Le loup noir
par
Le premier soin de Thibault fut de souper ; car sa fatigue était grande.
La journée avait été accidentée, et il paraît qu’au nombre de ces accidents, il en était quelques-uns qui avaient le privilège de creuser l’estomac.
Ce souper n’était pas aussi savoureux que celui qu’il s’était promis en tuant le daim.
Mais le daim, comme nous l’avons dit, n’avait pas été tué par Thibault, et l’appétit féroce qui le galopait lui faisait trouver le goût du daim à son pain noir.
Ce frugal repas était à peine commencé, lorsque Thibault s’aperçut que sa chèvre – nous croyons avoir dit qu’il avait une chèvre – poussait des bêlements désespérés.
Il pensa qu’elle aussi bramait après son souper, et, prenant dans l’appentis une brassée d’herbes fraîches, il alla les lui porter.
Lorsqu’il ouvrit la petite porte de l’étable, la chèvre en sortit si brusquement qu’elle faillit renverser son maître.
Puis, sans s’arrêter à la provende que lui apportait Thibault, elle courut à la maison.
Thibault jeta là son fardeau et s’en alla chercher l’animal pour le réintégrer dans son domicile. Mais ce fut chose impossible. Il lui fallut employer la force, et encore à la force la pauvre bête opposa-t-elle toute la résistance dont une chèvre est susceptible, se roidissant en arrière, s’arc-boutant sur ses jambes, tandis que le sabotier la tirait par les cornes.
Vaincue dans cette lutte, la chèvre finit par rentrer dans son étable.
Mais, malgré le copieux souper que lui avait laissé Thibault, elle continua de pousser des cris lamentables.
Impatienté et intrigué tout ensemble, le sabotier quitta une seconde fois son repas et ouvrit l’étable avec tant de précaution que la chèvre ne put s’en échapper.
Puis il se mit à chercher des mains dans tous les coins et recoins ce qui pouvait lui causer tant d’effroi.
Tout à coup ses doigts rencontrèrent la fourrure épaisse et chaude d’un animal étranger.
Thibault n’était pas poltron, il s’en fallait.
Cependant, il se retira précipitamment.
Il rentra chez lui, prit la lumière, et revint à l’étable.
La lampe faillit lui tomber des mains quand il reconnut, dans l’animal qui avait tant effrayé sa chèvre, le daim du baron Jean ; celui-là même qu’il avait poursuivi, qu’il avait manqué, qu’il avait désiré avoir au nom du diable, ne pouvant l’avoir au nom de Dieu ; celui sur lequel les chiens avaient fait défaut ; celui, enfin, qui lui avait valu de si jolis horions.
Thibault s’approcha doucement de lui, après s’être assuré que la porte était bien fermée.
Le pauvre animal était, ou tellement fatigué, ou si singulièrement apprivoisé, qu’il ne fit pas un mouvement pour fuir, se contentant de regarder Thibault avec ses deux grands yeux de velours noir, rendus plus expressifs encore par la crainte qui l’agitait.
– J’aurai laissé la porte ouverte, murmura le sabotier se parlant à lui-même, et le daim, ne sachant plus où se fourrer, sera venu se réfugier ici.
Mais, en recueillant ses souvenirs, Thibault se rappela parfaitement que, lorsqu’il avait pour la première fois ouvert l’étable, dix minutes auparavant, le verrou de bois qui fermait la porte était si bien poussé, qu’il avait dû se servir d’un caillou pour le faire sortir de la gâche.
D’ailleurs, la chèvre, qui, ainsi qu’on l’a vu, ne paraissait pas tenir à la société du nouveau venu, eût profité pour fuir de l’ouverture de cette porte, si elle eût été ouverte.
Puis, en y regardant de plus près, Thibault s’aperçut que le daim était attaché au râtelier par une corde.
Quoique, nous l’avons déjà dit, le sabotier fût assez brave, une sueur froide commença de perler à grosses gouttes à la racine de ses cheveux, un frisson singulier parcourut tout son corps, et ses dents claquèrent en s’entrechoquant.
Il sortit de son étable, en ferma la porte et s’en alla retrouver sa chèvre, qui avait, pour fuir, profité du moment où le sabotier était venu chercher une lumière, et qui était couchée au coin de l’âtre, en apparence très décidée cette fois à ne plus quitter une place qu’elle paraissait, ce soir-là du moins, préférer de beaucoup à son gîte ordinaire.
Thibault se rappelait parfaitement le voeu impie qu’il avait adressé à Satan en demandant un daim pour dîner, mais, tout en reconnaissant que ce voeu avait été miraculeusement exaucé, il ne pouvait croire à sa diabolique intervention.
Cependant, comme cette protection de l’esprit des ténèbres lui faisait instinctivement peur, il essaya de prier ; mais, lorsqu’il voulut porter la main à son front pour faire le signe de la croix, son bras refusa de plier, et, bien que jusqu’alors il l’eût récité tous les jours, il ne put se remettre en mémoire un seul mot de l’Ave Maria.
En même temps qu’il tentait ces deux efforts infructueux, il se faisait dans la cervelle du pauvre Thibault un effrayant remue-ménage.
Les mauvaises pensées lui revenaient si abondamment qu’il lui semblait ouïr leur murmure à son oreille, comme on entend le murmure des flots quand monte la marée, ou le bruit des branches froissées quand le vent d’hiver passe dans les branches dépouillées de leurs feuilles.
– Après tout, murmura-t-il, le front pâle et l’œil fixe, que ce daim me vienne de Dieu ou du diable, c’est toujours une bonne aubaine, et bien fou serais-je de secouer mon sarrau lorsque la manne y tombe. Si je crains que cette bique ne soit viande d’enfer, rien ne m’oblige à la manger ; d’ailleurs, je ne la pourrai pas manger tout seul, et ceux que j’inviterais à la manger avec moi me dénonceraient ; mais je puis la conduire toute vivante au couvent des religieuses de Saint-Rémy, dont la dame abbesse me l’achètera bien cher pour divertir ses nonnes ; l’air d’un lieu saint la purifiera, et la poignée de bons écus bénits que je recevrai en payement ne peut mettre mon âme en péril.
Combien de jours ne me faudra-t-il pas suer au travail et virer la tarière pour gagner le quart de ce que je recevrai sans prendre autre peine que de conduire la bête à son nouveau bercail ! Décidément, mieux vaut diable qui vous protège qu’ange du ciel qui vous abandonne. Si messire Satan veut me conduire trop loin, il sera toujours temps de me tirer de ses griffes ; je ne suis pas un enfant, de par Dieu ! ni un agnelet comme Georgine, et je sais marcher devant moi et aller où je veux.
Il oubliait, le malheureux, qui prétendait marcher devant lui et aller où il voulait, que, cinq minutes auparavant, il n’avait pu conduire sa main jusqu’à son front.
Thibault se donna à lui-même tant de raisons si bonnes et si concluantes qu’il résolut de garder le daim, de quelque part qu’il lui fût venu, et décida même que le prix qu’il en recevrait serait consacré à acheter la robe de noce de sa fiancée.
Car par un étrange retour de mémoire, son souvenir se fixait sur Agnelette.
Il la voyait vêtue d’une longue robe blanche avec une couronne de lis blancs au front et un grand voile.
Il lui semblait que, s’il avait dans sa maison un si gentil ange gardien, le diable, si fort ou si rusé qu’il fût, n’oserait jamais en franchir la porte.
– Bon ! dit-il, c’est encore un moyen : si messire Satan me tourmente par trop, je cours demander l’Agnelette à sa grand-mère, je l’épouse, et, si je ne me rappelle plus mes prières et ne puis plus faire le signe de la croix, j’aurai une belle petite femme qui ne sera pas engagée avec Satan et qui fera tout cela pour moi.
Et, sur cette espèce de compromis, pour que le daim ne perdît rien de sa valeur et restât digne des saintes dames auxquelles il comptait le vendre, Thibault, à peu près rassuré, alla garnir le râtelier de fourrage et s’assurer que la litière était assez épaisse pour que l’animal pût y reposer moelleusement.
La nuit se passa sans nouvel incident et même sans mauvais rêve.
Le lendemain, le seigneur Jean chassait encore.
Seulement, cette fois, ce n’était point un daim timide qui conduisait les chiens : c’était le loup dont Marcotte avait eu connaissance la veille et qu’il était parvenu à rembucher le matin même.
C’était un vrai loup que celui-là.
Il devait compter de nombreuses années, quoiqu’on l’eût entrevu au lancer, et que l’on se fût aperçu avec étonnement qu’il était tout noir.
Mais, noir ou gris, il était hardi, entreprenant, et promettait rude besogne à l’équipage du baron Jean.
Attaqué près de Vertefeuille, dans le fond Dargent, il avait traversé le champ Meutard, laissé Fleury et Dampleux à sa gauche, traversé la route de La Ferté-Milon, et était allé se faire battre dans les fonds d’Ivors.
Là, renonçant à poursuivre la pointe commencée, il avait fait un hourvari, était rentré dans ses voies et revenu sur ses pas en suivant si exactement le chemin qu’il avait déjà parcouru, que le baron Jean retrouvait, tout en galopant, les empreintes que le sabot de son cheval avait laissées le matin.
Rentré dans le canton de Bourg-Fontaine, le loup l’avait battu dans tous les sens ; puis il avait amené les chasseurs juste à l’endroit où avaient commencé leurs mésaventures de la veille, précisément aux environs de la hutte du sabotier.
Thibault, qui, d’après les résolutions que nous avons dites, comptait dans la soirée aller rendre visite à l’Agnelette, s’était mis à la besogne de grand matin.
Vous me demanderez pourquoi, au lieu de se mettre à une besogne qui rapportait si peu à l’ouvrier, de son propre aveu, Thibault n’allait pas conduire son daim aux dames de Saint-Rémy.
Thibault s’en serait bien gardé !
Ce n’était point pendant le jour qu’il pouvait traverser la forêt de Villers-Cotterêts avec un daim en laisse.
Qu’eût-il dit au premier garde qui l’eût rencontré ?
Non, Thibault comptait partir un soir de chez lui à la brune, suivre la route de droite, puis la laie de la Sablonnière, puis déboucher par la route du Pendu dans la plaine de Saint-Rémy, à deux cents pas du couvent.
Lorsque Thibault, pour la première fois, entendit les sons du cor et l’aboi des chiens, il se hâta d’amonceler devant la porte de l’étable, où était enfermé son prisonnier, un énorme tas de bruyère sèche, de façon à dissimuler cette porte aux regards des piqueurs et de leur seigneur, si, par hasard, ce jour-là, comme la veille, ils venaient à s’arrêter devant la hutte.
Puis il avait repris sa besogne, et il travaillait avec une ardeur que lui-même ne s’était jamais vue, ne levant pas même les yeux de dessus la paire de sabots qu’il façonnait.
Tout à coup, il lui sembla entendre gratter à la porte de la hutte.
Il s’apprêtait à quitter son appentis pour aller ouvrir, lorsque la porte céda, et, au grand étonnement de Thibault, un énorme loup noir entra dans la chambre, marchant sur ses deux pattes de derrière.
Arrivé au milieu de l’appartement, il s’assit à la manière des loups et regarda fixement le sabotier.
Thibault saisit une hache qui se trouvait à sa portée, afin de recevoir dignement l’étrange visiteur, et, pour l’effrayer, il brandit la hache au-dessus de sa tête.
Mais la physionomie du loup prit une singulière expression de raillerie.
Il se mit à rire.
C’était la première fois que Thibault entendait rire un loup.
Il avait entendu dire souvent que les loups aboyaient comme des chiens.
Mais il n’avait jamais entendu dire que les loups riaient comme des hommes.
Et de quel rire encore !
Un homme qui eût ri comme ce loup eût fort effrayé Thibault.
Il laissa retomber son bras déjà levé.
– Par le seigneur au pied fourchu, dit le loup d’une voix pleine et sonore, voilà un gaillard auquel, sur sa demande, j’envoie le plus beau daim des forêts de Son Altesse Royale, et qui, pour ma récompense, veut me fendre la tête d’un coup de hache ; reconnaissance humaine bien digne de hurler avec la reconnaissance des loups.
En entendant une voix pareille à la sienne sortir du corps de l’animal, les genoux de Thibault commencèrent à flageoler, et la hache lui tomba des mains.
– Voyons, continua le loup, soyons raisonnables et causons comme deux bons amis. Tu as désiré hier le daim du baron Jean, et je l’ai conduit moi-même dans ton étable ; et, de peur qu’il ne t’échappât, je l’ai attaché moi-même au râtelier ; cela vaut mieux qu’un coup de hache, il me semble.
– Sais-je qui vous êtes ? répondit Thibault.
– Ah ! tu ne m’avais pas reconnu ! voilà une raison.
– J’en appelle à vous-même : pouvais-je soupçonner un ami sous cette vilaine peau ?
– Vilaine ! dit le loup en lustrant son poil avec une langue rouge comme du sang ; peste ! tu es difficile. Mais il n’est point question de ma peau. Voyons, es-tu disposé à reconnaître le service que je t’ai rendu ?
– Certainement, dit le sabotier avec un certain embarras, mais encore faudrait-il connaître vos exigences. De quoi s’agit-il ? Que désirez-vous ? Parlez.
– D’abord, et avant tout, je désire un verre d’eau, car ces maudits chiens m’ont mis tout hors d’haleine.
– À l’instant, seigneur loup.
Et Thibault courut chercher une écuelle d’eau fraîche et limpide à la source qui coulait à dix pas de la hutte.
Thibault prouvait, par cet empressement, combien il était heureux d’en être quitte à si bon marché.
Il déposa l’écuelle devant le loup en lui faisant une profonde révérence.
Le loup lapa le contenu de l’écuelle avec délices, puis s’étendit sur le sol, les pattes allongées à la manière des sphinx.
– Maintenant, dit-il, écoute-moi.
– Il y a donc autre chose ? demanda Thibault tout frissonnant.
– Pardieu et une chose très urgente, répondit le loup noir. Entends-tu les abois des chiens ?
– Par ma foi ! oui, je les entends, et, comme ils vont se rapprochant, dans cinq minutes ils seront ici.
– Eh bien, il s’agit de m’en débarrasser.
– De vous en débarrasser ! et comment ? s’écria Thibault, qui se rappelait ce qu’il lui en avait coûté pour s’être mêlé, la veille, de la chasse du baron Jean.
– Dame ! vois, cherche, ingénie-toi !
– C’est qu’en effet ce sont de rudes chiens que les chiens du baron Jean, et ce que vous me demandez là, seigneur loup, c’est tout simplement de vous sauver la vie ; car, je vous en préviens, s’ils vous rejoignent, et ils vous rejoindront selon toute probabilité, ils vous mettront de la première goulée en charpie. Or, si je vous épargne ce désagrément, ajouta Thibault croyant sentir qu’il prenait le dessus, quelle sera ma récompense ?
– Comment, ta récompense ? Et le daim ? dit le loup.
– Et la jatte d’eau ? dit Thibault. Nous sommes quittes, mon brave loup. Maintenant, faisons de nouvelles affaires, si vous voulez, je ne demande pas mieux.
– Soit ! Que veux-tu de moi ? Parle vite.
– Il y a, dit Thibault, des gens qui abuseraient de leur position et de la vôtre, et qui demanderaient des choses par-dessus les maisons de les faire riches, puissants, nobles, que sais-je, moi ! Je ne les imiterai pas : hier, j’ai souhaité le daim, et vous me l’avez donné, c’est vrai ; mais, demain, je souhaiterai autre chose. Depuis quelque temps, c’est une folie qui s’est emparée de moi, je ne fais que souhaiter, et vous, vous n’aurez pas toujours du temps à perdre à m’écouter. Faites donc une chose : accordez-moi, puisque vous êtes le Diable en personne ou quelque chose d’approchant, accordez-moi le don de voir se réaliser tout ce que je désirerai.
Le loup fit une grimace moqueuse.
– Rien que cela ? dit-il. La péroraison cadre mal avec l’exorde.
– Oh ! reprit Thibault, soyez tranquille, mes vœux sont honnêtes et mesurés, et tels qu’ils conviennent à un pauvre paysan comme moi : quelques misérables coins de terre, quelques méchants brins de bois, voilà tout ce que peut vouloir un homme de mon espèce.
– Je ferais avec grand plaisir ce que tu me demandes, dit le loup ; mais la chose m’est tout simplement impossible.
– Alors, il faut vous résigner à passer par ces terribles dogues.
– Tu crois cela, et tu fais l’exigeant parce que tu penses que j’ai besoin de toi ?
– Je ne crois pas, j’en suis sûr.
– Eh bien, regarde.
– Où ? demanda Thibault.
– À la place où j’étais, dit le loup.
Thibault recula de deux pas.
À la place où était le loup, il n’y avait plus rien. Le loup avait disparu, on ne savait ni par où ni comment. La place où il était demeurait parfaitement intacte. Il n’y avait pas au plafond un trou où passer une aiguille ; il n’y avait pas au plancher une fente à laisser filtrer une goutte d’eau.
– Eh bien, crois-tu que je ne puisse pas me tirer d’affaire sans toi ? dit le loup.
– Où diable êtes-vous donc ?
– Ah ! si tu m’interpelles par mon vrai nom, dit en ricanant la voix du loup, je vais être obligé de te répondre. Je suis toujours au même endroit.
– Mais je ne vous vois plus !
– Tout simplement parce que je suis invisible.
– Mais les chiens, mais le piqueur, mais le seigneur Jean vont venir vous chercher ici ?
– Sans doute ; seulement, ils ne m’y trouveront pas.
– Mais, s’ils ne vous y trouvent pas, ils vont s’en prendre à moi.
– Comme hier. Seulement, hier, tu étais condamné, pour avoir soustrait le daim, à trente-six coups de ceinturon ; aujourd’hui, pour avoir caché le loup, tu seras condamné à soixante et douze, et Agnelette ne sera plus là pour te tirer d’affaire avec un baiser.
– Ouf ! que dois-je faire ?
– Lâche le daim vivement ; les chiens se tromperont à la piste, et ce sont eux qui recevront les coups à ta place.
– Mais comment de si fins courants se tromperaient-ils au point de prendre les fumées d’un daim pour celles d’un loup ?
– Cela me regarde, répondit la voix ; seulement, ne perds pas de temps, ou les chiens seront ici avant que tu sois à l’étable ; ce qui serait désagréable, non pas pour moi, qu’ils ne trouveraient pas, mais pour toi, qu’ils trouveraient.
Thibault ne se le fit pas dire deux fois.
Il courut à l’étable.
Il détacha aussitôt le daim, qui, poussé comme par un ressort, s’élança hors de la maison, en fit le tour, croisant la voie du loup, et s’enfonça dans les taillis de Baisemont.
Les chiens n’étaient plus qu’à cent pas de la cabane.
Thibault écouta leurs abois avec anxiété.
Toute la meute vint rabâcher à la porte.
Puis, tout à coup, deux ou trois voix retentirent, s’éloignant du côté de Baisemont, et enlevèrent toute la meute.
Les chiens avaient pris le change.
Ils étaient partis sur la piste du daim.
Ils avaient abandonné celle du loup.
Thibault respira à pleine poitrine.
Voyant la meute s’éloigner de plus en plus, il rentra dans sa chambre au bruit d’un joyeux bien-aller que sonnait le baron à pleine trompe.
Le loup noir était tranquillement couché à la même place et l’on ne voyait pas plus par où il était rentré que l’on n’avait pu voir par où il était sorti.
Alexandre DUMAS.
Recueilli dans : Les morsures du loup-garou,
anthologie présentée par Alain Pozzuoli,
Paris, Les Belles Lettres, 2004.