L’oiseau sans ailes

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

– Que tenez-vous-là, Georges ? dit Marie à son frère qui accourait vers elle.

– Prenez-le, Marie ; car c’est un pauvre oiseau presque mort de froid.

– Où l’avez-vous trouvé, Georges ?

– Engourdi sur la neige, Marie.

– Pauvre oiseau ! dit-elle ; quelque méchant garçon t’aura coupé les ailes, et tu seras tombé du toit, sans pouvoir voler. Mais je te ferai un nid ; j’y mettrai de la laine chaude pour t’y coucher, et tu auras ta nourriture de ma main, jusqu’à ce que tes ailes soient repoussées. Ainsi, ne crie pas, pauvre oiseau ; cela me fait mal dans le cœur de t’entendre gémir.

Elle nourrit ainsi le jeune oiseau jusqu’à ce qu’il pût sautiller et voler. Georges le regardait avec joie, tout guéri et si familier qu’il s’élançait de sa cage, quand on lui disait seulement : « Petit ! petit ! » Georges fut si content qu’il embrassa Marie en lui disant : « Tu es bonne ! »

Par un jour de soleil et tout près du printemps, Marie regardait le ciel à travers la fenêtre ; elle dit en elle-même : « C’est pourtant là le vrai séjour des oiseaux ; le nôtre a des ailes à cette heure ; quelle serait sa félicité de remonter vers ces beaux nuages d’or, et dans ce fond d’azur, sa splendide maison, sa première maison ! »

« Petit ! petit ! » cria-t-elle, courageusement ; et l’oiseau vola sur son épaule.

« Adieu ! » poursuivit Marie en versant une larme, qui tomba sur l’aile de l’oiseau, et en ouvrant précipitamment la fenêtre : « Je t’aime mieux, dit-elle, pour toi-même que pour moi. Je t’ai rendu des ailes, ce serait affreux de les énerver dans une cage. »

L’oiseau, ébloui d’abord, et un peu chancelant au grand air, fixa bientôt hardiment cette vivifiante lumière du ciel ; il étendit trois fois ses ailes palpitantes, et disparut enfin dans l’espace inondé de soleil. Marie revint seule près de la cage vide, où elle appuya son cœur, et prenant dans ses deux petits bras cette cage triste, comme la chambre d’un ami perdu, elle dit tout has : « C’est lâche à moi de pleurer, car j’ai bien fait. »

Tout à coup, Georges entra en sautant.

– Bonjour, Marie, où est le petit ? Petit ! petit ! cria-t-il ne le voyant pas comme à l’ordinaire dans sa cage égayée de fleurs et de feuilles vertes qu’il venait de renouveler.

– Vois qu’il fait beau, répondit Marie, en le conduisant à la fenêtre. Réjouis-toi, Georges. Notre ami est plus près que nous du ciel. Le ciel est à lui, vois-tu ? et je le lui ai rendu tout à l’heure ; regarde mes yeux... Je ne pleure plus.

Georges cacha sa tête sur la fenêtre, et demeura pétrifié de douleur.

– Ah ! Marie ! dit-il enfin, rouge de reproche et de passion, tu m’as pris mon ami. Tu ne m’aimes pas ; tu n’aimes pas l’oiseau non plus, puisque tu l’as ainsi délivré.

– Délivré ! tu sens toi-même que c’est une délivrance. Tais-toi donc, mon frère ; et pense qu’il n’était à nous que pour le guérir, le recevoir en passant, comme un pèlerin blessé. Il chante peut-être nos deux noms à la porte du ciel ! Tais-toi donc ! dit-elle en embrassant Georges qui l’embrassa lui-même ; car il sentait que le cour de Marie était gros et battait contre le sien.

– Oui ! dit-il en la regardant, les yeux mouillés, mais pleins de courage, tu as bien fait !

Vers le soir, comme ils rêvaient tous deux en regardant du coin de l’œil la cage silencieuse ils entendirent : tac ! tac ! tac ! contre la vitre. Ô joie ! c’était l’oiseau qui battait ses ailes pour rentrer. On ne le fit pas attendre, vous le devinez bien ! Georges, en poussant un cri de bonheur, courut vers la fenêtre ; Marie, qui était la plus grande, l’ouvrit en jetant vers le soleil couchant un regard heureux, tandis que Georges couvrait l’oiseau fidèle des chauds baisers de sa reconnaissante tendresse, et leur libre ami, tous les jours de sa douce vie d’oiseau, se partagea dès lors entre le ciel et sa cage ouverte !

L’homme s’élève de la terre au ciel, à la faveur de deux ailes, qui sont la simplicité et la pureté.

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE,

Le livre des mères et des enfants, 1840.

 

 

 

 

 

 

 

 

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