Voix éteinte

 

 

Elle perdit d’abord et par degrés sa voix

Qu’elle avait chaude et grave ; émue et pénétrante

Comme la voix du loriot au fond des bois...

En l’écoutant chanter pour ses amis, parfois,

Même quand nul encor ne la savait souffrante,

Je me sentis le cœur traversé du soupçon

Qu’elle leur donnait trop de son âme vibrante,

Que son air s’achevait en un furtif frisson,

Et que le luth un jour plierait sous la chanson.

 

Et soudain, confirmant et dépassant mes craintes,

Un mal lâche et sournois la saisit au gosier,

          Comme pour empêcher ses plaintes,

          Et l’étouffa sous ses étreintes

Tel un serpent un rossignol dans un rosier...

 

Oh ! quinze mois entiers l’angoissante torture

D’entendre s’enrouer, tousser, tousser encor,

Tousser d’une toux rauque et suffocante et dure

La gorge d'où longtemps avaient pris leur essor

          Tant de beaux chants à l’aile d’or !

Chaque matin sentir plus sourde sa parole,

Et ses efforts plus grands, plus vains, plus anxieux

Pour l’appel qui supplie ou le mot qui console

          La pauvre mère qui s’étiole...

Puis ne plus rien entendre d’Elle – que ses yeux !

 

La douce enfant, si bien douée et si peu fière

De tous ses autres dons, aimait pourtant celui

          Par qui son âme tout entière

          S’unissait à l’âme d’autrui :

Elle pleurait sa voix d’amour et de lumière,

Sans se douter encor que la Mort la voulait

Toute, et qu’avec sa voix son âme s’en allait...

 

Ô chère voix qui ne vis plus qu’en notre oreille ;

Voix qui faisais jadis notre maison pareille

À la ruche joyeuse et vibrante sans fin ;

Voix tendre et si prenante, archet vraiment divin

Qui passais sur les cœurs, et jamais, ô merveille,

          Ne les sollicitais en vain ;

 

Maintenant que dans l’air tu t’es évanouie,

Perdue, – ou bien plutôt, puisque rien ne se perd,

Très loin, très loin de nous à tout jamais enfuie,

Sans doute entrée au vaste et sublime concert

Où pour l’éternité Dieu fait ses symphonies

Avec toutes nos voix dans son amour unies,

– Ma voix de vieux poète aux destins révolus

Frémira sur le tien, mais ne chantera plus.

 

 

 

François FABIÉ, Fleurs de genêts.

 

 

 

 

 

 

 

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