Le gâteau de Noël
Auprès d’un modeste foyer,
Où venait s’engouffrer la bise,
Un soir d’hiver était assise
La famille d’un ouvrier.
Le père, à quarante ans à peine,
Paraissait déjà vieux ; sur ses traits affaissés
Les rides annonçaient la fatigue et la gêne,
Trop communes douleurs des pauvres délaissés.
La mère était l’un de ces anges,
Symboles gracieux d’espérance et de paix,
Que Dieu mit sous le chaume, et sous l’or des palais,
Pour apprendre aux mortels à chanter ses louanges.
Enfin, trois enfants blonds et doux
Opposaient leur visage rose
Au front pâle et morose
Du père, qui berçait l’un d’eux sur ses genoux.
C’était Noël. – Dans l’air, d’invisibles musiques
Répétaient en écho les célestes cantiques. ,
L’univers saluait le Verbe rédempteur ;
Et la pieuse ménagère,
D’un frais gâteau, béni par les mains du pasteur,
Avait accompagné son frugal ordinaire.
« Allons, à table, enfants ! » dit-elle. – Les marmots,
Affamés et joyeux, s’élancent à ces mots
Vers le festin nocturne.
Seul, le mari restait dans son coin, taciturne.
« À quoi bon, pensait-il, célébrer l’heureux jour
Où l’Homme-Dieu parut pour délivrer le monde ?
Dans le cercle où je vis, je regarde à la ronde,
Je n’y découvre, tour à tour,
Que travail et misère, injustice et bassesse !...
Non, non ! le Christ, pour moi, ne tint pas sa promesse !
Tout à coup, l’ouvrier entendit près de lui
Sa femme qui disait d’un accent de prière :
« Ami, viens avec nous ; nous fêtons aujourd’hui
Celui qui pardonna sur la croix du Calvaire,
Celui qui nous apprit à son dernier moment
Ces mots divins : Amour et dévouement ! »
Ô merveilleux pouvoir d’une sainte parole !
Le dévouement, l’amour, par eux tout se console !...
Aussi, l’époux, honteux de son doute cruel,
Dans la main de l’épouse alla mettre la sienne...
Et la famille entière à la fête chrétienne
S’unit – en partageant le gâteau de Noël.
Alexandre DEPLANCK,
Petit recueil poétique dédié au jeune âge, 1864.