Le mendiant et l’oiseau
LE MENDIANT.
Où vas-tu donc, petit oiseau
Ainsi volant à tire-d’aile ?
Viens me chanter ta ritournelle,
L’air est si pur, le ciel si beau.
L’OISEAU.
Je vais chercher la nourriture
Que Dieu me garde quelque part
Mais toi, hâte tes pas, vieillard,
La nuit ramène la froidure.
LE MENDIANT.
J’erre seul depuis ce matin,
Et nul n’entend ma voix qui pleure ;
Tes chants pourraient me faire, une heure,
Oublier mon triste destin.
L’OISEAU.
Mais dans cette saison cruelle,
L’oiseau fait taire tous ses chants ;
Vois, la neige couvre les champs.
Comment chanter ma ritournelle ?
LE MENDIANT.
Quand le printemps nous rend ses charmes,
Oiseau, tu vis libre et joyeux ;
Mais pour moi, pauvre, faible et vieux,
Au monde il n’est plus que des larmes.
L’OISEAU.
Dieu ne laisse pas avoir faim
Une humble et faible créature,
Il me garde un grain pour pâture
À toi, vieillard, un peu de pain.
LE MENDIANT.
Oiseau, ce grain, Dieu te le donne,
Et des refus tu n’en crains pas ;
Trop heureux qui peut ici-bas
Ne rien demander à personne !
L’OISEAU.
Ce grain, je le cherche, vieillard ;
Comme toi, je mendie et j’erre ;
Sans peine on n’a rien sur la terre ;
Et je ne dois rien au hasard.
LE MENDIANT.
Miné par la faim et par l’âge ;
Succombant à mon triste sort,
Un soir on me trouvera mort
À quelque cent pas du village.
L’OISEAU.
Je puis mourir loin de mon nid,
Faut-il que je m’en épouvante ?
Pauvre vieillard, espère et chante,
Dieu seul est grand, qu’il soit béni !
Augustin DEVOILLE.
Recueilli dans Lecture à haute voix,
par M. V. Delahaye, Beauchemin, 1896.