Pauvre reine !
LE 16 OCTOBRE
par
Pierre DU VÉLY
Qu’il nous soit permis de rappeler une date funèbre et détestée entre toutes et d’exprimer une fois de plus notre sympathique respect pour une grande mémoire. Certes, nul ne veut de gaieté de cœur perpétuer les haines dans sa fratrie ; mais l’honorable histoire nous montre des faits, des dates, et, ne pouvant empêcher que la reine Marie-Antoinette ait été calomniée, outragée, exécutée, nous devons saluer de temps en temps cette victime très pure des discordes civiles et des passions sociales.
Ce 16 octobre est bien loin de nous, ces temps orageux n’ont plus pour nous de mystères, la lumière est entièrement faite sur cette phase sanglante et étrange de notre histoire contemporaine, chacun des personnages marquants de ce qui restera la Révolution, a été examiné, disséqué en quelque sorte par la critique et l’histoire. On peut détester la royauté qui a sombré à cette époque ; mais il n’est plus permis de se tromper sur ses derniers et très dignes représentants, sur Louis XVI et Marie-Antoinette. La reine, en changeant son sceptre contre la palme victorieuse du martyre, a reconquis tout son empire, et elle est devenue sympathique aux fils de ceux-là même qui, emportés dans le tourbillon révolutionnaire, ont été ses cruels ennemis.
Cependant il est bon de remettre en lumière cette belle figure historique et de percer à jour les ombres légères que l’ignorance ou la passion laissent encore flotter autour d’elle.
Même en feuilletant les mémoires les plus sévères du temps, et entre autres le récent ouvrage de MM. Darneth et Geffroy qui est nécessairement impartial 1, nous ne découvrons rien qui justifie les calomnies exaltées dont certains modérés eux-mêmes se font les échos complaisants. Il y a là, au contraire, des paroles et des faits qui révèlent chez la jeune reine une bonté adorable, une sensibilité exquise et un jugement des plus solides.
À propos de la dernière maladie de Louis XV, le comte de Mercy, cet ami austère, ce respectueux mais impartial conseiller, qui juge tout selon les règles de la froide raison, écrit à Marie-Thérèse :
« Dans une conjoncture si délicate, Madame la Dauphine (Marie-Antoinette) a tenu la conduite d’un ange, et je ne puis exprimer mon admiration de sa piété, de sa prudence, de sa raison. »
Plus loin il dit : « La reine est adorée, elle est d’un caractère si doux, si sensible, malheureusement un peu facile. Tout caractérise en elle une belle âme, de la vérité et un jugement très sain. »
Quel apport dans cette cour où tout était devenu tracasseries, mensonge, bassesse et trahison !
Ainsi que le dit le correspondant de l’impératrice, les égarements déplorables de Louis XV, pendant les dernières années de sa vie, avaient complètement flétri son règne.
Et c’était au déclin de ce règne qu’apparaissait la charmante Marie-Antoinette. Aussi ne fallut-il pas attendre les hideux sectaires de 1793 pour la voir outrager, et rien n’est plus douloureux que la lecture des lâches pamphlets qui commencèrent à battre en brèche la juste popularité dont elle jouissait. Pour l’honneur de notre patrie, le comte de Mercy, non plus que l’impératrice Marie-Thérèse, ne se laissèrent aveugler par ces indignités et ne confondirent quelques misérables avec ce qui doit en tout temps et sous tous les régimes s’appeler noblement la France.
« Votre Majesté daignera observer, dit le comte, que l’on ne peut confondre la nation française en général avec un petit nombre de gens qui n’en forment que l’écume, qui sont reniés, abhorrés par cette même nation, laquelle, quoique indiscrète et légère, n’est point naturellement méchante et s’indigne la première des noirceurs qu’on lui présente. »
Impossible de ne pas méditer un peu en passant sur ce reproche de légèreté tombé d’une plume si grave !
Voilà donc ce qu’il faut courageusement reconnaître : tous nos désastres publics et privés prennent leur source dans ce défaut en quelque sorte national, lorsqu’il n’est plus combattu par les vertus qui l’enchaînent à sa place. Et remarquons que c’est nous, Français, dont la légèreté est malheureusement proverbiale, qui nous mêlons parfois de reprocher d’inoffensives inconséquences à une femme de vingt ans, dans tout l’enivrement de la puissance royale et dans tout le prestige d’une grande beauté.
L’impératrice Marie-Thérèse jugeait sévèrement et redoutait, non sans raison, cette malheureuse légèreté française, d’autant plus qu’elle connaissait très bien sa fille. Il n’en faut pour preuve que cette phrase, caractéristique dans sa simplicité, qu’elle écrivait à propos de la facilité avec laquelle la reine Marie-Antoinette, entraînée par la bonté de son cœur, recommandait les personnes dont on lui parlait :
« C’était déjà son défaut ici, de s’intéresser de but en blanc pour toutes sortes de personnes, sans examiner leur mérite. »
Pauvre jeune reine, elle était comme beaucoup d’autres jeunes : elle croyait facilement au mérite, qui est rare !
Les efforts dirigés contre Marie-Antoinette par ses ennemis secrets arrachent à l’impératrice de véritables cris de douleur, et c’est alors que nous la voyons s’alarmer de cette légèreté française qui semble grandir chaque jour.
« Je n’aurais jamais cru, écrit-elle, après une saisie de pamphlets, que cette haine invétérée contre ma personne et la pauvre innocente reine était encore si inaltérablement placée dans le cœur des Français. C’est donc à cela qu’aboutissent toutes ces adulations si prodiguées ! C’est donc cela l’amour qu’on porte à ma fille !...
« Je n’ai rien vu de ce qui s’écrit, ces sortes de choses ne peuvent m’amuser et m’affligent, voyant combien on emploie mal son temps et ses talents et que toutes les plus respectables choses deviennent sujet de railleries. »
Hélas ! Voltaire avait fait des disciples, et la moquerie, cette méchanceté de l’esprit, s’étendait comme une gangrène sur les caractères et se forgeait comme une arme dirigée contre les honnêtes gens. Tout cela est bien émoussé, bien vieilli, bien méprisé ; mais l’expérience nous a coûté cher, et l’on ne peut revenir de tout le mal que quelques méchants philosophes ont fait à la France de ce temps-là.
Si Marie-Thérèse avait eu le don de seconde vue, elle aurait admiré la fermeté, le courage, la grandeur d’âme de cette jeune femme qui aimait le jeu, les distractions, et qui était, par faiblesse, la victime de ses entours.
Du reste, même pendant cette période de jeunesse, Marie-Antoinette fut souvent imprudente, mais jamais coupable. Le comte de Mercy l’écrivait à l’impératrice : « La gaieté est toujours portée jusqu’à la turbulence par M. le comte d’Artois ; mais il faut convenir que, dans toutes ces circonstances si rapprochées de la familiarité, la reine, par un maintien qui tient à son esprit et à son âme, a toujours su imprimer à ceux qui l’entouraient une contenance de respect qui contrebalançait la liberté des propos. »
Plus tard, à propos des premiers essais de ces courses de chevaux, qui sont tellement entrées dans nos mœurs, il ajoute :
« Je dois dire qu’au milieu de ce pêle-mêle, la reine se portant, parlant à tout le monde, conservait un air de grâce et de grandeur, qui diminuait en partie l’inconvénient du moment. »
Mais abandonnons ces puérilités, regardons la contenance de Marie-Antoinette, pendant ces phases de larmes et de sang qui précèdent son martyre. C’est là qu’elle étonne, qu’elle enchaîne, qu’elle passionne. A-t-on vu une créature boire plus noblement le calice des amertumes, et quelles amertumes !
Et au moment où la lie montait aux bords de la coupe, voici ce qu’elle écrivit en forme de testament :
« Ce 16 octobre, 4 h. 30 du matin.
« C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère ; comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme, comme on l’est quand la conscience ne reproche rien ; j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez, par votre amitié, tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris, par le plaidoyer même du procès, que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enflant, je n’ose lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre, je ne sais pas même si celle-ci vous parviendra. Recevez pour eux deux, ici, ma bénédiction.
« J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous et jouir en entier de vos tendres soins ; qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer, que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle en feront le bonheur. Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience qu’elle aura plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins et les services que l’amitié peut inspirer ; qu’ils sentent enfin tous les deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union ; qu’ils prennent exemple de nous. Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et, dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami, et, où en trouver de plus tendre que dans sa famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort.
« J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sens combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, chère sœur : pensez à son âge, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu’on veut et même ce qu’il ne comprend pas ; un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’avais voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche a été si rapide que je n’en aurais pas eu le temps.
« Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée. N’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, et ne sachant pas s’il existe encore des prêtres de cette religion et même le lieu où je suis les exposerait trop s’ils y entraient une fois, je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que, dans sa bonté, il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurais pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis, l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus vifs regrets que j’emporte en mourant. Qu’ils sachent du moins que jusqu’à mon dernier moment j’ai pensé à eux.
« Adieu, ma bonne et tendre sœur, puisse cette lettre vous arriver ! Pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur ainsi que ces chers et pauvres enfants. Mon Dieu, qu’il est déchirant de les quitter pour toujours ! Adieu, adieu ! Je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre de mes actions, on m’amènera peut-être un prêtre ; mais je proteste que je ne lui dirai pas un mot et que je le traiterai comme un être absolument étranger.
« MARIE-ANTOINETTE. »
Que dire d’elle maintenant ? Après avoir lu cette page sublime dans sa simplicité, qui donc ira chercher dans les années éblouissantes de sa jeune vie de reine les légères imperfections que l’impartiale histoire oubliera plus tard d’enregistrer ? Lui ferons-nous un crime de sa gaieté, de sa vivacité, de ses pures amitiés ?
Est-ce à vingt ans qu’on se défie des hommes ? est-ce alors que l’esprit politique remplace l’impression, le sentiment, la franchise ? A-t-elle été si heureuse parmi les intrigues de cette cour avilie où elle rayonne comme une pure étoile ?
Elle fut irréprochable dans ses mœurs, elle aima la France, et s’il faut être singulièrement sévère pour froncer les sourcils d’un air équivoque en parlant des étourderies sans conséquence de la brillante reine de Versailles, il faut sortir des entrailles mêmes de 93 pour ne pas honorer du plus profond de son cœur la grande victime royale du 16 octobre.
Pierre DU VÉLY.
Paru dans La Semaine des Familles en 1875.
1 Chez Firmin Didot. Ce bel ouvrage, qui n’est pas destiné aux jeunes filles, est une très curieuse page d’histoire.