigneur fut attaché pour la flagellation, et la pierre où on le fit asseoir pour le couronner d’épines. Tout ce que j’avais souffert s’effaça à ce spectacle : car que sont nos peines auprès de tant de douleurs volontairement endurées pour nous par le Fils de Dieu ?
On me montra la terrasse où Pilate fit voir le Seigneur Jésus au peuple, en disant ; – Ecce Homo. C’est dans cette rue, qu’on appelle via Dolorum 5, que le peuple cria : – Qu’il soit crucifié !... Je baisai la pierre où Notre-Seigneur tomba sous le poids de sa croix.
Après avoir gémi sur ces durs souvenirs, que nous oublions trop souvent, j’allai voir la maison de sainte Anne, mère de la Sainte Vierge, et la prison où sont encore les anneaux de fer auxquels saint Pierre fut enchaîné. Je retournai le jour suivant au Saint-Sépulcre.
L’Église est trois fois plus grande que Sainte-Géry de Bruxelles ; mais elle n’en a pas la forme, car elle n’a point d’ailes. Elle a été bâtie par sainte Hélène. Elle est presque ronde et soutenue par de gros piliers. Le Calvaire s’y trouve enfermé. On y monte par un escalier de dix-neuf degrés, taillé dans le roc. Je vis le trou de la croix, qui est au lieu même, dit-on, où Adam fut enterré, où Abraham s’apprêta à sacrifier son fils. Je descendis sous le Calvaire, dans le caveau sombre où sainte Hélène trouva la sainte croix de Notre-Seigneur. J’entrai prosterné dans le Saint-Sépulcre, dont la porte n’a pas trois pieds de haut. Les sentiments que j’éprouvai là ne sauraient jamais se décrire.
N’ayant que peu de jours, je me hâtai daller visiter les environs de là cité sainte.
À un trait d’arc de Jérusalem est le tombeau de la Sainte Vierge. C’est un grand caveau où son corps n’est pas resté, puisqu’il à été enlevé par les anges. En y allant, par la porte Saint-Étienne, on me fit remarquer un petit rocher plat, sur lequel saint Étienne fut lapidé. Les traces de ses pieds et de ses genoux sont encore imprimées sur la pierre.
J’allai de là à là montagne des Oliviers. Je m’agenouillai dans le lieu qu’on appelle spécialement le jardin des Olives. C’est un carré long irrégulier, planté de dix oliviers énormes, les plus gros qu’on puisse voir. L’ombre de chacun de ces arbres prodigieux peut couvrir plus de cent personnes. Ce sont les mêmes, dit-on, sous lesquels le Sauveur a eu, devant l’aspect de sa passion, la sueur mêlée de sang. C’est sur la montagne des Oliviers que parut l’ange lumineux, lorsque Godefroid de Bouillon donna le dernier assaut à Jérusalem. Cet ange portait sur son bouclier blanc trois étoiles flamboyantes ; ce qui fait que depuis peu on nomme le monticule où il se montra à cheval, la montagne des Trois Lumières. Je voulais rapporter quelques feuilles de ces arbres sacrés. Mais on me dit qu’il était défendu d’en ôter une seule, sous peine d’anathème du patriarche.
C’est à la cime de la montagne des Oliviers que Jésus-Christ se trouvait avec ses disciples, le jour de son Ascension. Au milieu d’une chapelle ronde, qui a un dôme ouvert, car on n’a pas voulu couvrir le chemin triomphal de Notre-Seigneur montant au ciel, je vis sur une pierre très dure l’empreinte de ses deux pieds divins, qu’il me fut permis de baiser.
Je traversai, en revenant, la vallée de Josaphat, qui n’est guère plus large que l’étang de Saint-Nicolas 6. C’est dans ces sombres lieux, dont la puissance divine saura bien étendre les limites, que les morts doivent se rassembler tous, au jour du jugement dernier. On me fit remarquer, sur une des crêtes qui bordent cette vallée, le sureau vieux, triste et plein de rugosités, auquel l’affreux Judas se pendit.
Le jour d’après, je voulus aller à Bethléem, qui n’est qu’à deux heures de chemin. Je passai devant le térébinthe qui épanouit ses branches, comme un parasol, pour donner de l’ombrage à la Sainte Vierge, lorsqu’elle s’arrêta au pied, avec l’enfant Jésus. Plus loin, on me fit boire de l’eau d’un puits auprès duquel s’étaient reposés les trois rois mages.
Le village de Bethléem a un aspect de deuil. La sainte étable est enfermée dans une église assez grande. Je me mis à genoux en y entrant, et je baisai avec amour une pierre de jaspe, qui marque l’endroit où naquit le Sauveur. J’honorai la sainte crèche qui lui servit de berceau. Puis j’allai à la grotte où veillaient les bergers, quand l’ange leur annonça la naissance du divin Messie.
Je profitai du peu d’instants, qui me restaient pour aller à Jéricho. Je vis à une lieue de cette ville, dans une espèce de désert sauvage, la grotte où Notre-Seigneur jeûna quarante jours. On me montra encore les pierres que le démon lui présenta, en lui disant de les changer en pains. J’allai ensuite au Jourdain, où je me baignai avec joie, moi et mes compagnons, – et j’emportai de l’eau de ce fleuve sacré dans mon bourdon de pèlerin.
Je m’en revins à Jérusalem achever mes dévotions ; et, le surlendemain, le patriarche nous ayant bénis, nous partîmes à la suite de Baudouin et de ses chevaliers, qui s’en retournaient à Édesse. Nous marchions à si grandes journées, que je ne pus rien observer dans ce voyage. D’ailleurs je ne songeais plus qu’à remplir ma mission.
VI
Dès que je fus arrivé à Édesse, où il nous fut confirmé que Godefroid de Louvain était dans les prisons du roi d’Arménie, je cherchai les moyens de passer en ce pays avec mes quatre concitoyens. Le bon prince Baudouin nous offrit quelques-uns de ses chevaliers pour nous protéger. Je crus avoir trouvé une sauvegarde plus sûre. Qu’auraient fait dix hommes contre une bande d’infidèles ? Moi et mes amis nous nous déguisâmes en marchands et nous nous mîmes en route. En posant le pied sur les terres d’Arménie, je me hâtai d’annoncer que nous étions adressés au Roi, à qui nous portions des étoffes. On nous respecta aussitôt, comme je m’y étais attendu, et nous arrivâmes sans encombre devant le souverain.
C’était un prince qui paraissait calme et sérieux. Dès que je fus introduit en sa présence, j’étalai mes pierreries et des tissus de l’Occident, que j’avais achetés à Jérusalem. Je les lui offris pour la rançon de Godefroid de Louvain, disant que j’étais parent du captif, sans déclarer qu’il fût prince. Mais le Roi le savait. Il me répondit qu’il mettait à un plus haut prix la liberté du vaillant chevalier qu’il avait dans ses prisons. Il me permit de le voir pour me concerter avec lui.
Le comte de Louvain était gardé dans une tour écartée du palais. Il versa d’abondantes larmes en me voyant, et en apprenant la cause et les détails de mon pèlerinage. J’avais eu d’abord un peu de peine à le reconnaître, à cause qu’il avait fait vœu, en tombant dans les mains des Infidèles, de ne couper sa barbe qu’après son retour dans son pays. C’est cette circonstance qui lui a valu, chez nous, le surnom de Barbu. Il m’apprit qu’il avait été fait prisonnier, à l’issue de la cruelle bataille où le brave et malheureux chevalier Gauthier-sans-Avoir avait péri ; qu’on l’avait relevé à demi mort, en voyant à son armure qu’il était riche seigneur, et qu’on l’avait emmené en Arménie, d’où il n’avait pu jamais donner de ses nouvelles.
Quand je lui annonçai la mort de son frère, qu’il ignorait, il s’affligea de nouveau avec amertume, et il me donna, pour Baudouin d’Édesse, une lettre qui réclamait son assistance.
Il me fallut donc retourner à Édesse ; je me remis en chemin, portant une charte de sûreté du prince arménien, qui exigeait, outre ce que j’avais offert, une somme de cent marcs d’or. Baudouin n’hésita pas. La somme me fut comptée ; et, quoique la saison des pluies fût venue, je repris avec joie la route de l’Arménie. J’eus le bonheur enfin de voir tomber devant moi les fers qui retenaient mon seigneur. Je me mis à genoux devant lui, et, le premier de tous ses vassaux, je lui fis hommage. Nous nous embarquâmes peu après, ayant rejoint, ceux de nos compatriotes qui attendaient les résultats de mes démarches, et plusieurs croisés du Brabant qui eussent pu revenir quelques mois plus tôt, mais qui avaient voulu faire l’escorte de leur prince à son retour.
Notre navigation fut pénible. Nous arrivâmes en hiver, après bien des travaux et par un froid rigoureux, au port de Gand. On ne nous attendait plus ; et cependant la régente de Brabant, comme si son cœur de mère nous eût devinés, annonçait depuis quelques jours le retour de son fils, lorsque le 19 janvier de l’an 1100 nous revîmes notre chère Bruxelles.
Notre arrivée fut une fête publique ; et les fidèles épouses des Croisés les reçurent si tendrement, qu’il fut décidé que, tous les ans, à pareil jour, il y aurait fête à Bruxelles, en l’honneur des femmes.
Je devins, peu de temps après, l’époux de ma chère Alix ; et ce fut pour me récompenser de mon heureux voyage que monseigneur Godefroid-le-Barbu, aujourd’hui comte de Brabant et duc de la Lotharingie-Inférieure, me donna la dignité de burgrave ou vicomte de Bruxelles, châtelain du Borgendael.
Jacques COLLIN DE PLANCY,
Geneviève de Brabant
et quelques autres aventures
des Croisades, 1853.