La messe de Florent Létourneau

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Louis DANTIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MON grand-père secoua sa pipe et reprit : – Les gens de Saint-Jovite sont chanceux. Des belles terres, des bons chemins, la malle tous les jours, les chars, et jusqu’à des autos pour aller se promener en ville. De mon temps, tout ça, c’était le bois. En deçà des terres neuves y avait trente-cinq milles de bois dru ; et plus loin, dame, on aurait rejoint le pôle nord sans rencontrer une éclaircie. C’était pas rare, l’hiver, en ouvrant sa porte, de voir un ours de sept pieds de long qui fourrageait sur la galerie ; ces bêtes-là, avec leur museau, débarraient les granges, et emportaient des quartiers de bœuf tout ronds. Et on bûchait, on hâlait des souches, on charriait, et on suait, je vous en réponds. Y avait de la misère, et je sais pas ce qu’on serait devenus sans le bon Dieu et le curé Labelle.

On était pas des saints pour tout ça ; c’était mélangé comme partout. La majorité c’était du bon monde, mais y en avait sur le tas qui ne valaient pas cher : des gens venus de loin, des fois, pour de vilaines raisons. Moi, mes voisins c’étaient David Latour et Philémon Sécette ; on s’est toujours bien arrangés, hormis une fois que j’ai mené David en cour pour une rigole qu’il avait passée sur ma ligne. Mais, à l’autre bout du rang, y avait un québecquois du nom de Florent Létourneau, qu’avait une fichue renommée. C’était un jeune homme brun, bien pris, proche de trente ans, pas marié. Il vivait tout fin seul dans une sorte de masure pas plus grande, je vous mens pas, qu’un râtelier à vaches. Personne savait pourquoi qu’il avait gagné le Nord, mais c’était toujours pas pour faire de la terre neuve. Il s’était défriché un quart d’arpent, c’est tout, où ce qu’il semait une poignée de patates. Il chassait du matin au soir, c’était comme ça qu’il arrivait à vivre. Puis, il avait une bonne jument, il faisait des voyages pour les uns et les autres. Jamais il n’allait à la messe. Le curé l’avait entrepris sur la religion, mais autant piocher les galets ; notre saint père le pape lui aurait pas ramolli la tête. Le dimanche, qu’il disait pour ses raisons, c’était son meilleur jour pour le lièvre et la perdrix. Quoiqu’il ne voisinait guère, il s’était amouré de la petite Alma Latour, et c’était la seule place qu’il fréquentait. Les meilleurs morceaux de ses chasses étaient pour Alma, et s’il gagnait une piastre, elle était sûre d’attraper quelque fanferluche. La petite folle l’aimait étou, mais elle le disait pas : elle avait peur de l’avoir pour mari. Si par cas il la tourmentait, elle savait lui répondre : « Florent, quand t’agiras en chrétien, il sera temps de penser à ça. » Et malgré que, pour elle, il se serait fendu en quatre, il ne lui cédait pas, vu que c’était un homme ostiné.

Cet individu-là, la deuxième année qu’il était sur le rang, il lui est arrivé une affaire inimaginable, à vous redresser le poil sur le corps, qu’on en a parlé dans le temps jusqu’à Saint-Jérôme et Terrebonne.

C’était la veille de Noël au soir, et le monde, comme d’usage, se préparait pour la messe de minuit. Y avait de la neige pas mal et il ventait fort ; mais il faisait beau clair de lune, avec seulement quelques nuées dans l’Ouest. On a veillé un peu, puis, quand c’est venu sur les onze heures, on a attelé les carrioles, les femmes se sont greyées, et on a démarré les uns après les autres. Il fallait passer, comme de juste, devant la cabane à Florent. Quand le père Morrissette, qu’était avec sa bru, est arrivé en face, il aperçoit mon homme sur le pas de sa porte avec un fanal, et avec son fusil sur le dos. Il arrête son cheval. « Bonsoir, Florent, qu’il dit en riant, t’en vas-tu à la messe avec ta carabine ? Embarque donc avec moi, l’ami, t’as pas de meilleure chance. » – « Merci, que Létourneau lui répond, mais je m’en vas visiter mes pièges. » Deux, trois minutes après, v’là les Latour qui passent ; ils reconnaissent Létourneau dans le milieu du chemin. Alma lui crie : ‘‘Florent, qu’est-ce que tu fais ? Viens-t’en avec moi à l’église. » Il s’arrête, il a l’air de jongler un peu, vu qu’il était épris de la fille, mais à la fin il refuse : « Pas c’te fois-ci, ma belle, j’ai de l’ouvrage pour c’te nuit. » Il passe plus de trente carrioles ; les premières voient mon fou enjamber les champs de neige, les autres voient son fanal se balancer de plus en plus loin du côté du bois. Je vous demande un peu l’idée de c’t’homme, d’aller lever ses pièges la nuit, et la nuit de Noël encore ! Il s’était dit : « Ça va être une farce que je coure les épinettes pendant qu’ils sont à leurs cantiques. » C’était un type dépareillé, qui faisait tout à rebours des autres.

Ç’a été comme ça un bout de temps, puis, tout d’un coup, v’là les nuées qui commencent à cacher la lune, v’là le vent qui s’émousse et la neige qui se met à tomber. Ça rempire petit à petit ; au bout de vingt minutes, c’était une brouille de première classe, une poudrerie affreuse qui picotait comme des alènes, un noroit à vous geler les os, et sur toute la campagne il faisait noir comme dans un four.

Ça nous inquiétait pas, nous autres : on était tous rendus et on jasait sur le perron de l’église. Mais Létourneau, pendant ce temps-là, se battait avec la bourrasque et, trop ordilleux pour lâcher, il continuait d’avancer dans le bois. Il se fiait sur des remarques qu’il taillait aux arbres, et sur la Grand’Coulée qu’il calculait qu’était pas loin. Il avait marché un bon bout, de peine et de misère, quand tout d’un coup il bute sur un chicot abrié de neige, il s’étend tout de son long, son fanal va revoler à quatre pieds de lui. Quand il veut le ramasser, non seulement il était éteint mais toute l’huile avait renversé. V’là mon homme sans aucune clairté au milieu de l’épinettière. Il commence par sacrer, puis il voit qu’il faut qu’il s’en retourne. Il cherche à remonter ses traces : les traces sont effacées, la poudrerie l’aveugle, à toute minute il se cogne sur les troncs. Il se trouve écarté, monsieur, comme si c’était à cinquante lieues ; le nord, le sud, il reconnaît plus rien. Mais Létourneau, faut lui donner ça, c’était un homme brave. « C’est bon, qu’il dit, on se rendra quand même. » Il se figure à peu près la ligne des terres, et se met à marcher aussi vite qu’il peut, sans voir plus loin que le bout de ses bottes et en défonçant à chaque pas. Il marche une demi-heure, il s’arrête, il remarche encore. Pour lors, il se trouve perdu dans une masse de fardoches, sous des milliers de bouleaux qui se touchent quasiment. C’est une brousse qu’il n’a jamais vue, il n’a pas d’idée où ce qu’il est et ne sait plus de quel bord virer.

Il ne prend pas la peur pour ça. « Y a qu’une chose à faire, qu’il se dit, trouver quelque grosse roche, me mettre à l’abri derrière et attendre le matin. » Il rôdaille à droite et à gauche ; puis, à force de chercher, il distingue un caillou qu’avait l’air haut comme une maison. Il commence à tourner autour ; juste, il remarque une place plus noire que les autres, qu’était un grand trou dans la roche. « C’est icite, il pense en lui-même, que je passe ma nuit : j’ai de la chance. » Il fait un pas dans le trou, un autre ; il étend les bras devant lui sans rencontrer de mur. « C’est au mieux, qu’il se complimente, je sens plus une miette de vent ; seulement que je voudrais voir clair. » Il cherche ses allumettes, pas rien. En trébuchant sur le chicot, la boîte avait sorti de sa poche. Il tâtonne encore deux, trois pas ; ç’avait l’air d’une manière de cave, vu qu’il ne se cognait nulle part. Tout d’un coup il lui semble qu’il aperçoit devant lui une lumière rougeâtre. Il se demande : « Qu’est-ce que c’est que ça ? Y a-t-il du monde ici ? Ça, ça serait curieux, par exemple. » Il lui prend une souleur, mais tout de même il se décide ; il avance dret vers la clairté. Il avait pas fait plus de huit pas, y a une grande ouverture à gauche qui donne sur une voûte, et toute la voûte remplie de c’te même lumière, qu’on aurait dit qui venait d’un feu de forge ; mats il ne voyait ni feu ni forge, rien qu’une lueur égale, pas forte et juste assez pour distinguer. Il se trouve dans une caverne carrée, d’une vingtaine de pieds de long et de large, les murs tout couverts de frimas qui reluisait comme des petites étoiles. Il s’adonne à regarder à terre et, monsieur, qu’est-ce qu’il aperçoit ?

Au milieu de c’te grotte, éclairé par c’te lueur rouge, y avait un petit enfant couché sur une fourchetée de paille !

Il reste saisi, comme de raison. « Voyons, qu’il se dit, c’est-y le fret qui me donne la berlue ? » Il se frotte les yeux, il se secoue ; n’y a pas à dire, le petit était là : pas un bébé de plâtre ni de cire, un enfant en vie, qui grouillait.

Ça lui rappelle l’Enfant-Jésus couché comme ça dans la crèche des églises ; mais, à examiner celui-ci, il ne trouve pas qu’il ressemble à aucune image. Il avait sur la tête des petits cheveux crépus ; sa face toute maigrichonne était couleur de brique ; ses yeux avaient une drôle de reluisance, et son corps gigotait sans relâche, emmaillotté de langes tout noirs.

Florent restait là, hébété. « V’là un enfant, pense-t-il, qu’a pas l’air aimable ; ça me surprendrait qu’il aurait été baptisé. » Il a envie de l’approcher ; mais par hasard il relève la vue et v’là autre chose qui le surprend. Au long de la roche du fond, assis sur leurs pattes de derrière, il voit deux ours énormes, la tête ballante d’un bord, de l’autre, avec leurs langues pendantes, et un chat sauvage, à moitié pelé, qui montrait ses dents blanches entre ses babines écartées. Ces trois bêtes avaient l’air de le regarder en dessous. Il porte vitement la main à son fusil, puis il se dit : « S’ils ne remuent pas, je m’en vas rester tranquille ; en tout cas, je n’avance pas plus loin. » Pour lors il remarque comme un grouillement dans les coins ; et c’était des bêtes plus petites : des bêtes puantes, monsieur, peut-être bien une douzaine, qu’allaient et venaient sans faire de bruit.

« Qu’est-ce que tout ça veut dire ? » il se demande, « ç’a pas l’air naturel ce qui se passe ici. » En même temps, tout brave qu’il était, il commence à sentir une inquiétude. À ce moment, le bébé fait un cri ; et comme sur un signal, une masse de voix cassées, grêlées, fausses comme des crécelles, qui semblaient venir de partout sans personne en vue, entonnent une musique à rendre sourd. C’était un air bien connu qu’elles massacraient, et, au travers de leur tintamarre, savez-vous les paroles que Létourneau démêle ?

 

            Nouvelle agréable,

            Un démon charmant nous est né ;

            C’est l’enfant du diable

            Qui nous a damnés.

 

Les ours faisaient la basse à ce beau cantique avec des grognes épouvantables.

Ah ! pour le coup, je vous garantis, Florent sent une nuée de frémilles lui grimper tout le long des os. Il voit qu’il a été se fourrer en plein sabbat des diables occupés à singer la nuit de Noël. La peur le prend ; il veut se sauver ; mais c’est comme si ses pieds étaient vissés à des enclumes. Il reste là, monsieur, pas capable de bouger d’un pouce, et la sueur lui coule sur le corps. Mais c’était pas encore la fin.

À c’te heure v’là un homme et une créature qui sortent de je ne sais où et qui font leur entrée ensemble.

L’homme, le v’limeux diable plutôt, était un géant sans un poil de barbe, maigre comme un hareng salé, les yeux renfoncés, le nez croche, une vraie face de corneille, et la mine mauvaise et bourrue. Il portait un grand fouet, solide et laid à voir avec des mèches garnies de plomb. La femme, à première vue, c’était une belle grosse fille, belles couleurs, belle formance et tout ; – faut ça, vous comprenez, pour que les diablesses puissent tenter les hommes ; – mais pas besoin de regarder de près pour s’apercevoir qu’elle louchait, que son chignon était rapporté et qu’elle avait une livre de fard sur les joues. Probablement qu’en dessous elle était noire comme le charbon.

Les ours n’achevaient plus de grogner ; l’homme au fouet se tourne de leur bord : « Taisez vos gueules, sales bêtes, qu’il leur crie, ou je vous hache le cuir en courroies de bottes. » Puis, en parlant à la diablesse : « Allons, guenon, fais ta simagrée. » T’as pas à me bourrasser, qu’elle réplique, monstre d’aigrefin, je sais ce que j’ai à faire. » Elle s’approche du petit démon, lui fait une révérence, et elle était parée à se mettre à genoux quand elle aperçoit Létourneau à l’entrée de la cave, qu’était blême comme un drap, que les dents lui claquaient dans la bouche. Tout de suite, les yeux de la gueuse flambent comme des tisons, puis elle se met à rire et à faire des manières. « Quel joli homme ! » qu’elle dit : « Viens donc que je t’embrasse, mon mignon chéri : tu ne sais pas comme je te trouve beau ! Tiens, mais c’est Florent Létourneau, du coin de la montée de Saint-Jovite ! Ah bien ! je te connais : tu m’as vue plus d’une fois sans le savoir. Comme t’es gentil de me rendre visite ! Alma Latour t’aime bien, je sais tout ça, mais moi, je t’aime dix mille fois plus, et je te veux pour mon petit mari ! Tu ne viens pas, mon cœur ? Bien, je vas aller t’embrasser moi-même. »

Elle ne fait ni une ni deux, elle enjambe pardessus le marmot et elle s’en allait dret sur lui, monsieur, quand son partenaire l’arrête net d’un coup de fouet à travers les jambes. « Pas de ça, fille perdue, qu’il rugit, t’es pas ici pour faire l’amour. Allons rachève ta mômerie, adore l’enfant de Lucifer. » L’autre lui répond, furieuse : « Je l’adorerai si je veux. Ah ! ah ! c’est pas à lui, d’abord : c’est pas le premier tour que je lui joue. C’est bon c’est bon, retiens ton fouet et puis regarde-moi faire. »

Pour lors elle tombe sur ses genoux, et, les bras étendus, elle marmotte : « Fils de Satan, ou d’un autre, je t’insècre, je te réinsècre, je te griffe, je te ramougriffe ; rôti, bouilli sois-tu in saecula saeculorum ! » En disant ça, prise de rage subite, elle pince le bébé de toute sa force et lui flanque une claque dans le visage. Le petit Satan ne fait qu’un saut ; il lâche un miaule à frissonner, s’agrippe au bras de sa mère et lui enfonce ses ongles dans la peau. Et alors l’homme, la femme, le poupon, les ours, le chat sauvage, et jusqu’aux bêtes puantes, se mettent à hurler comme des damnés qu’ils étaient tous.

Dire que pendant ce temps-là, monsieur, nous autres on était assemblés dans une belle église chaude, bien éclairée, parfumée d’encens ; – qu’on chantait des cantiques, tous d’une seule âme et d’un seul cœur, en compagnie de la Sainte-Vierge et de l’Enfant-Jésus !

Quand le silence est revenu, Létourneau pouvait juste se tenir sur ses jambes et il s’attendait à toute minute d’être envalé par un trou de l’enfer. Mais non ; il entend derrière lui la neige qui griche et des pas pesants qui se rapprochent. Il n’a que le temps de se ranger, et v’là trois chameaux qui s’avancent, qui passent à côté de lui et foncent dans la caverne en branlant leurs têtes et leurs bosses.

Les trois chameaux portaient trois nègres affublés de bonnets pointus, et un tas de gros sacs. Les trois nègres débarquent, font une manigance au petit diable ; puis un d’eux défait un des sacs, y pige une poignée de vieux sous et les fait rouler sur le sol. « Majesté, qu’il déclame, c’est un présent qu’on vous apporte de toutes les contrées de votre royaume. Ç’a pas l’air de grand’chose, mais ça vaut plus que ça ne paraît : chacun de ces gros sous a été volé dans un tronc d’église ou arraché aux orphelins et aux veuves. » Là-dessus, le jeune Belzébuth se soulève et fait une risette, bien plutôt une grimace à rendre un chien malade.

Le deuxième moricaud s’approche : « J’ai mieux que ça », qu’il dit, et il tire de son sac deux ou trois vases d’or. C’étaient des calices, monsieur, et des saints ciboires que ces maudits-là avaient pillés, peut-être aux États ou en France ; – et il en avait une centaine ! L’héritier d’enfer, pour le coup, se tortille sur sa paille et bat ses vilaines pattes en l’air.

La troisième face de suie s’amène : « Sire mon roi, moi j’apporte l’encens. » Il déficelle son sac et, fuitt, il en sort une odeur capable de défuntiser un tanneur : un mélange d’œufs pourris, d’huile de castor, de graisse brûlée et de saleté de chat ; ça remplit toute la cave, et par en plus les bêtes puantes, en glapissant et gambadant, se mettent à agir toutes à la fois !

C’était le reste pour Létourneau : la minute que ce parfum-là lui rentre dans le nez et la gorge, il tombe à terre sans connaissance.

Quand on est revenus de la messe, le vent était tombé ; il n’y avait plus qu’une petite brume de neige. En passant devant chez Florent, le père Latour dit à sa femme : « Ce païen-là a manqué la messe ; c’est égal, je vas l’inviter à venir prendre un coup et manger une tranche de tourtière. » Il débarque, il cogne à la porte. Après avoir cogné cinq, six fois, il s’aperçoit que mon homme n’est pas encore retourné du bois. « C’est curieux, ça, qu’il dit, il y a deux heures au moins qu’il est là ; j’espère qu’il ne s’est pas écarté rapport à la tempête. Faudra venir voir demain matin si tout est comme il faut. » Le matin de bonne heure il se rend à la cahute : personne. Il ne trouve que la jument qui piaffait dur dans l’écurie. Pour lors il réveille les voisins, et y a une dizaine d’hommes qui partent sur des raquettes et qui se mettent à battre le bois. Ils l’ont découvert à la fin à trois milles au nord de la réserve, dans une forêt de bouleaux qu’est la terre des Robert à c’te heure, à moitié gelé dans un creux de roche grand à peu près comme sa cabane. Ils l’ont porté chez le père Latour, lui ont donné de la boisson chaude et l’ont mis dans un lit. Du moment qu’il s’est réveillé, sa face est venue rouge comme une flambe ; il lui a pris une fièvre qu’il fallait deux hommes pour le tenir. Pendant trois semaines, monsieur, il s’est débattu contre la fièvre ; a fallu avoir le docteur, et sans la petite Alma qu’en prenait bon soin nuit et jour, c’est sûr qu’il ne s’en serait jamais réchappé. C’est comme ça qu’on a su, par bouts, tout ce qui lui était arrivé, parce que la nuit, voyez-vous, il parlait tout seul.

Comme de raison, il a marié Alma Latour ; mais je vous réponds qu’après ça elle n’a pas eu à le tourmenter pour lui faire remplir ses devoirs. Ç’a jamais été un homme avenant, par exemple, ni trop pressé de payer ses comptes ; mais pour de la religion, il en avait. La nuit de Noël, surtout, on ne l’aurait pas retenu chez lui avec un attelage à quatre. Une fois que le curé d’ici était malade, ils sont partis, lui et sa femme, à cinq heures du soir, et se sont rendus jusqu’à Sainte-Adèle pour entendre la messe de minuit. Mais je n’en dis pas plus long sur ce pauvre Florent : y en a icite qui l’ont connu.

 

 

Louis DANTIN, Contes de Noël, 1936.

 

 

 

 

 

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