Les trois malfaiteurs

 

LÉGENDE ORIENTALE

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Alphonse CONSTANT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I.

 

LA FRATERNITÉ DES PROSCRITS.

 

Le désert s’étendait silencieux, brûlant et immense ; un ciel de cuivre, dont les bords rougis semblaient se plonger dans la cendre, enfermait l’horizon immobile et pesait sur l’étendue morne et étouffée ; les vagues de sable récemment bouleversées par le simoun avaient recouvert les traces de la dernière caravane, et jeté des tombeaux de poussière sur les squelettes épars qui eussent pu servir de jalons à la route. Un immense étouffement remplissait de sa léthargie ce sinistre empire de la soif ; le jour s’assombrissait sans cesser d’être brûlant, et le ciel ressemblait à un four chauffé, dont les briques rouges se noircissent peu à peu en exhalant une dévorante chaleur.

Au milieu de cet océan de sable, une femme juive, qui tenait dans ses bras un petit enfant assoupi, était assise pâle et désolée, regardant avec anxiété autour d’elle, puis, reportant alternativement son regard plein d’une expression indéfinissable vers le ciel terrible et sur son enfant si beau et si calme ; près d’elle se traînait languissant un âne de Judée, qui abandonné à lui-même, cherchait du bout des dents, en soufflant dans le sable, quelques racines dures et amères que ses efforts paresseux ne pouvaient arracher.

Un homme qui tenait à la main une outre vide se rapprocha lentement de la jeune mère.

Eh bien ! José ? demanda-t-elle.

José lui montra son outre et fit de la tête un geste de désolation.

Plus d’eau ! murmura la femme. Oh ! mon Dieu ! et mon sein est aride. En s’éveillant il aura soif !

Puis elle regarda son enfant et deux larmes se gonflèrent au bord de sa paupière. L’enfant souriait en dormant, mais il était pâle.

José regardait l’enfant et la mère, et sa pose était profondément affligée. C’était un homme déjà sur le retour ; son visage bruni au soleil était traversé de rides laborieuses, ses traits étaient ceux d’un homme du peuple ; mais son front était noble sans orgueil et ses regards presque aussi doux que ceux de sa compagne.

Dieu nous éprouve, Mirjam, dit-il avec une triste résignation ; il nous reste votre courage et vos prières.

Et lui ! dit alors Mirjam en relevant la tête avec un sourire d’enthousiasme qui rendait ses larmes sublimes, n’est-il pas avec nous, et son doux sommeil n’est-il pas une prière ?...

Puis les yeux de la mère retombèrent lentement sur son enfant, qu’elle semblait craindre de toucher de peur de troubler son sommeil. Regardez, ajouta-t-elle après un instant de silence et en baissant mystérieusement la voix ; il voit Dieu en dormant et il sourit, nous n’avons donc rien à craindre : il faut attendre.

José s’éloigna alors de quelques pas, et, allant s’appuyer sur l’animal fatigué qui tournait languissamment sa tête vers son maître, il demeura là, veur mais paisible, comme s’il attendait les miracles dus à la foi maternelle de sa compagne.

Tout à coop, un sillon de poussière soulevée forme, pour ainsi dire, une trace d’écume dans l’océan de sable. Quelque chose s’avance rapidement vers le groupe des trois voyageurs ; on voit flotter un manteau blanc et étinceler une lance... José tourne la tête et regarde avec inquiétude.

Mirjam, dit-il à sa compagne, un cavalier armé accourt vers nous, c’est peut-être un de ces infidèles qui ensanglantent le désert et qui dépouillent les voyageurs.

Quel qu’il soit, répondit Mirjam sans détourner les yeux du doux visage de son enfant, il faut l’attendre, car c’est le Seigneur qui nous l’envoie.

Elle parlait encore et déjà l’Arabe était près d’elle ; son coursier semblait se rejeter en arrière et se cabrer à la vue de la femme et de l’enfant, comme s’il eût craint de les fouler aux pieds ; mais le cavalier irrité le pressait de ses genoux vigoureux et tordait le mors dans la bouche écumante du noble animal.

L’enfant s’éveilla et se prit à pleurer.

Oh ! s’écria Mirjam, il a soif ! Oh ! qui que vous soyez, ayez pitié de nous ! Voyez, nos outres sont épuisées, et les forces nous manquent pour aller plus loin... Un peu d’eau seulement pour lui !

L’Arabe roulait des yeux féroces et brandissait sa lance sans répondre. José s’avança alors avec résolution et se plaça devant la jeune mère, comme s’il eût voulu lui faire un rempart de son corps.

C’est bien ! murmura le cavalier d’une voix sourde. J’hésitais à frapper d’abord une femme... et il leva sa lance comme pour la plonger dans la poitrine de José.

Que vas-tu faire ? lui demanda l’homme du peuple avec calme. Sommes-nous tes ennemis ? et ne vois-tu pas que nous ne possédons rien ?

On n’entreprend pas un si long voyage sans avoir au moins un peu d’or, dit l’Arabe.

Mirjam s’était levée, et, tenant son enfant pressé contre sa poitrine il cachait son visage, elle était venue au secours de José.

Nous n’avons qu’un trésor, dit-elle ; c’est notre enfant ! Il a soif, il pleure ; donnez-lui de l’eau ou laissez-nous ; car nous n’avons ni or ni argent.

En ce moment les larmes de l’enfant avaient cessé, et il regardait l’Arabe avec douceur.

Eh bien ! cet enfant me plaît, dit le farouche cavalier ; je veux le prendre, et je le vendrai au melch d’Herschalaïm.

Mirjam fit deux pas en arrière, enveloppa l’enfant dans son long voile, le serra contre sa poitrine, et regarda le brigand avec dédain.

Dieu t’en empêchera, lui dit-elle.

C’est ce que je veux voir, répondit l’Arabe ; et il poussa son cheval du côté de l’intrépide jeune mère.

Plus prompt que l’éclair, José s’élance à la tête de l’animal qui frémit et se dresse en agitant sa longue crinière ; l’Arabe furieux ne peut se servir de sa lance, il la jette derrière lui et tire son poignard...

Arrête ou je te tue, lui crie alors une voix vigoureuse malgré son accent de jeunesse ; et l’Arabe sent dans ses flancs la pointe de sa propre lance. Il se retourne, tandis que son cheval tombe sur les genoux, et, avant qu’il ait pu reconnaître d’où provient une si rude attaque, il est renversé sur le sable et désarmé par un jeune homme, qui vient de bondir sur lui avec l’impétuosité et l’agilité du tigre.

José crut voir un génie protecteur et s’inclina. Mirjam, craignant déjà la vue du sang et oubliant la férocité de l’Arabe, poussa un cri pour implorer la grâce du vaincu.

Je ne veux pas le tuer, dit le jeune homme ; c’est un de nos frères ; il est enfant du désert comme moi, et comme moi il est proscrit.

Vous êtes proscrit ! dit vivement Mirjam, et les autres proscrits sont vos frères ! Oh ! vous protégerez mon enfant ?

Je ne protège personne, dit l’inconnu avec un rire amer : j’aime à dompter les bêtes féroces et à châtier les lâches ; je ne veux pas de tigres dans la tribu des lions ! Tu me comprends, Oreb ; lève-toi et que je ne te retrouve plus faisant la guerre aux enfants et aux femmes !

L’Arabe, démonté, se relevait lentement et baissait la tête comme un enfant surpris en faute par son maître, et cependant celui qui le réprimandait si vèrement, après l’avoir terrassé, pouvait avoir vingt-cinq ans à peine ; son corps, presque entièrement nu, quoique bronzé par le soleil du désert, trahissait encore une blancheur et une délicatesse natives ; une épaisse chevelure, d’un blond ardent, semblait flamboyer sur sa tête : il ressemblait à David vainqueur du géant Goliath.

Eh ! quoi, lui dit José, vous n’êtes pas un ange ? Comment alors êtes-vous venu ici ? Le simoun a-t-il prêté ses ailes à vos pieds, comme la foudre semble avoir armé vos mains de la puissance irrésistible ?

Qu’appelles-tu un ange ? dit le jeune homme avec un regard plein d’orgueil. Je suis un brigand du désert ; j’ai dit à mes pieds de vaincre ceux de la gazelle, et à mes bras d’avoir des serres comme le vautour, c’est pourquoi je suis libre comme la gazelle, et roi de la royauté du vautour !

Après avoir dit ces paroles, le jeune homme fit signe à Oreb de marcher devant lui. L’Arabe prit son coursier par la bride, n’osant pas remonter à cheval sans l’ordre de son vainqueur, et tous deux allaient s’éloigner. L’enfant recommençait à pleurer, non pas avec des cris comme les autres enfants, mais avec de doux et tristes soupirs et des larmes silencieuses.

Oh ! par grâce ! dit Mirjam, un peu d’eau pour lui ! Vous qui connaissez le désert, indiquez-moi la source la moins éloignée ! J’irai, fallût-il me traîner sur mes genoux ! Car, voyez-vous, c’est à moi que Dieu l’a confié, et tant que je pourrai veiller sur lui, je ne veux pas qu’il souffre... Ne sera-t-il pas assez temps plus tard ! Vous êtes un proscrit, ayez pitié d’un proscrit ! Le melch d’Herschalaïm cherche cet enfant pour le faire mourir.

À cette parole, le jeune brigand tressaillit.

Cet voix enfant est-il son fils ou son héritier ? dit-il d’une voix sombre ; je veux bien le sauver alors ; car il sera fidèle à son sang. Il punira le tyran, et il fatiguera un jour la lâcheté de ce misérable peuple !... Quel est cet enfant ? Parle donc, femme ; tu vois bien que sa vie dépend de ta sincérité : Est-ce un rejeton du sang royal ?

C’est quelque chose de plus grand, dit Mirjam en baissant les yeux avec majesté ; c’est un enfant du peuple. Mais c’en est peut-être le fils aîné, et peut-être doit-il redemander un jour à ceux qui l’ont usurpé l’héritage de son père !

– Qui te l’a dit ? demanda avec étonnement l’homme du désert.

Une voix qui ne trompe jamais le cœur des femmes, répondit la mère.

Et quand donc cette voix t’a-t-elle parlé ?

Lorsque j’étais repoussée par les riches parce que j’étais pauvre. Lorsque je souffrais les angoisses de la maternité prochaine, sans que personne vînt à mon aide ; quand j’avais pour lit le fumier des animaux, parmi lesquels j’avais furtivement usurpé un misérable asile pour donner le jour à mon fils.

Attends-moi, Oreb, dit le brigand.

Puis, se rapprochant de Mirjam avec des regards moins sombres, il laissa paraître sur ses lèvres quelque chose qui ressemblait à un sourire.

Ils t’ont fait cela ? dit-il ; tu dois bien les haïr ! As-tu donc fait mourir un de leurs enfants pour venger la naissance du tien ? Es-tu ma sœur ? Tes mains sont-elles sanglantes ? Est-ce pour te punir d’avoir voulu leur faire payer tes larmes qu’ils veulent le sang de ton fils ?

Ils nous craignent parce qu’ils nous ont fait du mal, dit Mirjam, et parce qu’ils ne savent pas pardonner.

Tu leur as donc fait du mal à ton tour, ou, du moins, tu leur as laissé deviner que tu élèverais ton fils pour la vengeance ?

Je leur ai pardonné, et ils ne comprennent pas le pardon. J’élèverai mon fils pour la miséricorde, et c’est pourquoi ils le détestent d’avance ; si nous étions cruels comme eux, ils devraient moins nous haïr, car nous leur ressemblerions davantage.

Le brigand baissa la tête, et garda pendant quelques instants un silence farouche. La dernière parole de la femme semblait l’avoir blessé au cœur, à en juger par la contraction de ses sourcils et de ses lèvres ; mais une pensée lui vint et le fit sourire. Il fit un signe à Oreb, devenu son esclave par le droit de la victoire, puis, se retournant vers Mirjam :

Ils veulent tuer ton enfant, lui dit-il ; moi, je le sauverai ; et en cela, du moins, je ne leur ressemblerai pas ! Je puis te répondre à mon tour que si j’étais né cruel comme eux, je leur pardonnerais peut-être. Assieds-toi sur ce cheval ; Oreb en prendra les rênes et le conduira je lui dirai d’aller, ou bien je le conduirai moi-même, et Oreb nous suivra ; l’homme qui est avec toi peut nous suivre aussi. Dans ma retraite vous trouverez de l’eau, des aliments et le repos dont vous avez besoin. Vous pourrez ensuite retourner à Herschalaïm, et racheter au melch la tête de votre enfant, en lui indiquant la retraite de Johanan le voleur.

Pourquoi nous faire un outrage, si tu veux nous sauver ? dit alors avec indignation José. Si tu veux nous recevoir comme des ennemis, garde le secret de ta retraite.

Puis-je vous recevoir comme des frères, dit Johanan, moi dont les mains sont sanglantes et qui ne pardonne jamais ?

Dieu t’apprendra à pardonner, lui dit Mirjam, puisque tu n’aimes pas l’injustice ; car la haine de l’homme contre l’homme est toujours injuste. Mais, puisque tu nous as sauvés, qui que tu sois, tu es notre frère, et nous accepterons l’hospitalité dans ta demeure.

Johanan alors présenta à Mirjam un fruit creusé qui était suspendu à sa ceinture et qui contenait encore un peu d’eau. La mère s’empressa d’en répandre quelques gouttes sur les lèvres de son enfant, qui sourit en regardant Johanan, comme s’il eût voulu le remercier.

Johanan et José aidèrent Mirjam à se placer sur le cheval d’Oreb, que Johanan lui-même prit par la bride d’une main, tandis que de l’autre il tenait la lance et le poignard du vaincu.

Oreb les suivait en silence et marchait à côté de José en conduisant, selon l’ordre de Johanan, la monture indocile qui appartenait aux voyageurs.

 

 

II.

 

L’AIRE DU VAUTOUR.

 

Trente ans après, un homme seul montait le long d’une fissure sinueuse dans les rochers arides du désert sur les confins de la Judée.

Cet homme devait être jeune encore, mais la pensée avait vieilli son front et maigri ses joues ; sa démarche était majestueuse et grave ; son regard caressant et doux comme celui d’un enfant avait une profondeur et une tristesse indéfinissables. Ses cheveux soyeux et lisses se partageaient sur son front à la manière des Nazaréens, et descendaient sur son cou en boucles épaisses d’un brun à reflets dorés ; dans tous ses traits, la plus exquise délicatesse s’unissait au plus grand caractère ; sa bouche qu’ombrageait à demi une barbe un peu plus blonde que ses cheveux était bienveillante sans mollesse et résignée sans orgueil, mais d’une pureté que rien ne saurait peindre ; une tunique de laine de couleur brune, formée d’un seul tissu sans couture, se serrait autour de son corps, et un large manteau blanc presque semblable à celui des Arabes du désert le drapait tout entier et se rejetait sur son épaule. Une de ses mains était cachée sous son manteau, l’autre le retenait sur sa poitrine, et sa marche, toujours égale, semblait aérienne comme le passage d’un esprit.

À le voir gravir sans effort les pentes les plus effrayantes et dominer des précipices à donner le vertige au plus hardi, on l’eût pris en effet pour le nie du désert. De loin peut-être on eût été tenté d’avoir peur de lui ; mais toute sa personne était empreinte de tant de bienveillance humaine que pas un enfant en le voyant de près n’eût pu se défendre de lui sourire et de l’aimer.

Il arriva enfin sur la pointe d’un rocher en face d’une caverne creusée dans le flanc d’une roche plus élevée, et séparée de lui par un abîme. il s’arrêta, et, d’une voix douce, mais retentissante, il appela deux fois :

Johanan ! Johanan !

Alors à l’entrée de la caverne apparut une figure terrible. C’était un être qui tenait du lion et de l’homme. Sa barbe et sa chevelure fauves entouraient ses traits sauvages comme d’une épaisse crinière ; il portait pour tout vêtement une espèce de caleçon en poil de tigre ; sa peau semblait durcie au feu du soleil et ses mouvements étaient agiles comme ceux des animaux sauvages.

Qui donc a osé m’appeler ? gronda-t-il d’une voix sourde qui ressemblait à un rugissement, et, d’un œil étonné, il contemplait l’étranger calme et resplendissant dans les plis de son manteau blanc, sur la pointe de ce pic formidable dont les vautours et Johanan avaient seuls jusqu’alors connu le chemin.

Que me veux-tu ? lui demanda-t-il.

Je veux aller vers toi, dit l’inconnu avec douceur ; jette un pont sur ce précipice.

Eh quoi ! tu oserais... dit Johanan.

Il rentra dans la caverne et revint chargé d’un grand arbre dépouillé de son écorce, qu’il fit glisser avec une dextérité surprenante, de manière à établir une effroyable communication entre la pointe du rocher sur lequel l’inconnu se tenait debout, et la bouche béante de sa demeure sauvage.

L’étranger n’hésita pas à mettre le pied sur ce chemin tremblant et s’avança vers le brigand avec autant d’assurance et de sérénité que s’il eût passé parmi les roses à travers la vallée de Sârons.

Johanan poussa un éclat de rire féroce, et, tenant de ses deux mains osseuses et armées de griffes comme les serres d’un vautour l’extrémité inférieure de son arbre :

Arrête, s’écria-t-il, et réponds-moi en face de l’abîme, d’un seul mouvement je puis te précipiter ! Qui t’a envoyé vers moi ? qui t’a fait connaître ma retraite ? qui es-tu ? que me veux-tu? sais-tu à quoi tient maintenant ta vie ? es-tu venu chercher la mort ?

L’étranger s’arrêta et sourit avec mélancolie.

Mes jours sont comptés, dit-il, et je ne dois pas mourir de la main de Johanan. Ceux qui cherchent Johanan pour le faire mourir, ceux-là aussi veulent ma mort ; car ils m’ont compté parmi ceux qu’ils appellent des malfaiteurs. Je connais Johanan parce qu’il a sauvé ma mère ; et je reviens à lui parce que je suis déjà venu il y trente ans lorsque j’étais proscrit en naissant. Ma mère s’en souvient toujours ; elle m’a souvent parlé de l’hospitalité de Johanan, et je ne l’ai pas oublié.

À ces mots, le brigand se releva et tendit la main à l’étranger ; mais, comme le grave inconnu ne lui présentait pas la sienne, Johanan se retira en fronçant le sourcil avec inquiétude.

Es-tu encore proscrit ? demanda-t-il ; t’es-tu vengé de ceux qui t’ont persécuté dans les bras de ta mère ?

Je ne suis que trop vengé, puisque je suis proscrit, répondit le visiteur mystérieux en entrant dans la caverne, car ceux qui me proscrivent n’écoutent pas ma parole, et ma parole ne les sauvera pas.

Es-tu donc un enchanteur pour avoir des paroles qui sauvent ? Moi, je n’ai que des mains qui tuent, et j’y crois davantage.

Lavie est meilleure que la mort, et la miséricorde est plus forte que la vengeance.

– Où donc est la miséricorde ? dit Johanan avec un rire amer ; elle est peut-être cachée dans l’antre des lions ; mais assurément elle n’habite pas parmi les hommes.

Entrons dans ta demeure, répondit paisiblement l’étranger.

Ils entrèrent ensemble dans l’intérieur de la caverne, qui était éclairée par une lampe d’or suspendue à la voûte. De riches dépouilles y étaient entassées, des crânes, desséchés au soleil et incrustés dans les parois, en étaient l’ornement lugubre. Des outres d’eau et des urnes pleines de vin étaient rangées dans l’ombre. Une natte roulée servait de siège. L’étranger, précédé de Johanan, entra sans paraître étonné, et, levant les yeux au ciel :

Mon père, dit-il, soyez béni : parce qu’ici votre miséricorde est venue au secours de ma mère, et parce que Johanan, qui se dit l’enfant de la mort, a été envoyé à nous, il y a trente ans, pour nous sauver la vie !

Puis, s’adressant au brigand étonné et lui tendant la main :

Tout à l’heure, lui dit-il, je n’ai pas touché la main de celui qui venait de me menacer et qui pouvait penser que je le craignais encore ; maintenant c’est moi qui lui tends la mienne.

Il y avait dans le langage et sur les traits de l’inconnu tant de véritable grandeur que Johanan, subjugué malgré lui, le fit asseoir avec respect, et, n’osant se placer près de lui, resta debout en sa présence, pensif et la tête baissée.

Je n’ai pas oublié ta mère, dit-il après un instant de silence ; elle était courageuse et forte comme toi, et comme toi elle avait des paroles qui frappaient le cœur sans qu’on les eût comprises. Souffre-t-elle toujours de l’injustice des hommes, et parle-t-elle encore de leur pardonner ? Et ton père, cet homme fort dans sa douceur et sobre de discours, vit-il encore ? est-il heureux ?

Et le brigand prononça ce dernier mot avec un sourire d’incrédulité plein d’amertume.

Notre père à tous est heureux, dit le fils de Mirjam ; et c’est pourquoi ses enfants doivent espérer dans leurs douleurs. Pourquoi me parles-tu de José et de Mirjam ? José a travaillé et il se repose ; Mirjam poursuit son voyage avec moi ; car, même quand je suis loin d’elle, son esprit reste uni au mien. Mirjam est pour moi comme une sœur : ma mère, c’est l’humanité, et mon père, c’est le père qui est au ciel.

Quelle est donc cette humanité que tu appelles ta mère ? dit Johanan ; veux-tu parler de cette race lâchement féroce et bassement cupide que je suis fier de haïr ? Es-tu de cette famille de voleurs où les frères dépouillent les frères, et où le brigandage n’est proscrit que lorsqu’il n’est ni peureux ni menteur. Es-tu de l’espèce de ces chacals qui aspirent après la nuit parce que la lumière les dénonce, et qui craignent les progrès de la vie parce qu’ils se repaissent des morts ?

Ne parle pas des morts ; il y a là des têtes qui t’écoutent ! dit l’étranger en tournant un regard triste et sévère du côté des crânes qui tapissaient l’intérieur de la caverne.

À cette parole l’œil de Johanan étincela ; sa crinière de lion se dressa sur sa tête et parut toute sanglante à la lueur rougeâtre de la lampe, un souffle rauque s’échappa de sa poitrine, il se redressa fièrement, et les narines gonflées de colère, il s’écria :

Oh ! qu’ils m’entendent s’ils le peuvent encore ; je n’ai pas peur qu’ils me répondent ! Je ne crains pas surtout qu’ils m’accusent. Je ne leur avais rien fait lorsqu’ils ont voulu me faire mourir. Ils m’ont attaqué lâchement, et je les ai tués en risquant ma vie ; ils étaient plus coupables que moi, j’ai été seulement plus fort qu’eux.

Tous ceux que tu as dépouillés et tués voulaient-ils ta mort ? demanda le fils de Mirjam.

C’étaient des riches, dit Johanan d’une voix sombre, et tous les riches ne sont-ils pas les meurtriers des pauvres, puisqu’ils se font du superflu et du luxe avec le nécessaire de ceux qui meurent de faim ? Oh les misérables ! ils sont bien plus cruels que s’ils les tuaient... ils les laissent mourir !...

L’étranger avait baissé les yeux, et deux larmes descendaient le long de ses joues.

Oh ! toi aussi, reprit Johanan avec une violence effrayante ; toi aussi tu es un enfant du peuple et tu as souffert ! Tu as eu faim, sans doute, mais du moins tu n’as jamais été esclave... et moi... et moi, ajouta le brigand en rugissant et en élevant ses deux points crispés au-dessus de sa tête, ils m’ont forcé d’être assassin, parce que je ne voulais pas être esclave !...

Un rire mêlé de sanglots suivit cette exclamation furieuse ; puis Johanan, essuyant brusquement ses yeux avec ses mains, se laissa tomber assis sur la terre, croisa les bras, regarda les crânes avec dédain ; puis, reportant froidement son regard sur le fils de Mirjam, il sourit.

L’étranger aussi le regardait avec calme.

Johanan, lui dit-il, l’homme ne peut rien sur la volonté de l’homme ; il n’y a d’esclaves que les faibles et les méchants. En voulant te forcer à servir, ils exigeaient de toi une chose qui répugnait à ta nature ; mais n’est-il pas aussi contraire à la nature de l’homme de tremper les mains dans le sang de son frère ? Ils voulaient te faire esclave, c’était leur crime ; mais tu t’es fait toi-même meurtrier, et c’est le tien.

Mon crime ! s’écria Johanan, quand j’ai tué pour défendre ma vie ! Mais j’aurais pu renoncer à la vie plutôt que de tremper mes mains dans le sang... Non, je ne défendais pas ma vie, je combattais pour quelque chose de plus précieux : je défendais ma liberté !

C’est-à-dire que tu défendais ton âme contre l’oppression de la chair. Pourquoi ne l’as-tu pas défendue aussi contre ta propre colère ? Tu voulais la sauver de la servitude, pourquoi ne l’as-tu pas sauvée du meurtre et du vol ?

Parce que je vivais parmi des meurtriers et des voleurs.

Il eût été plus beau de ne pas leur ressembler.

J’eusse été leur victime alors.

Et leur juge ! Tandis que maintenant ils seront les tiens, et auront le droit de te condamner.

En se condamnant eux-mêmes !

Oui, sans doute ; mais si le monde présent se condamne lui-même, il confesse la justice à venir.

Il a droit de se condamner, puisqu’il est chant. Et toi qui te crois bon, il te condamnera aussi parce que tu ne lui ressembles pas.

Il ne saurait me condamner, car il ne peut me juger, faute de pouvoir me comprendre.

Il t’assassinera alors.

Eh bien ! c’est lui qui sera le criminel, et moi je serai son juge suprême ! car je me montrerai bien plus puissant envers lui que si je le punissais... je lui pardonnerai.

Tu mourras cependant.

Et toi, espères-tu ne jamais mourir ?

Je mourrai libre en les maudissant.

Non ! celui qui maudit en mourant ne meurt pas libre ; il est l’esclave de sa haine ! L’homme libre est celui qui est plus fort que l’injustice, plus fort que les tourments et que la mort, plus fort enfin que ses propres passions ; celui-là quitte sans blessures le combat de la vie, et il entre en roi dans l’immortalité par une porte triomphale ! Johanan, Johanan ! puisque tu aimes la liberté plus que ta vie, tu dois sentir que l’âme ne meurt pas, et qu’elle emportera dans son éternité le souvenir de ses vengeances ou de ses pardons !

En achevant ces paroles, le majestueux étranger se leva ; son front semblait resplendissant d’une lumière divine, et ses yeux semblaient enfanter un monde de pensées nouvelles. Il repassa sur l’arbre qui servait de pont au précipice ; Johanan le suivit.

vas-tu ? lui demanda le fils de Mirjam.

J’irai tu iras, lui dit Johanan, puisque toi seul tu sais le chemin qui conduit à la liberté.

Nous ne pouvons pas encore marcher dans la même voie, lui dit avec douceur le voyageur inspiré. Pendant quarante jours encore, il faut que je prie dans ces solitudes, puis j’irai parmi les hommes, les aimer, leur faire du bien, souffrir le mal qu’ils me feront pour vaincre le mal par la force du bien, et mourir pour leur léguer l’immortalité. Si tu peux faire les mêmes actions, et commencer dès à présent cette vie nouvelle, tu pourras venir dans trois ans me rejoindre à Herschalaïm, et je te ferai entrer dans ce royaume de la liberté que je t’ai promis.

Dans trois ans donc ! dit Johanan.

Et ils se séparèrent.

 

 

III.

 

LE RICHE ET LE PAUVRE.

 

Trois ans après, le riche Seïr donnait un festin splendide.

Il y avait invité ceux qu’il croyait ses amis et ceux qu’il soupçonnait d’être ses ennemis, mais dont il voulait tourmenter l’envie.

Beaucoup de haine, en effet, s’était amassé contre Seïr ; car son immense richesse lui faisait un grand nombre d’envieux, et la dureté impitoyable de son caractère lui faisait des ennemis de tous ceux qui pouvaient avoir besoin de lui. C’était un vieillard chauve, aux épais sourcils blancs, à la barbe jaunâtre, au visage de bronze. Son origine était un mystère comme la source de ses trésors ; il prétendait avoir acquis sa fortune en trafiquant dans les pays lointains ; mais la férocité empreinte sur ses traits et ses regards toujours inquiets et farouches faisait soupçonner à ceux qui l’observaient une conscience tourmentée de sanglants souvenirs. C’est pour cela peut-être qu’il cherchait à s’entourer de pharisiens et de lévites, et que nul ne se montrait plus assidu aux sacrifices, comme s’il eût voulu demander à la superstition l’oubli de quelques remords.

La table, couverte d’étoffes précieuses, était dressée dans une salle de marbre qui s’ouvrait de tous côtés sur des jardins en fleurs ; les esclaves la couvraient de vaisselle d’or et d’argent ; les parfums brûlaient dans de riches cassolettes, et les joueurs de harpe et de flûte, vêtus de blanc et couronnés de fleurs, préludaient aux symphonies qui devaient égayer les convives.

Cependant les invités commençaient à arriver en foule, et tandis que les femmes esclaves les introduisaient à la salle des bains, pour offrir à leurs pieds et à leurs mains l’eau et les parfums hospitaliers, Seïr s’était retiré un instant au fond de ses jardins sur une colline ombragée de nopals, d’où il apercevait une partie de ses riches domaines : là, il s’assit rêveur, passa ses mains sur son front, comme pour en chasser une pensée importune ; puis, contemplant avec orgueil tout ce qui l’environnait et la splendeur de ses propres vêtements, il laissa échapper à haute voix cette exclamation :

Je suis justifié, car je suis riche !

Seïr ! lui répondit une voix, ton âme sera-t-elle riche si dans quelques jours elle est appelée devant Dieu ?

Le riche tressaillit et dressa la tête comme un serpent blessé ; il regarda du côté d’où venait la voix et vit près de la haie, au bas de la colline, à l’entrée du petit bois de nopals, un étranger qui le regardait d’un œil triste et sévère.

Il reconnut le prophète dont s’entretenait alors toute ta Judée, celui que les pharisiens et les scribes appelaient Jeschu Barjosé.

Que me veux-tu, mendiant ? lui cria-t-il. Pourquoi fais-tu des enchantements devant mes jardins ? Vas effrayer tes femmelettes. Je ne te connais pas.

Et moi je te connais, répondit le fils de Mirjam. J’ai rencontré, il y a trente-trois ans, dans le désert, un voleur nommé Oreb : c’est celui-là qui m’a parlé de toi.

Silence, s’écria Seïr d’une voix sourde en s’élançant vers le prophète. Tais-toi ! que me veux-tu ? te faut-il de l’or ?

Je ne veux rien de toi, répondit le prophète ; car celui qui reçoit s’appauvrit et l’homme le plus heureux est celui qui donne ; mais c’est un bonheur que tu ne connais pas encore.

Que me veux-tu alors ?

Je veux te donner un conseil.

Parle donc, pourvu que tu ne prononces plus le nom que tu as prononcé.

Ne crains rien, je t’appellerai Seïr. Écoute ce que j’ai à te dire : Ta richesse est la vie de ceux qui ont été dépouillés, tu dois la rendre à leurs héritiers légitimes.

Sais-je donc leurs noms et puis-je retrouver leurs héritiers ? s’écria Seïr avec un geste d’impatience.

– Ceux qui manquent de tout sont les héritiers gitimes de ceux qu’on a dépouillés, dit le prophète, car s’il n’y avait jamais eu de voleurs, il n’y aurait pas de pauvres sur la terre.

Mais beaucoup de pauvres sont eux-mêmes des voleurs, dit Seïr, car ce sont des paresseux, et le paresseux vole le pain qu’il mendie.

Dieu n’a point fait de paresseux, reprit le fils de Mirjam ; car il est écrit que l’homme est pour travailler comme l’oiseau pour fendre les airs. Mais le travail de l’homme doit être fructueux et libre, et ceux qui ont usurpé la terre pour eux seuls ont couragé le travail, et ce sont eux qui ont fait naître la paresse en inventant la servitude.

Je reconnais bien à tes paroles, dit Seïr, ce génie séditieux qui alarme si justement nos prêtres ! Prends garde à toi, Galiléen !

Je ne crains pas pour moi, car je suis prêt à retourner vers celui qui m’envoie ; mais je crains pour toi, et je voudrais te sauver la vie, si j’espérais te rendre meilleur.

Qui t’oblige à me porter cet intérêt ? Ma vie est-elle donc menacée ?

Je ne dois rien à Seïr ; mais je dois un pardon à l’Arabe qui voulait tuer mon père et ma mère, il y a trente-trois ans, pour vendre une tête d’enfant aux bourreaux du tétrarque de Galilée. Pour ce qui est de la vie, elle ne t’appartient plus ; tu la dois aux orphelins et aux pauvres, puisque tu as fait des pauvres et des orphelins. Prends soin du pauvre comme s’il était ton frère, et de l’orphelin comme s’il était ton fils, et tes péchés te seront pardonnés.

Hâte-toi de rendre justice au premier pauvre qui viendra vers toi, de peur qu’il n’en vienne un second pour faire justice de toi-même.

Donne la vie au premier, de peur que le second ne te redemande la tienne, et que tu ne puisses plus la racheter au prix de toutes tes richesses.

Ayant dit ces choses, le fils de l’humanité s’éloigna, et Seïr, pour se distraire du souvenir importun de ses paroles, passa à son tour dans le cabinet attenant à la salle des bains, se lava, se parfuma, et, s’étant paré de ses plus magnifiques vêtements, il entra dans la salle du festin, tous les convives étaient déjà réunis.

L’orgueil de Seïr avait été blessé par les paroles du prophète ; seul en présence de cet homme puissant, qui semblait lire dans son cœur et dans son passé, il avait tremblé ; mais, revenu au milieu de son luxe et de ses flatteurs, il s’indigna d’avoir été effrayé. Les pharisiens et les prêtres, qui étaient venus s’asseoir à sa table tout en le méprisant au fond de leur cœur, parlèrent avec colère de celui qu’ils nommaient l’imposteur de Galilée : Seïr les écouta avec une joie pleine de haine, et s’étonna qu’on n’eût pas encore fait justice de ce séducteur du peuple. Le capitaine des gardes du temple, qui se trouvait là avec les autres, raconta que des soldats envoyés pour prendre Jeschu avaient été désarmés et énervés par l’enchantement de ses paroles ; mais, moi, ajouta-t-il, je me fais fort de l’arrêter malgré toute sa magie, dès que j’en aurai reçu l’ordre du proconsul !...

En ce moment une rumeur se fit à la porte de la maison de Seïr.

Qu’y a-t-il donc ? demanda le maître à l’intendant de ses esclaves.

L’intendant alla s’informer, et revint annoncer qu’un misérable couvert d’ulcères était couché devant la porte, d’où on ne pouvait le chasser, attendu qu’il semblait être tombé en défaillance et ne pouvoir plus faire usage de ses membres. Le riche tourna la tête et fit un geste de dégoût.

Faites-le emporter, dit-il, par ceux des esclaves qui ont la charge d’enlever les immondices, et qu’on le jette au fond de la vallée comme un chien mort.

Puis il fit remplir les coupes et remettre des parfums dans les cassolettes.

Vous ferez brûler aussi quelques pastilles devant la porte, dit-il à l’intendant des esclaves, et l’on nettoiera avec soin la place que ce misérable a salie.

Les vins délicieux continuèrent de couler au son des flûtes et des cithares ; un nuage de parfum monta jusqu’aux lambris dorés, et les visages des convives s’allumèrent à mesure que les entretiens devenaient plus nombreux et plus animés.

Tout à coup l’intendant des esclaves rentre avec impétuosité ; il est pâle de colère et se prosterne devant Seïr.

Maître, dit-il, le bruit de votre festin attire sans doute cette race immonde ! À peine nous sommes-nous débarrassés du lépreux qu’un autre mendiant s’est présenté à votre porte ; ni les injures ni les coups n’ont pu l’éloigner ; il aime mieux être tué, dit-il, que de mourir de faim, et il demande les miettes qui tombent de votre table.

Qu’il vienne ! rugit Seïr avec furie, qu’il vienne, je vais les lui donner !

Et il saisit l’escabeau de bronze qui supportait les riches coussins sur lesquels reposaient ses pieds.

Qu’on le laisse entrer, je l’ordonne !

Les convives, étonnés de cette fureur, restent stupéfaits ; l’intendant se retire, et au bout d’un instant un fantôme couvert de lambeaux se dresse à la porte de la salle. Ses cheveux et sa barbe sont hérissés, son visage maigre est d’une pâleur affreuse, et ses yeux enfoncés dans leurs orbites étincellent à peine des derniers feux du désespoir. À cette vue, Seïr ne se contient plus ; il lance l’escabeau, qui va briser un candélabre et n’atteint pas le mendiant. Le farouche vieillard cherche son cimeterre ; les convives se lèvent et le retiennent ; le mendiant reste immobile, les yeux fixés sur Seïr. Tout à coup sa main crispée s’étend vers le riche :

C’est lui ! s’écrie-t-il d’une voix étranglée ; je ne me trompe pas, c’est lui ! c’est l’assassin de Jéricho !... Capitaine des gardes, arrêtez cet homme, c’est un assassin et un voleur !

Seïr s’arrête comme si la foudre l’eût frappé ; un profond silence succède au tumulte ; les pharisiens regardent Seïr et jouissent de son trouble ; on interroge le mendiant.

Oui, dit-il, c’est lui qui m’a arrêté lorsque je descendais d’Herschalaïm à Jéricho ! Je portais sur moi toute ma fortune en or et en pierres précieuses ; j’avais des diamants pour des sommes immenses ! Oh ! je le cherche depuis longtemps, et la justice divine me le livre enfin !... Il m’a laissé mourant sur la route, et je serais mort sans la charité d’un pauvre voyageur de Samarie... Arrêtez ce brigand, vous dis-je ; car, sous le faux nom de Seïr et les vêtements d’un riche zélateur de la foi, c’est un ismaélite et un meurtrier. C’est un des malfaiteurs qui échappent depuis si longtemps aux recherches du proconsul.... Demandez-lui s’il n’a pas été l’esclave du voleur Johanan, et s’il ne se nomme pas Oreb !

C’en était trop pour Seïr ; les paroles menaçantes du prophète vinrent retentir dans son âme comme la trompette du jugement suprême. Il regarde autour de lui avec épouvante, et lit déjà le triomphe de la haine sur tous les visages.

Grâce ! s’écrie-t-il en tombant à genoux et en tendant les mains vers le pauvre.

Mais déjà on avait jeté un voile sur son visage ; les pharisiens, encore rouges de ses vins précieux, étendirent leurs mains sur sa tête pour témoigner contre lui ; le capitaine des gardes l’arrêta, car il était chargé de la police intérieure sous la surveillance du proconsul. Qu’on le mène en prison ! crièrent les convives tout d’une voix. Alors les esclaves, profitant du tumulte, se mirent à piller les restes du festin, et, tandis qu’on emmenait Oreb, ils firent asseoir le mendiant à la place de leur maître et lui donnèrent du pain et du vin pour qu’il leur racontât son aventure sanglante du chemin de Jéricho ; puis ils sortirent tous avec lui pour aller assister à l’interrogatoire d’Oreb, que l’on conduisait au proconsul.

En chemin ils rencontrèrent un homme à l’extérieur religieux et grave, qui entrait avec douze de ses amis dans une maison écartée, ils allaient faire la Pâques : c’était le fils de Mirjam, accompagné de ses plus fidèles disciples.

Quelques pharisiens, qui s’étaient tenus à l’écart pour se consulter secrètement au sortir de la maison du mauvais riche, marchaient à quelque distance des esclaves ; ils virent le prophète entrer dans la maison qu’il avait choisie pour y faire la cène, et se le montrèrent du doigt, en branlant la tête avec des regards menaçants et en se parlant à voix basse.

Cependant le soleil disparaissait entièrement derrière les montagnes du couchant, et la nuit tombait. Le ciel serein allumait ses premières étoiles, et la pleine lune, qui présidait aux solennités pascales, montrait déjà son disque large et rougeâtre à travers la brume de l’horizon.

 

 

IV.

 

LES TROIS MALFAITEURS.

 

Le lendemain, toute la ville, dès le lever du jour, fut pleine d’étranges rumeurs.

On disait qu’une association de brigands venait d’être surprise ; que Seïr, un de leurs chefs, reconnu par un mendiant pour être le farouche Oreb, avait été livré à la justice ; mais ce qui étonnait le plus, c’était d’entendre ajouter que le prophète de Galilée, à la tête de ses disciples affidés, avait attaqué pendant la nuit la garde du temple, pour s’emparer de la ville et la livrer aux bandits du désert, à l’aide desquels il espérait, disait-on, se faire proclamer roi.

Ceux qui avaient entendu et compris les discours pacifiques du fils de Mirjam n’ajoutaient pas foi à ces bruits semés dans la foule. Toutefois il paraissait certain que le prophète arrêté pendant la nuit était gardé à vue dans le palais du pontife Caïphas.

La foule commençait à se porter vers le prétoire, devant le tribunal l’on devait ramener Oreb pour lui prononcer sa sentence.

Des groupes nombreux, au milieu desquels péroraient des pharisiens, s’étaient formés aux environs du palais de Caïphas.

Sur un banc de pierre, en dehors de la première cour, un homme du peuple était assis et pleurait sans entendre ni voir personne. Les pharisiens le montraient au doigt :

Tenez, disaient-ils au peuple, voilà le pêcheur de poisson Barjona qui se repent d’avoir suivi cet imposteur ; il a déclaré cette nuit qu’il ne le connaissait pas ; mais son repentir ne l’empêche pas d’être impur ; il ne sera plus reçu dans la synagogue.

Ceux qui passaient s’arrêtaient et écoutaient ce qui se disait ; puis d’autres les appelaient et leur criaient de se hâter, parce que le préfet Pontius devait, ce jour-là, siéger de bonne heure au prétoire.

Il faut voir le jugement d’Oreb, disaient-ils ; le Galiléen sera sans doute amené ensuite devant le proconsul.

On n’était pas encore à la troisième heure du jour, et déjà une foule immense encombrait tous les abords de la place du lit de pierre ; on attendait le préfet Pontius.

Il parut bientôt sur la terrasse du prétoire accompagné de ses licteurs. C’était un homme replet, au visage blême et au regard maladif. La dangereuse faveur de Tibère lui rongeait le cœur comme un cancer ; indifférent à tout, hors à son ambition rampante et fébrile, il méprisait tous les hommes parce qu’il était Romain, et ne pouvait voir sans un dégoût tout particulier les juifs qui étaient devenus les esclaves de la Rome des empereurs, après avoir joui de leur liberté devant la république romaine.

Il s’assit négligemment sur le lithostrotos ou lit de pierre qui lui servait de tribunal, et demanda à l’appariteur quels étaient les jugements du jour.

Après le brigand, on amènera un séditieux qui s’est dit roi des Juifs, répondit l’appariteur.

Pontius haussa les épaules.

Ils devraient enchaîner leurs fous, murmura-t-il, et ne pas me les amener pour que je les juge ! Faîtes venir le brigand Oreb et ses accusateurs.

À cette parole une porte basse du prétoire s’ouvrit, et des soldats de la garde romaine firent refluer la foule pour ouvrir le passage.

Oreb, dépouillé de ses riches vêtements, et les mains liées derrière le dos, fut amené devant le proconsul, et ceux qui la veille encore étaient assis à sa table vinrent déposer contre lui. Un brigand nomBarrabas, qui avait reconnu Oreb dans la prison du prétoire, fut confronté avec lui et raconta au peuple épouvanté les crimes qu’ils avaient commis ensemble. Barrabas se faisait délateur dans l’espérance d’avoir sa grâce, et Pontius, fidèle aux habitudes de la cour de Tibère, lui promit de le recommander à la clémence du peuple, à l’occasion des fêtes de Pâques.

On entendit ensuite la déposition du blessé de Jéricho et le récit de ses misères : recueilli d’abord par un pauvre habitant de Samarie, il avait été obligé, à la mort de son bienfaiteur, de chercher un autre asile ; mais les prêtres l’avaient repoussé en l’appelant Samaritain, parce qu’il avait accepté l’hospitalité d’un schismatique. Il avait erré dans le désert, cherchant la rencontre des assassins, dans l’espérance de voir sa misère finir ; il cherchait surtout celui qui était le premier auteur de tous ses maux, pour mourir de ses mains ou se venger de lui. Il l’avait peint à tous les brigands qu’il avait rencontrés, et avait enfin appris d’un mendiant comme lui que son agresseur ne pouvait être que le farouche Oreb, esclave du voleur Johanan, surnommé le Vautour.

On savait comment, au milieu d’une fête, Oreb, devenu riche grâce à ses brigandages, avait été reconnu par sa victime ; les pharisiens et les lévites rendirent témoignage de l’emportement et de la confusion du prétendu Seïr ; tous, selon la coutume judaïque, étendirent encore une fois leurs mains sur la tête du coupable, pour le dévouer au supplice, et Pontius prononça la sentence qui le condamnait à être crucifié ce jour-là même sur le Golgotha, déclarant ses richesses confisquées au profit du divin empereur.

Et moi, cria le blessé de Jéricho, qui donc me fera justice ? Ai-je besoin du sang de cet homme, si vous continuez à me faire autant de mal qu’il m’en a fait ? Quel crime ai-je commis envers l’empereur, pour qu’il me condamne à mourir de faim ? Je demande justice de mes juges.

Faites sortir ce mendiant, dit Pontius à ses licteurs.

El le blessé de Jéricho fut repoussé brusquement hors de l’enceinte du lithostrotos pendant qu’on faisait rentrer Oreb et Barrabas par la porte basse du prétoire.

Oh ! je veux aller me cacher au désert et je me ferai assassin comme Oreb, puisqu’il n’y a plus de justice parmi les hommes ! cria le malheureux en se tordant les bras de rage.

Tu te trompes, lui dit un homme d’un aspect sauvage, qui depuis quelques instants s’était approché de lui. Seulement la justice n’est pas toujours chez ceux qui jugent et qui condamnent ; elle habite dans les cœurs de ceux qui savent être libres et mourir. Attends un instant encore, et justice te sera rendue.

En achevant ces paroles, cet homme s’élance au milieu de l’enceinte du prétoire.

On a parlé ici de Johanan-le-Vautour, dit-il en s’adressant à Pontius, n’a-t-on pas promis un talent d’or à celui qui le livrerait vivant ?

Oui, répondit le proconsul.

Eh bien ! j’ai droit à cette récompense et je la dois à cet homme, ajouta le nouveau venu en montrant le blessé de Jéricho ; c’est moi qui suis Johanan le voleur ! Je suis responsable des crimes d’Oreb puisque j’en avais fait mon esclave au lieu d’en délivrer la terre ! car j’aurais pressentir que ce misérable ne s’était fait brigand que pour devenir riche !

À la vue de cet homme formidable qui tendait aux chaînes ses mains armées de griffes, les licteurs reculèrent d’épouvante et aucun n’osait le toucher. Johanan vint lui-même au-devant d’eux et se laissa enchaîner sans résistance. Le nom du terrible voleur était assez connu et ses crimes n’étaient pas ignorés ; Pontius, pressé d’en finir, déclara qu’il lui appliquait le jugement d’Oreb, et que les mêmes bourreaux serviraient pour l’un et pour l’autre. On ne sait si le talent d’or fut payé fidèlement au pauvre blessé de Jéricho qui pleurait et qui bénissait Johanan.

Pontius allait se retirer, lorsqu’une grande rumeur attira malgré lui son attention et lui rappela qu’il avait encore un jugement à rendre ; les valets du pontife Caïphas, mêlés à une tourbe de pharisiens et de soldats du temple, traînaient avec d’atroces vociférations un homme dont les cheveux épars cachaient le visage, et dont les vêtements en désordre étaient couverts de sang.

Qu’est-ce donc que cela ? dit Pontius avec dégoût.

C’est le faux prophète ! c’est le Galiléen ! hurlèrent toutes les voix.

Eh bien ! qu’on le conduise au tétrarque de Galilée ! dit Pontius.

Et il rentra dans le prétoire.

Au palais du tétrarque ! cria la populace.

Et la foule se rua autour de ceux qui traînaient le prophète.

Une heure après, le charpentier du prétoire faisait déposer trois croix neuves à la porte de la prison, et des huées furieuses retentissaient autour du tribunal de Pontius, devant lequel la populace avait ramené sa victime.

Des bourreaux à cheval se dirigeaient vers le Golgotha, en passant par la porte nommée Judiciaire, parce qu’on avait coutume d’y lire la sentence des criminels.

La foule était si pressée et le bruit si grand autour du lithostrotos qu’il était impossible d’entendre ce qu’on y disait.

On vit seulement apparaître un instant sur une terrasse quelque chose de sanglant, qui ressemblait à un homme affublé de lambeaux de pourpre ; la foule alors éclata en rugissements féroces.

Puis on vit un esclave apporter de l’eau et le proconsul se laver les mains.

 

 

V.

 

LA JUSTICE DES HOMMES ET LA JUSTICE DE DIEU.

 

Le Golgotha était un monticule à l’est d’Herschalaïm ou de Jérusalem. Il était séparé de la ville par une vallée maudite l’on jetait les restes des animaux et les cadavres des suppliciés. Des crânes blanchissants et des ossements fétides apparaissaient çà et là parmi les pierres crayeuses de la colline du supplice.

C’était vers la sixième heure du jour ; des bourreaux romains étaient assis près de deux croix couchées au pied du monticule, sur la voie inclinée qui conduisait au sommet du Moria. La troisième croix n’avait pas été apportée, parce qu’on ignorait encore la condamnation définitive de Jeschu ou Jésus le Galiléen.

Le soleil, qui avait brillé toute la matinée, commençait à devenir pâle ; on voyait passer sur la route qui côtoyait la montagne une foule de juifs qui arrivaient à Jérusalem pour la Pâques ; d’autres sortaient de la ville pour assister au crucifiement des condamnés, et toute cette foule confuse, qui se croisait avec des voix étranges et de sourdes rumeurs, éclairée d’une lumière qui blêmissait tous les visages, semblait un peuple de fantômes.

Tout à coup le torrent de ceux qui voulaient entrer par la porte Judiciaire s’arrêta ; des soldats gardaient le passage, et le bruit se répandit rapidement que c’était Jésus le faux prophète à qui on lisait sa sentence de mort à la porte de la ville, selon l’usage des Hébreux.

Un instant après, la foule, repoussée par les soldats, se répandit autour de la colline, et l’on vit paraître d’abord deux hommes que l’on conduisait les mains liées derrière le dos. C’était Oreb, qui, chancelant et la tête basse, se soutenait à peine, et Johanan, qui marchait d’un pas ferme et se retournait quelquefois pour regarder avec douleur celui qui venait derrière eux.

Derrière eux, en effet, l’écume de la milice juive traînait un homme pâle et tout souillé de sang et de poussière, qui, fléchissant à chaque pas, semblait gravir la montée sur ses mains et sur ses genoux ; une trace de sang marquait son passage ; la populace le regardait avec horreur et le chargeait de malédictions, parce qu’il était horriblement défiguré et ne pouvait plus se soutenir. Il y avait seulement quelques femmes qui pleuraient, et, parmi ces femmes, on eût pu en remarquer une qui ne pleurait pas et qui suivait le condamné d’aussi près que le lui permettaient les bourreaux. Cette femme était plus pâle qu’une morte, la contraction effrayante de tous les muscles de son visage faisait mal à voir, et pourtant, s’il avait été donné à quelqu’un de rencontrer et de comprendre son regard attaché uniquement aux traces sanglantes du prophète, il eût été étonné d’y trouver, au lieu d’un morne désespoir, toute l’énergie de la foi et le rayonnement inspiré des espérances éternelles. C’était la plus grande de toutes les femmes et la plus sublime des mères, celle que nous avons appelée Mirjam, à la manière des Orientaux, et que le monde a invoquée depuis sous le doux nom de Marie. Près d’elle marchait Joannès, l’ami et le confident intime de Jésus ; il regardait alternativement la mère et le fils, puis ses yeux devenaient fixes et semblaient contempler à la fois et embrasser d’un seul regard des espaces infinis. Les larmes alors se séchaient au bord de sa paupière brûlante, et les vres de sa bouche entr’ouverte tremblaient comme celles d’un enfant malade que la fièvre altère, et qui se tourne languissamment vers sa mère pour lui faire comprendre qu’il a soif.

Un homme de la campagne, qu’on avait arrêté à la porte de Jérusalem, était chargé de la croix préparée pour Jésus. Le fils de Marie l’avait traînée lui-même depuis le prétoire jusqu’à la porte de la ville ; mais là il était tombé sous le poids, sans qu’il fût possible de le relever : il avait donc fallu le dégager de son fardeau.

Le soleil pâlissait de plus en plus, et le jour était devenu grisâtre comme le crépuscule du matin pendant l’hiver.

Quel crime a donc commis cet homme ? demandait à un pharisien un des étrangers qui venaient à Jérusalem.

Le pharisien était un vieillard qui se piquait de modération et de sagesse ; aussi se recueillit-il pour pondre à l’étranger. Enfin il lui dit d’une voix dont il adoucissait l’accent :

Ce malheureux est la victime de son ambition et de sa folie. Fruit impur d’une faute de sa mère, on assure qu’il n’était pas regardé comme un enfant légitime par le charpentier José, dont ce chagrin abrégea les jours ; flétri dès sa naissance, il a pris les hommes en haine, et, pour les porter à s’entrégorger, il a inventé une religion nouvelle. Aussi disait-il qu’il apportait le glaive sur la terre. Il n’a rien négligé pour corrompre cette foi antique qui soutient encore la nation juive ; il prédisait à des gens sans aveux et à des femmes exaltées la ruine du temple et de la ville ; il espérait ainsi se créer un parti qu’il voulait s’attacher par les plus horribles mystères, puisqu’on assure que, pour se faire aimer de ceux qu’il abusait, il leur a fait boire de son sang ! Il flattait les mauvaises passions de ceux que flétrissent la religion et la morale ; il aimait la société des publicains et des femmes prostituées, parmi lesquelles il buvait, mangeait et parfumait ses cheveux. Il insultait ainsi à tout ce qu’on révère et voulait mettre l’homme au-dessus de la loi, comme si la loi ne venait pas de Jehova lui-même ! Mais vous voyez que le peuple n’est pas corrompu encore, car il a demanlui-même la condamnation de cet imposteur, et il le charge de malédictions à l’heure de son supplice.

En ce moment un profond silence régnait dans la foule, et l’on entendait des coups de marteau et quelques plaintes entrecoupées de gémissements.

Les trois croix s’élevèrent chargées de trois corps ensanglantés. Les yeux de Marie semblèrent s’éteindre, une sueur froide coula de son front, elle semblait mourir, mais elle ne tomba pas.

Oreb était crucifié à la gauche de Jésus, et Johanan à sa droite.

Marie était debout au pied de la croix de son fils : le blessé de Jéricho se tenait comme un dernier ami près de la croix de Johanan. Oreb n’avait aimé personne pendant sa vie et n’avait fait de bien à personne avant sa mort, il mourait seul et se tordait sur la croix avec des efforts désespérés.

Sauve-toi donc toi-même, et sauve-nous, si tu es le fils de Dieu ! cria-t-il à Jésus.

Oreb, lui répondit Johanan, ne t’obstine pas dans le crime ; il est une autre justice que celle des hommes, puisque ce juste meurt comme nous !... Maître, ajouta-t-il en adressant la parole à Jésus, quand donc viendra le siècle de la liberté et de la justice suprême ?

Il commencera aujourd’hui pour toi, lui dit sus ; jusqu’à présent la porte de la mort seule a été pour l’homme la porte du royaume de Dieu, et il en sera ainsi jusqu’à ce que la doctrine de fraternité et d’association, que je suis venu annoncer, ait reçu son accomplissement ici-bas.

 

 

 

Alphonse CONSTANT, Les trois malfaiteurs,

légende orientale, 1847.

 

 

 

 

 

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