L’highlander

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Sophie DENNE-BARON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non loin d’Holy-Rood, dans une vallée profonde, à l’ombre de hauts peupliers, était un petit cottage habité par une pauvre orpheline, reste de l’ancienne famille des Murray. Son nom parmi les anges était Hélène ; fleur ignorée, elle croissait dans la solitude sous les yeux de Peggy, sa vieille nourrice ; seulement aux jours de fêtes, fidèle à la foi de ses ancêtres, elle allait entendre la parole de Dieu dans la chapelle du royal manoir, où, parmi les ruines, se tenait encore debout l’autel jadis confident des larmes et des prières de l’infortunée Marie Stuart.

De retour dans sa chaumière, Hélène reprenait son ouvrage ; car du fruit de son travail dépendait son existence et celle de sa nourrice qu’elle aimait comme une mère ; aussi rarement ses fuseaux restaient oisifs, et le chanvre grossier, roulant sous ses jolis doigts, se transformait bientôt en un fil le plus beau qu’on ait jamais filé. Ses jours coulaient ainsi égaux, monotones, et elle se trouvait heureuse ! Mais il faut peu de chose pour troubler le bonheur, surtout dans la solitude.

Un jour, qu’à l’issue de son frugal repas du matin, Hélène devisait avec Peggy, une détonation d’arme à feu vient frapper son oreille, de sourds gémissements la suivent ; elle entend comme un corps se traîner du côté de la haie vive qui clôt son petit domaine. Troublée, éperdue, elle se précipite vers l’être souffrant qui réclame son secours ; une trace de sang l’y conduit : elle voit gisant sur la terre un chien, le flanc percé d’une balle ; il tourne vers elle un regard suppliant. Elle le soulève, le flatte de la voix, étanche le sang qui sort de sa blessure, et de son voile lui fait une ligature qui, fortement attachée, arrête sa vie près de s’exhaler.

– Bonté divine ! s’écrie alors Peggy, qui ne faisait que d’arriver, car la vieillesse est tardive ; bonté divine ! c’est le chien de l’homme de la montagne !

– Que parlez-vous, ma mère, de l’homme de la montagne ? demanda Hélène ; est-ce quelque solitaire qui la nuit abrite le voyageur, ou quelque bandit qui le dépouille ?

– Oh ! non, mon enfant, ce n’est ni l’un ni l’autre : son histoire est triste et bien longue ; je ne puis vous la dire aujourd’hui : une autre fois je vous la conterai.

Cependant, tout en aidant la jeune fille à transporter le chien dans le logis, elle poursuivit : « Les gens du pays ignorent sa naissance, d’où il vient, qui il est ; mais moi, je sais tout cela, et me garde bien d’en rien dire, car il veut sans doute en faire un mystère. Jadis sa famille était si puissante, qu’elle excita l’envie des grands de la cour ; ils l’accusèrent de trahison ; elle fut condamnée, et alla mourir en exil. Un seul lui survécut, c’en était le dernier rejeton, sur ma foi, un beau et brave jeune homme, compagnon d’armes de votre pauvre frère. Ah ! dame, vous ne pouvez vous rappeler tout cela, vous étiez si petite alors, que vous marchiez à peine. Le courage ne l’abandonna pas ; il parvint à confondre ses ennemis, fit réhabiliter la mémoire de ses parents, faussement accusés, et ressaisit son rang et ses richesses ; mais il haïssait un monde où il n’avait trouvé que malheur, où ceux qui lui étaient le plus chers avaient été les premiers à le trahir, et il s’en fut cacher son nom et ses infortunes là bas, au milieu des montagnes, dans un château abandonné, sans nul serviteur, nul autre ami que son chien, ce pauvre Médor, qui ne sait qu’aimer et qu’être fidèle. Il y est encore, rarement il quitte sa retraite, et s’il s’en éloigne, ce n’est que pour errer sur les sommets les plus arides, où, pendant la nuit parfois, on l’aperçoit comme une ombre qui va regagner son tombeau. De là lui vient le surnom de l’homme de la montagne ; et ses semblables, qui ne peuvent lui pardonner son isolement et le mystère qui l’environne, veulent le tourmenter encore en le privant de ce pauvre animal, sa seule joie, son seul amour !... qu’ils sont cruels !... Il ne leur a pourtant fait aucun mal !... Ah ! il y a moins de tigres aux forêts que dans les demeures des hommes. »

Hélène soupira et regarda Médor qui, soulevant un œil appesanti par la douleur, semblait lui dire : Oh ! oui, c’est bien la vérité.

Le récit de Peggy porta le trouble à l’âme de la jeune fille ; elle pensait incessamment aux infortunes du solitaire, et ses soins pour Médor n’en devenaient que plus attentifs. Ainsi se passa cette première journée de vague et d’inquiétude. Le lendemain, à son réveil, elle fut bien heureuse en voyant la plaie de Médor presque cicatrisée, et lui, la caressa avec une telle ivresse, qu’elle comprit qu’il voulait la remercier de lui avoir sauvé la vie.

Cette petite scène de reconnaissance avait quelque chose de ravissant ; mais hélas ! elle fut de courte durée pour la jeune fille ; car Médor, prenant sa course à travers les montagnes, disparut bientôt à ses yeux. Persuadée qu’il allait rejoindre son maître et qu’elle ne le reverrait plus, elle se mit à pleurer avec toute l’amertume et la naïveté de son cœur. Un tel chagrin est grand à qui n’a pas encore senti les tourments de la vie ; aussi la pauvre Hélène ne se consolait pas, et le soir la surprit assise sur un petit banc de bois à la porte de son logis, tenant d’une main sa quenouille inactive, et de l’autre essuyant les pleurs qui tombaient de ses yeux ; quand tout-à-coup Médor s’élance, saute, bondit, lui lèche les pieds, les mains, s’attache à ses vêtements et par ses bruyantes démonstrations lui prouve qu’il ne l’a pas oubliée. À sa vue, la jeune fille tressaille, une vive rougeur colore ses joues, la joie brille dans ses yeux ; plus de peine, plus de larmes, Médor lui est rendu ; elle le voit, elle l’appelle, lui rend caresse pour caresse, lui parle, l’interroge.

– Eh bien ! méchant..... te voilà donc ?.... je croyais que tu m’avais quittée pour toujours... as-tu revu ton maître ?.. A-t-il été content de ton retour ?... Oh ! oui... comme il t’a fêté, n’est-ce pas ?.... son regard s’est attaché sur toi.... sa bouche t’a souri... Heureux Médor ! ton front a senti son souffle, ses lèvres brûlantes.... Lui as-tu dit que c’était moi, moi à qui il doit ton retour ?... Réponds donc, Médor, réponds donc ?

Et le chien, se dérobant aux douces étreintes de la jeune fille, redouble ses sauts, ses bonds, ses caresses, puis revient se jeter dans ses bras comme un enfant joyeux de retrouver sa mère. « Que je t’aimerais, mon Médor, si tu pouvais lui dire combien il m’intéresse ! il serait moins à plaindre sans doute ; oh ! oui, car vivre sans un cœur qui nous comprenne, c’est affreux, et l’on ne peut jamais être heureux.

– Jamais ! répéta une voix qui fit vibrer les nerfs de l’orpheline de même que les cordes d’une harpe éolienne au souffle de la brise qui la caresse. Surprise, elle regarde : debout devant elle est un homme d’environ trente ans, vêtu à la manière écossaise ; son épée bat sur sa cuisse, et son plaid, roulé en écharpe autour de son corps, brille de mille couleurs ; son œil de feu rencontre le regard velouté de la jeune fille, et, plus prompt que l’étincelle électrique, court embraser tous ses sens ; un frémissement inconnu se glisse dans ses veines, ses paupières se baissent et voilent l’azur de ses yeux ; sa main sans force est près de laisser échapper sa quenouille, et elle balbutie d’un accent tout d’amour : Tu es l’homme de la montagne ?

– Et toi, la femme de mes souhaits, la vierge d’amour qui la nuit vient occuper mes songes, qui le jour se dessine à mes yeux sur les plus beaux nuages ; celle qui dès le berceau, au temps du bonheur, devait m’être fiancée. Oh ! oui, c’est toi, bel ange, que le ciel a envoyé pour adoucir mes maux, pour cicatriser les blessures de mon âme. Quel démon ennemi de mon bonheur m’a retenu si longtemps loin de toi ?... fille des Murray, car ton noble nom est venu jusqu’à mes montagnes ; comment ai-je pu te savoir en ces lieux, et ne t’y avoir pas cherchée !.... Ah ! je le sens, le ciel voulait que l’amitié me prêtât son secours, et c’était à Médor à me conduire vers toi.

Il dit : son front s’empreint de cet amour pur, ardent, qui n’embrase qu’une âme vertueuse ; il s’approche d’Hélène, et se place à son côté. Médor, comme s’il eût achevé son rôle, va tranquille se coucher aux pieds de celle qu’il a déjà adoptée pour maîtresse et s’endort. Hélène s’étonne du trouble qui l’agite, des battements précipités de son cœur ; elle n’ose regarder le jeune homme, mais elle ne retire point sa main lorsqu’il lui met au doigt, comme premier gage d’amour, l’anneau qu’il portait au sien.

À peu de temps de là ces deux amants, agenouillés devant l’autel de la chapelle d’Holy-Rood, reçurent la bénédiction nuptiale, et l’homme de la montagne, fier de sa jeune épouse, reprit son nom, ses titres, et le chemin d’Édimbourg. C’est dans cette belle cité qu’auprès d’Hélène il se convainquit que s’il est des amis ingrats, il en est aussi de fidèles. De charmants petits enfants, fruit de leur aventureuse union, ne tardèrent pas à jouer autour d’eux ; Médor était toujours de la partie ; sa fidélité lui porta bonheur, il vécut vieux, et, après sa mort, l’enfantine famille lui éleva un petit tombeau dans le parc, avec cette épitaphe : « À l’ami de papa. »

 

 

Sophie DENNE-BARON.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1835.

 

 

 

 

 

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