Histoire de deux serins

 

PETITE FABLE

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Joséphine DANDURAND

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le soleil avait souri, à travers les branches dénudées, d’un sourire plein de promesses ; les bourgeons avaient percé la dure écorce, les corolles s’entrouvraient fraîches et rieuses, et les arbres, jasant avec la brise, balançaient leurs dômes verdoyants au-dessus des sources grondeuses.

Les oiseaux revenaient par essaims pour fêter la naissance des vertes feuillées, et celle des marguerites, leurs petites amies des champs.

Les nids moelleux s’équilibraient aux jointures des branches ; déjà leurs hôtes se gazouillaient tout bas leurs espérances pour la nouvelle couvée.

À la cime d’un grand chêne, tout une famille de serins saluaient, certain matin, l’aurore de son premier jour.

Le ruisseau qui dort, sous les grosses branches de l’arbre géant, le rayon de soleil qui miroite sur la feuille humide au bord du nid, le coin d’azur à travers le rideau de feuillage, cette verdure flottante qui les berce avec de caressants murmures, toutes ces nouveautés ravissantes qui se révèlent à leurs regards étonnés, tiennent hors du nid les têtes curieuses de ces êtres naissants.

L’horizon empourpré, la source éblouissante qui bondit sur le flanc de la montagne, les flocons blancs dans le bleu du ciel, tout cela a des tons chatoyants et séducteurs, des appels gros d’attraits et de promesses pour les nouveaux éclos.

Et c’est un murmure continu, un concert de petits cris joyeux. Qu’ils sont heureux de vivre !... Oiselets d’un jour, ils ont le présent harmonieux et ensoleillé ; et l’avenir !... l’avenir ! Quand les plumes dorées auront poussé, quand les ailes diaprées se déploieront avec la vigueur de la jeunesse ! L’avenir ne se prépare-t-il pas pour eux plus doux que le nid, plus vermeil qu’un reflet de crépuscule dans le ruisseau limpide ?

Les petits serins ont crû. Ils ont atteint la taille ordinaire des oiseaux de leur espèce ; mais l’un d’eux surtout est un prodige, l’orgueil de la famille, la gloire de la nichée.

Quand sa voix vibrante et modulée éveille les échos matinals, plus d’une jeune serine sent palpiter son cœur d’oiseau, et joint une note émue à ses trilles éclatants.

Les êtres ailés, moins méticuleux que les hommes, reconnaissent sans formalité et acceptent sans élections le souverain que Dieu semble leur désigner dans celui d’entre eux qu’il dote de plus de charmes. Ceux du vieux chêne avaient voué un culte d’admiration et d’hommage à leur superbe compagnon.

Mais lui, indifférent à ses honneurs et à son prestige, ne formait dans sa tête altière que des projets aventureux de fuite et de voyages.

Un jour – aussi puissant que beau – il s’élança d’un seul trait, de la cime du grand arbre au sommet de la montagne lointaine. Puis, intrépide, il alla se percher sur une branche morte accrochée au milieu de la cascade fougueuse. De là il envoya au ciel sa chanson triomphale.

Ses parents effrayés avaient essayé de le suivre, mais tristement ils étaient revenus au chêne, l’épier de loin, le cœur serré par un funeste pressentiment.

D’un vol aussi rapide le téméraire enfant était revenu ; toute la tribu en émoi l’attendait anxieuse.

Au lieu de regagner le nid paternel où ses petites sœurs attendries l’appelaient de toutes leurs clameurs, le jeune héros, comme pour lui faire hommage de ses premiers lauriers, alla droit chez sa voisine, la plus jolie serine du monde, secouer ses ailes étincelantes des gouttelettes diamantées de la source, et roucouler la plus suave, la plus délicieuse, la plus enchanteresse des mélodies que Dieu ait enseignées à ses créatures.

Les humains qui l’entendirent crurent que les accords d’une musique mystérieuse, s’échappant des sphères célestes, étaient parvenus à leur oreille privilégiée.

Les échos émerveillés la répétèrent avec enthousiasme. Tout le vieux chêne tressaillit, et un concert de louanges s’en éleva comme une fusée vibrante et prolongée.

Ces joyeux accents avaient ragaillardi toute la peuplade. Chacun, sous la feuille qui l’abrite, s’endormit paisible, rêvant de douces choses. Seule, la belle serine avait compris le mot d’adieu caché sous la chanson brillante.

Tristement sa petite tête veloutée s’enfonça sous le duvet de l’aile maternelle. Qui dira combien d’étoiles s’étaient allumées au firmament, combien de soupirs avait poussés la brise à travers les feuilles frémissantes avant que le repos vînt clore sa paupière !

Le lendemain – toutes les fêtes ont un lendemain – les premiers reflets de l’aurore avaient effleuré la cime de l’arbre séculaire. Le roi du jour, disant adieu à d’autres peuples, apparaissait, s’élevait majestueux de son bain de flammes. Toute la nature chantait l’hymne matinale à sa manière, et le vieux chêne était muet – muet, mais plein de consternation, d’agitation et d’effroi. L’idole, le serin adoré, le beau charmeur des bois s’était envolé, laissant l’angoisse au nid, le deuil à la voisine éplorée.

Elle, puisant une énergie désespérée dans l’agonie de son cœur, étendit toutes grandes ses ailes frêles et timides, et disparut. La belle idolâtre, n’écoutant que son amour, volait sur la trace du cher infidèle.

Trois longs jours de recherches et de souffrances s’étaient éternisés pour l’infortunée voyageuse. L’ouragan avait soufflé, la tempête avait mugi.

Le matin du quatrième jour, les arbres, courbés par la tourmente, redressaient leurs panaches ruisselants. Le soleil revenait sécher les pleurs de la nature qui souriait à travers ses larmes en revoyant son radieux époux...

La pauvre serine épuisée, affaissée sur une branche, buvait languissamment des gouttes de pluie qui tremblaient sur une feuille de peuplier...

Soudain, elle se redresse et bondit. Elle a entendu... Oui, ce ne peut être que lui !... Un petit cri bien faible, presque imperceptible ; mais pourquoi son cœur s’est-il arrêté à cette voix, pourquoi bat-il maintenant à se briser ! Elle attend inquiète, le cou tendu, le regard intense, plein d’anxiété et d’espoir. Le cri se répète, doux, navrant, prolongé.

Rapide comme l’éclair, la serine franchit l’espace qui la sépare de son bien-aimé – oh bonheur ! il était là, elle le retrouvait ! Mais non. L’espérance un moment ravivée allait s’éteindre à jamais. Hélas ! le roi du vieux chêne est blessé. Son aile rompue palpite de douleur. Une fièvre brûlante l’agite et le consume. Il souffre. Il se meurt. Ah ! pourtant il ne peut périr, puisque le dévouement et l’amour subsistent encore pour lui en un cœur féminin !

La jolie serine se fait sœur de charité. Multipliant les soins au bien-aimé malade, elle vole au torrent, en rapporte dans son bec trois gouttes fraîches pour les couler sur la blessure. Elle remet doucement le membre cassé dans sa position normale, lisse de son aile de velours les plumes hérissées autour de la plaie, verse dans la gorge altérée du cher blessé une eau rafraîchissante. Elle voltige, sautille sur le gazon d’une façon embesognée, va et vient, s’oubliant elle-même, s’épuisant pour faire revivre ses amours.

À la fin l’héroïsme eut sa récompense.

Par la plus belle et la plus radieuse des matinées, le couple mille fois heureux revint au pays. Le fiancé était si rayonnant qu’on ne s’aperçut pas qu’il boitait un peu.

Il y eut noce complète au vieux chêne. De la base à la cime, il retentit tout le jour de chants d’allégresse.

Le beau serin resta le roi.

L’année suivante, en cédant le sceptre à son héritier, il lui donna ce sage conseil... Au fait, que croyez-vous qu’il lui dit ? De toujours rester au nid natal, prudemment abrité sous l’aile maternelle ?... Oh non !

– Mon fils, lui dit-il, quand la mousse du nid, quand la tendresse de ta mère ne suffiront plus aux aspirations de ton cœur troublé, va, mon enfant, au sein de la tempête, recueillir une précieuse blessure ; le ciel alors t’enverra un messager béni qui te fera revivre deux fois !... Mon fils, un pareil trésor vaut bien une aile brisée.

 

 

 

Joséphine DANDURAND, Contes de Noël, 1889.

 

 

 

 

 

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