L’homme qui cherchait Dieu

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Rosaire DION-LÉVESQUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Car l’homme en ne cherchant

pas Dieu se fait plus de mal

que ne le pourraient lui faire

ensemble et le monde et ses

ennemis. »

(L’Écclésiaste).

 

 

« I fled Him down the nights and down the days,

I fled Him down the arches of the years,

I fled Him down the labyrinthine ways of my own mind. »

(Francis Thompson).

 

 

Basil était âgé de quarante ans et il cherchait encore Dieu !

 

Il le cherchait depuis qu’il lui avait échappé au lendemain de son adolescence.

 

Sur les genoux de sa mère il avait appris que Dieu était partout ! Que Dieu était un être vivant, mais ne se révélant qu’à ces âmes pures filées de seul azur.

 

À cinq ans Basil avait des entretiens avec Dieu. Un jour dans la saulaie où il s’amusait seul, il était tombé dans une mare. Un être lumineux, à longue barbe et à cheveux blancs, était soudainement apparu et l’en avait retiré, le déposant avec sollicitude sur l’herbe du rivage. Puis, il était aussi subitement disparu ! Basil avait vu le bon Dieu ! Il avait raconté la chose à ses parents. À cause de son âge tendre, ils avaient souscrit à sa vision céleste.

 

Dieu ne lui avait-il pas été visible durant toute son enfance ? Il le voyait dans ses prières ; mais surtout au cours de ses randonnées dans les bois ; par les mois de mai il y allait cueillir des violettes pour orner le naïf reposoir de sa chambrette. Et jusqu’à sa douzième année l’Enfant-Jésus de cire de sa crèche traditionnelle ne s’entretenait-il pas avec lui ?

 

Hélas, Basil avait grandi ! À mesure que s’allongeaient ses jambes et ses bras, que des « connaissances » toujours plus nombreuses envahissaient sa tête extrêmement lucide et réceptive, quelque chose le quittait. Un vide se faisait en lui. Peu à peu le monde merveilleux de son enfance fut lui-même envahi par la grossièreté et la laideur. Comment ces êtres aux formes disparates, souvent tarés, au regards cupides et mesquins, pouvaient-ils être des « images de Dieu » ? Quelque chose clochait quelque part !

 

Il fit sa Première Communion à l’âge de treize ans. Il eut des extases ; il éprouva le prodige de la lévitation. Il n’en parla à personne ; pas même à ce prêtre-ami qui, un jour de confession, lui avait dit : « Voyons, mon petit Basil, ne raconte pas ces choses ; garde-les en toi-même. »

 

Un jour, à seize ans, il crut le tabernacle vide, la lumière du sanctuaire brûlant vainement dans la pénombre de l’église, ce lieu qui avait été la maison de Dieu sur la terre, l’antichambre du Paradis !

 

Dieu n’était plus là ! Dieu n’était plus !... Il se plongea dans les livres et fit des études brillantes, constatant davantage de jour en jour l’absence de Dieu dans l’église, dans les livres sacrés ou profanes, dans le monde, chez les hommes.

 

Un violent désir de vérité lui vrillait l’âme. Les lauriers se fanaient dès le lendemain. Les fruits délicieux de la chair avaient des après-goûts qui lui bouleversaient l’estomac !

 

Basil devint taciturne et refermé. Il évitait le monde pour lequel il n’avait que peu de patience, le trouvant sans pensée et sans âme.

 

Il se dit que tout cela était parce que Dieu n’y était pas ! Il fallait à tout prix avertir Dieu de l’état lamentable du monde qu’il avait apparemment abandonné ! Il fallait retrouver Dieu disparu pour quelque mystérieuse raison, et le ramener parmi les hommes !

 

Ainsi s’était révélée sa véritable vocation. Il serait « pèlerin de l’Absolu ». Puisque Dieu n’était plus parmi les hommes il devait s’être réfugié dans les solitudes.

 

Basil se fit ermite.

 

La mer d’abord l’attira ! N’était-ce pas près de l’eau que jadis il avait vu Dieu face à face ? Se dépouillant le tous les vains oripeaux de la civilisation, nu comme Adam avant le péché, il s’installa dans une caverne auprès de l’océan. Il médita. Il contempla les levers et les couchers de soleil, épiant les vols d’oiseaux marins, tâchant de surprendre dans leurs cris quelque message de Dieu. Il se nourrissait d’algues vertes et de poissons aux écailles luisantes. La vague était-elle un peu plus agitée, qu’il prêtait davantage l’oreille, attendant vainement un signe divin. À ce contact immédiat avec les éléments son corps s’aguerrit, mais son âme demeura aux abois. Dieu n’était pas là !

 

Le désert ! Le désert !... s’écria-t-il un jour. Ce fut comme un éclair qui l’enflamma. Le désert brûlant serait son séjour ! Il se réfugia dans une oasis, sous de maigres palmiers, près d’un lac ne vivait aucun poisson. S’étant penché pour s’y désaltérer il trouva l’onde extrêmement amère. Il éprouva la révélation que là était le lac des pleurs ! Mais on ne devait pas mesurer la douleur humaine à son étendue. Les plus malheureux des hommes n’ont jamais pleuré !

 

Il méditait toujours. Les chacals venaient troubler les profonds silences des soirs, et le jour, les gypaètes chauves y tournoyaient. Dieu demeurait absent. Pourtant n’était-ce pas au désert que tant d’anachorètes avaient vu face à face « La Voie, la Vérité et la Vie » ? Lorsqu’un jour, fatigué, il se sentit tenté par la beauté des enfers et des cultes païens, il décida de quitter ces lieux.

 

La montagne l’attira. Elle l’aspira à ses hauteurs vertigineuses comme s’il y fût transporté dans les spirales d’un cyclone puissant. Il se sentait, là, à mi-chemin entre terre et ciel. Certains soirs, il éprouvait l’élastique sensation de pouvoir toucher les étoiles de la main. Sûrement ici était l’endroit où devait s’être réfugié Dieu sans doute rougissant encore de la déchéance de ses créatures ! Basil se nourrissait de racines et s’étirait dans les tempêtes. Certains soirs d’orage il semblait voir le visage de Dieu dans les nuages mouvants. Illusion. Il interrogeait vainement les bêtes, les éléments et les choses.

 

DIEU ÉTAIT PEUT-ÊTRE MORT !... Cette insidieuse pensée le glaça jusqu’aux moelles. Elle persista comme une douleur lancinante et sans remède. Dieu est peut-être mort ? Mais bientôt une voix s’éleva en lui : « Non, non Dieu est vivant ! » La voix était si puissante qu’il crut l’ouïr avec ses oreilles de chair. Il devint sourd à tous les bruits terrestres, n’entendant plus désormais que cette voix intérieure niant avec véhémence la mort de Dieu. Il se fit un certain calme en lui. Basil continua à sonder l’infini de l’azur et à scruter les horizons. Le soleil surtout le fascinait. Il le fixait durant de longues heures. Si bien qu’un matin il ne vit plus la lumière de l’aube. Il était devenu aveugle.

 

Maintenant sans yeux et sans oreilles il éprouvait l’ineffable sensation d’une âme désincarnée.

 

Il méditait toujours. Il vivait dans un dépouillement presque complet ne se souciant même plus de s’alimenter. Il errait, à tâtons, sur la montagne, se guidant à l’aide des arbres, des buissons et des rochers.

 

Et puis un jour son corps entier se sentit infiniment plus léger. De fait ses mains ne rencontraient plus les rugosités de son corps décharné ; elles ne semblaient plus atteindre autour de lui les arbres, les arbustes et les rochers. Basil se sentit comme éthérisé. Il ne marchait plus ; il naviguait entre terre et ciel.

 

Mais il ne vit pas, dans son ultime dépouillement, qu’une violente tempête se déclenchait. Des éclairs barraient le ciel de stries lumineuses et fugaces ; la foudre renversait arbres et rochers. Une pluie torrentielle creusait de profonds ravins dans le sol.

 

Et lorsqu’après un tonnerre retentissant un vif éclair révéla la désolation effrayante du haut mont, il fit un dernier pas fatal sur la terre ferme, et tournoya, comme une plume, dans l’abîme.

 

Basil s’en allait retrouver le Dieu qu’il cherchait depuis son adolescence.

 

 

 

Rosaire DION-LÉVESQUE, Quête, 1963.

 

 

 

 

 

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