L’aumône de la Vierge

 

 

Un vieux musicien, pauvre et seul sur la terre,

Cheminait à pas lents sur la rive du Rhin,

Son habit en lambeaux annonçait la misère

Chaque pli de sa face, hélas, criait : J’ai faim !

 

Il marchait près du bord, l’œil baissé, le cœur triste,

Son violon muet pendait dessous son bras,

Vieil ami de trente ans que le fidèle artiste

N’eût pas voulu céder contre mille ducats.

 

N’avait-il pas cent fois sur sa corde sonore

Aimé, pleuré, chanté, raconté tout son cœur ?

Et de ses flancs poudreux tirait-il pas encore

Des chants d’une admirable et mortelle douleur !

 

À quoi bon ! son air morne et sa voix chevrotante

Faisaient fuir le passant au lieu de l’arrêter.

Nous sommes ainsi faits : le deuil nous épouvante,

Il nous faut des douleurs sachant rire et chanter

 

« Bonhomme, une autre fois j’écouterai ta plainte,

Ton air est lamentable et ta voix chante faux. »

Et le pauvre vieillard, abrégeant sa complainte,

Sans étouffer sa faim, étouffait ses sanglots.

 

Il suivait donc, un jour, son chemin sur la rive,

Tournant un chapelet entre ses doigts calleux.

À l’heure où l’angélus va tinter, il arrive

Dans un hameau baigné par le Rhin aux flots bleus.

 

Sur le bord s’élevait un antique ermitage

Avec une Madone en superbes habits :

L’argent, la pourpre et l’or paraient la sainte image,

Et des perles sans prix se mêlaient aux rubis.

 

Le vieux musicien, à genoux sur la pierre,

Contre les saints parvis collé son front brûlant ;

Puis, à cette Madone, adressant sa prière,

Avec son violon s’accompagne en tremblant,

 

Jamais concert plus pur, plus touchante harmonie

Ne firent résonner les voûtes du saint lieu ;

Jamais musicien fameux par son génie,

Ne s’approcha si près de l’oreille de Dieu.

 

Tout à coup, la Madone, à la lueur des cierges,

Se baisse, et devant lui, jette son soulier d’or...

Il ramasse ce don de la Reine des Vierges,

Et contre un peu de pain va changer son trésor.

 

Mais on a reconnu la précieuse relique.

Il jure, vain serment ; il lutte, vain effort !

On le livre aux archers et la haine publique

Le suit jusqu’au gibet, pour jouir de sa mort.

 

Le cortège passait près du vieil ermitage ;

Avant que de mourir, il veut prier encor ;

On l’observe, et voici que la divine image

Lui jette, en souriant, son second soulier d’or...

 

Alors, chacun s’empresse et veut briser sa chaîne,

On s’embrasse en disant : « Voilà le doigt de Dieu »

Et des chants d’allégresse, au lieu des cris de haine

Retentissent longtemps sur le Rhin aux flots bleus !

 

 

 

Hyppolite DURAND.

 

 

 

 

 

 

 

 

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