Pauvre Loulou !

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

le marquis COSTA DE BEAUREGARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ceci se passait dans une école laïque de mon très proche voisinage. Que vaut cette école ?... je n’en sais rien du reste, peu importe. Je sais seulement que les locaux en sont fort exigus et que, devant le formidable remous de petites filles qu’y produisait, naguère, la fermeture des classes congréganistes, M. le maire perdit la tête.

... Que faire de toute cette marmaille cléricale ? Où la loger ?... Bâtir !... Ah ! mais, non... Allez donc « causer » centimes additionnels, à la veille des élections municipales...

Et notre homme, pour se tirer d’affaire, de s’adresser à tous les saints de son paradis laïque. Il a prié son préfet, supplié son député, conjuré son sénateur de lui venir en aide. Mais ces messieurs, n’ayant pour l’instant nul besoin de ses services, lui ont unanimement et congrûment répondu : « Débrouillez-vous ».

C’est chose faite depuis trois semaines. Depuis trois semaines, M. le maire s’est débrouillé. Vous allez voir comment et à quel prix, hélas !

Pour ne pas bâtir, fût-ce un hangar, l’inventif personnage a placé des bancs dans le préau, devant l’école. Il y fait s’entasser les nouvelles venues, et par les portes, laissées ouvertes, les petites « pestes congréganistes » le mot est de lui happent ce qu’elles peuvent de la manne distribuée dans les classes.

J’ajoute que, pour fêter l’ingénieuse trouvaille de son premier magistrat, la libre pensée locale lui a offert ce qu’on appelle, je crois, dans ce monde-là un apéritif d’honneur.

 

 

Or, parmi les petites filles que M. le maire envoyait ainsi, au mois de décembre, s’asseoir sous les platanes défeuillés du préau, il en était une, à peine âgée de huit ans, et plus frêle que l’on ne l’est ordinairement à cet âge. C’était l’unique enfant d’un pauvre ménage ouvrier. Elle s’appelait « Louise... » Pour eux, c’était « Loulou ». Les Sœurs l’aimaient bien. C’était chez elles que l’enfant allait apprendre à lire. Il ne lui fallait, pour cela, que traverser la rue. Mais maintenant « la laïque » était à deux kilomètres.

Vu la distance et la saison si froide, la mère de Loulou hésitait à l’y envoyer. On verrait, au printemps. Mais M. le maire fit dire qu’il ne l’entendait point ainsi et qu’il pourrait en coûter cher aux parents de Loulou, inscrits au bureau de bienfaisance.

Les pauvres gens eurent peur... Et, haletante de la longue route faite, transpercée par la bruine, les mains gourdes vous pensez bien qu’elle n’avait pas de manteau Loulou arrivait, le surlendemain, à l’école :

Ton nom ?

Loulou, madame.

Tu étais chez les Sœurs ?

Oui, madame.

Alors, va t’asseoir, sur l’un des bancs, devant la porte...

J’ai froid, madame...

Dans une heure, si tu es sage, tu viendras te chauffer au poêle... acheva la maîtresse, qui n’était pas une méchante femme.

L’enfant obéit et s’assit, les pieds ballants, dans les feuilles mouillées entassées là par le vent.

À mesure que la bise se faisait plus froide et le brouillard plus humide, elle se recroquevillait sur elle-même, comme une petite fleur qui se ferme.

Tant que dura la classe, Loulou resta là, oubliée. Le lendemain, elle ne revint pas.

L’enfant s’était couchée dès son retour. On avait entouré de briques chaudes le petit corps glacé, que secouèrent bientôt les frissons ; puis ce fut la fièvre, puis le délire... Loulou, tantôt gémissait, tantôt se dressait, rouge, suffoquée, se plaignant d’un grand mal à la tête et au côté. Elle toussait, toussait sans cesse, et un petit filet de sang coulait à droite et à gauche de sa bouche mignonne.

La mère m’a conté ces tristes détails, devant la couchette vide de l’innocente. Loulou avait mis huit jours à mourir... Et, la voilà, douce victime d’une odieuse persécution, qui, comme ses petites sœurs des catacombes, attend au cimetière l’heure où le bon Dieu l’appellera en témoignage contre ceux qui l’ont tuée...

 

 

Et l’on ose parler de repopulation quand d’innombrables petits êtres vont succomber, comme Louise, assassinés par cette laïcisation à outrance, qui sévit sur notre malheureux pays.

Terrible, en effet, sera l’atteinte portée à la santé publique par la disparition de ces écoles libres qui suppléaient, dans les hameaux isolés de nos villages, comme dans les quartiers excentriques de nos villes, à la rareté ou à l’insuffisance je ne parle ici qu’au point de vue de l’hygiène des bâtiments municipaux.

Ce seront, pour des milliers et des milliers d’enfants, deux, cinq, six kilomètres peut-être à faire, tous les jours, et par tous les temps, pour se rendre à l’école. Ce seront là, ensuite, des entassements aussi immoraux que malsains. Et ces mêmes universitaires si attentifs, jadis, à cuber l’air, dans les écoles congréganistes, verront, d’un œil serein, nos enfants s’asphyxier dans leurs classes encombrées. Oui, ces petits s’y écraseront, ou, faute de place, grelotteront à la porte. Dedans, ce sera l’infection. Dehors, ce sera la pneumonie ou la bronchite, qui, tous les jours, les guetteront, six heures durant.

La classe achevée, il leur faudra regagner la maison lointaine, si lointaine qu’ils n’ont pu y retourner pour leur repas de midi. Ils ont, alors, grignoté une croûte de pain, dans le préau, sans qu’un aliment chaud ait pu les réconforter.

Rentrés à la maison, ils ne mangeront guère, ... ils seront trop las. Et demain, après-demain encore, ces enfants repartiront pour l’école distante et malsaine, risquant leur santé, leur vie peut-être, pour aller apprendre là-bas qu’il n’y a pas de bon Dieu...

 

 

Mais non,... à en croire les coryphées laïcisateurs, les petits républicains de l’avenir ne risqueront ni leur vie ni leur santé. Non, ils épelleront les Droits de l’homme et se barbouilleront d’encre dans quelqu’un de ces palais scolaires dont on va achever de couvrir la France.

Eh bien ! je dis, moi, qu’on en a trop bâti pour oser en bâtir encore.

M. Jules Roche établissait, l’autre jour, que la dette des communes s’élève, aujourd’hui, chez nous, à plus de quatre milliards... Imaginez-vous ce qu’il va en coûter de papier timbré, de saisies, d’expropriations c’est-à-dire de souffrances et de larmes pour amortir une telle dette !... Après cela, allez donc, comme disait tout à l’heure M. le maire, « causer » centimes additionnels !..

Aussi, M. Combes s’est-il bien gardé d’en souffler mot, l’autre jour, lorsqu’il exposait aux mamelucks de la Chambre et aux caïmans du Sénat ses bonnes raisons d’expulser moines et religieuses. Il n’est plus nécessaire de bâtir des palais scolaires, puisque l’enseignement congréganiste est hors la loi... Qu’importe, si l’enfant traîne désormais sur le grand chemin... Qu’importe s’il s’empoisonne physiquement et moralement, dans la sentine où on l’enfermera, puisqu’il n’en peut plus sortir que révolutionnaire et athée...

 

 

« ... Vraiment, disait Rousseau, c’est donner trop d’avantage aux méchants que de se laisser égorger sans rien dire... »

« Sans rien dire... » ce n’est, certes, pas le cas aujourd’hui. Mais, à quoi bon tant de protestations légales contre la loi ?

À quoi, je vous le demande, peut servir la sonore antinomie de ces grands mots, sinon à masquer la même veule résignation que montrèrent, au lendemain de la mort de Robespierre, les condamnés de la dernière charrette ?...

La charrette si j’en crois la légende était venue le 10 thermidor, comme de coutume, à la porte de la Conciergerie. Les condamnés, dont c’était le tour, y avaient machinalement pris leurs places. Et le cheval, une bête d’habitude, les devinant installés, était parti, tout seul, d’un bon pas, pour ne s’arrêter qu’au pied de l’échafaud.

Samson n’était plus là. Les condamnés l’attendirent, inertes, indifférents, pendant près d’une heure. Et ce fut presque à regret qu’ils s’en allèrent, n’imaginant pas que l’on pût encore se permettre de vivre...

Frappante est l’analogie entre le fatalisme qui jetait ainsi les têtes sous le couperet de Samson, et celui de tant de pères de famille qui, par une inexcusable défaillance, livrent leurs enfants aux exécuteurs de M. Combes.

 

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Ce serait à désespérer des générations à venir, s’il n’y avait, au foyer, cette autre sauvegarde des berceaux et des âmes... la mère...

Celle-là ne veut pas être consolée, quand on lui prend son enfant. Si le père abdique le plus sacré de ses devoirs, elle parlera, elle redemandera, avec ces clameurs que l’on n’étouffe pas, l’âme, l’honneur, la vie de son fils et de sa fille...

Elle connaît le péril que crée pour eux l’école lointaine et sans Dieu...

Je sais des femmes héroïques qui, épuisées par le travail ou la maladie, se traînent, chaque soir, au-devant de la petite fille qui revient dans la nuit, confondue pendant d’interminables trajets avec tous les vauriens du pays, ses camarades d’école.

Il faut entendre ces mères maudire ceux qui souillent et qui tuent, lorsqu’elles retrouvent l’enfant rougissant des propos entendus ou succombant à la fatigue de la route... M. le premier ministre a vraiment eu tort de se féliciter, à la tribune, des huées féminines qui, naguère saluaient son passage à travers je ne sais quelle ville. Tenez, la rencontre de ces mères et du ministre persécuteur m’a rappelé un tableau que nul, quand il l’a vu, ne saurait oublier.

Il représentait Respha, l’héroïne biblique, défendant ses fils morts contre une nuée de vautours. Et l’on voyait la tourbe immonde, effrayée par son geste et par son cri, tourbillonner au-dessus d’elle, sans oser approcher la proie convoitée...

Grâce à Dieu, Respha n’est pas morte. Et si, hélas ! comme jadis, on en vient à crucifier l’enfant, son âme du moins échappera aux vautours...

 

 

 

Marquis COSTA DE BEAUREGARD,

Liberté, égalité, fraternité, s. d.

 

 

 

 

 

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