Les fiancés des catacombes

 

 

La nuit pèse sur Rome et l’heure est avancée,

L’amphithéâtre est vide et le peuple-roi dort,

Mais dans la Catacombe où s’exile la mort,

Faustus, près de l’autel, attend sa fiancée.

Ils sont, tous deux, les fils des saints qui dorment là,

Avec leur foi vaillante, ils ont leur vie austère,

Ils sont nés dans le Christ au même baptistère,

Et Faustus, à l’autel attend Donatilla.

Même en ces temps de deuil et de sanglant orage,

Le bonheur peut fleurir sur leur âpre chemin.

Ils iront, fiers et purs en se donnant la main :

Ils n’auront qu’un seul cœur, mais un double courage.

Donatilla, ce soir, à Faustus va s’unir ;

Et le doux vétéran des luttes de l’Église,

Que sa voix et son sang, tour à tour fertilise,

Urbain le saint évêque est venu les bénir.

Il est là, revêtu de sa robe de fête :

Il prie en appuyant son front sur un tombeau.

Lui-même, il a voulu que l’autel fût plus beau,

Pour cette heure du ciel que le Seigneur a faite.

Et dans la Catacombe on a semé des fleurs ;

Sur les corps des martyrs les palmes s’amoncellent,

Près des fioles de sang les lampes étincellent ;

La pourpre au tuf blanchâtre a prêté ses couleurs.

Urbain prie ; et Faustus vient et va ; joie et crainte

S’agitent à la fois dans son cœur de vingt ans.

Donatilla se fait attendre bien longtemps...

Il écoute : aucun bruit dans l’obscur labyrinthe.

Quand donc, là-bas, au fond de ces couloirs étroits,

Brilleront les flambeaux précédant l’humble escorte ?

Faustus se trouble ; en vain le pontife l’exhorte,

Il parle en vain de paix, il montre en vain la croix.

« Père, Donatilla ?...

                            – Non, ne doute point d’elle.

– Elle aura craint la nuit, les passants ?

                                                         – Non, chrétien,

Son cœur est intrépide, il est digne du tien.

– Aurait-elle oublié ?...

                              – Non, son cœur est fidèle. »

Un bruit sourd et lointain résonne : un bruit de pas.

Dans les longs corridors le bruit se précipite :

Faustus s’avance, il tremble, il vit. Son cœur palpite.

Mais le bruit continue et ne s’approche pas.

Ce sont des coups frappés dans le tuf que l’on creuse ;

C’est la pioche de fer qu’on entend retentir :

On taille un loculus pour un frère martyr.

Faustus frémit, il pleure ; et de sa main fiévreuse

Saisit la main du prêtre et la pose à son front :

« Il est en feu, dit-il ainsi que ma pensée ;

Mes yeux ne verront point, ce soir, ma fiancée.

– Espère encor, mon fils ; ce soir, ils la verront.

Faustus marche au hasard ; au hasard il regarde

Les symboles de foi gravés par le fossor :

Le poisson, les cinq pains, l’oiseau qui prend l’essor,

Le bon Pasteur... « Pasteur divin, viens, sauve, garde,

Amène à ton autel cette enfant que j’attends ;

Ô Christ »...

           Mais tout à coup, au fond des couloirs sombres,

Des torches de santal ont dissipé les ombres :

Quelle foule, des voix, des hymnes éclatants ;

Un immense cortège emplit les galeries :

Des diacres, des vieillards, des vierges. À la main

Ils tiennent des lauriers qu’on effeuille en chemin,

Ou des gerbes de lis, et des branches fleuries,

« Voici l’instant de Dieu que ton âme appela »

Dit Urbain. Et Faustus médite un doux reproche

Quand un diacre à grands pas fend la foule, s’approche,

Et tourné vers Faustus... « Voici Donatilla... »

Faustus lève ses yeux où rayonne la joie.

Au milieu des flambeaux et des heurs, à l’écart,

Des fossores, bras nus, soulèvent un brancard ;

Quel fardeau portent-ils dans la pourpre et la soie ?...

Le cortège fait place ; ils marchent vers l’autel

Et le diacre : « Faustus, que ta foi te soutienne...

Voici Donatilla... mais martyre chrétienne

Dont le Christ est la vie et l’époux immortel.

Elle vient d’achever sa victoire bénie,

De lasser les bourreaux de César et l’enfer ;

Sous la dent des lions, sous les ongles de fer,

Sa lèvre a prononcé ton nom dans l’agonie.

À prix d’or, j’ai sauvé son corps, cueilli son sang,

Témoignages de Dieu, triomphantes reliques...

Son âme suit l’agneau dans les chœurs angéliques

Et chante l’Hosanna de gloire au Tout-Puissant.

La mort a respecté son sourire et ses charmes.

Nous gardons sa mémoire, acclamons ses combats.

Invoque-la, Faustus, dans l’exil d’ici-bas ;

Ta douleur est la nôtre, et nous pleurons tes larmes. »

Tous murmuraient : « Amen... »

                                              Quand le diacre eut fini,

Urbain montra la croix où l’Éternel expire ;

Faustus baisa la main de la vierge martyre

Et dit en sanglotant : « Ô Christ, soyez béni... »

 

 

 

Victor DELAPORTE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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