Amen

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jan dis ESCARNOURGE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une fois, du côté d’Arles, passait un saint homme de Dieu. Il avait fait ses dévotions dans la grande église de Saint-Trophime et de la Majour. Les Arlésiens avec qui il était resté quelques jours disaient que c’était un saint à faire des miracles. Et tant bien il arraisonnait sur la religion et sur son histoire que c’était un bonheur de l’ouïr.

Ah ! que de fois à l’ombre des remparts, ou sur la place des Hommes, il avait la foule autour de lui, et ses paroles étaient une manne plus douce que le miel. Quand il partit (comme il était aveugle, pécaïre !), ils l’accompagnèrent hors ville vers la Crau, et même ils lui baillèrent un garçon pour lui montrer le bon chemin.

Ils s’en allaient tout plan plan. Les tours d’Arles avaient disparu dans le lointain, et les bouquets de peupliers qui s’élevaient le long du Rhône paraissaient des touffes de pistachiers.

Le chemin était caillouteux, rien ne bougeait et il faisait chaud. Notre gamin commença à se fatiguer. Alors une idée du tron de l’èr (tonnerre de l’air) lui passa par la caboche et il se prit à dire au vénérable apôtre :

– Saint homme, n’aimeriez-vous pas à prêcher un peu ?

– Si, mon enfant, dit l’ermite, toujours prêt ; mais à qui ? à toi ? Tu m’as déjà entendu et je te fatiguerais.

– Pas à moi. Mais il y a par ici une foule de gens, probablement de ceux de la Crau qui voulaient venir en Arles pour entendre au moins une fois votre parler d’or.

– Dans ce cas, mon beau garçon, je suis prêt à redire devant eux ce que m’inspire la bonté de notre Père qui est aux cieux, les splendeurs de sa création, et l’amour que nous lui devons.

– Ah il me semble qu’ils vous reconnaissent. Ils se sont assis en silence sur le gazon du fossé, et retiennent leur haleine pour vous mieux écouter.

– Alors, dis-moi quand nous serons arrivés et fais-moi signe quand je pourrai entamer le sermon.

– Nous y serons bientôt. Tenez, approchez-vous un peu et vous serez à portée de ces braves gens.

Or, il n’y avait qu’eux deux dans la Crau, plate et silencieuse, et tout alentour quelques herbes basses entre les cailloux roux et gris. Le bienheureux apôtre, d’une voix claire, parla à ravir, et jamais, non, jamais, il n’avait été aussi éloquent.

Il n’y avait pour l’ouïr que le gamin et la Mante du désert. Cependant quand il eut fini, pour rendre hommage à la parole divine, tous les cailloux d’alentour ensemble dirent : Amen !

 

 

Jan dis ESCARNOURGE.

 

Paru dans Annuari prouvençau en 1881.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes de Provence,

Presses de la Renaissance, 1974.

 

 

 

 

 

www.biblisem.net