Épisode des temps gaulois

 

                               EN SAVOIE

 

 

                                        (FRAGMENTS)

 

 

À ces mots, Marcella, dont le calme sourire

Bravait de ses bourreaux les sarcasmes sanglants,

Porte un regard d’amour vers le ciel qui l’inspire,

Puis exhale son âme en ces soupirs brûlants :

 

Oh ! que j’eusse voulu sur la royale arène,

Dieu des martyrs, ô Christ, témoigner de ma foi !

Dans quel sublime essor mon âme souveraine,

Libre de ses liens, eût volé jusqu’à toi !

J’avais à Lugdunum l’exemple de ma mère

Broyée, au champ d’honneur, sous la dent des lions ;

Et dans le monde entier l’exemple et la prière

De tes heureux martyrs qui tombent par millions !

Mais enfin voici l’heure ou ta fidèle épouse

Va recevoir le prix de ses longues douleurs,

Jusqu’au dernier soupir, de ton honneur jalouse,

Elle implore une grâce, ô divin Roi des cœurs,

Et, pour me l’obtenir, mère sainte et chérie,

Tu dois intercéder au céleste séjour :

Mou père adore encor les dieux de sa patrie,

Mon époux à Satan consacre son amour :

Cette grâce, ô Jésus, c’est qu’à ta voix divine

L’erreur de son esprit disparaisse à jamais,

Qu’aux splendeurs de la foi son âme s’illumine,

Et que je puisse au ciel voir celui que j’aimais !

– Et toi, grand Anicet, saint pontife de Rome,

Toi dont la main bénie a versé sur mon front

L’eau que Dieu consacra pour régénérer l’homme,

Et pour le racheter de l’éternel auront :

Quand ton peuple, à genoux, a ta voix vénérable,

Implorera de Dieu la force et le soutien,

Quand tes mains offriront la victime adorable

Pour les persécuteurs, pour le monde chrétien :

Oh ! puisse ta prière en bienfaits si féconde,

Puissent tes saints martyrs conquérir à la foi

Cette Reine cité qui gouverne le monde,

Subjugue le barbare et lui dicte sa loi !...

Comme plus doux alors aux nations soumises

Son sceptre avec bonheur se ferait accepter !

Son front se couvrirait des couronnes promises

À tout peuple choisi que Dieu veut exalter !

La Gaule, renonçant à son coupable culte,

De notre loi d’amour goûterait la douceur,

Adorerait bientôt ce que son cœur insulte,

Et trouverait en Dieu sa gloire et son bonheur.

Pour vous, frères chéris, qui m’arrachez la vie,

Puisse Dieu de son sang vous ouvrir le trésor,

Et, délivrant votre âme l’erreur asservie,

Vous faire des chrétiens partager l’heureux sort.

Ô peuple malheureux...

                                          Un éclair de colère

A jailli tout à coup dans la troupe guerrière,

Et chacun secouant sa chevelure d’or :

– Grand druide, entends-nous ! pourquoi tarder encor ?

Que ton glaive vengeur frappe cette victime

Sa bouche a blasphémé contre la nation !

Que son sang, Teutatès, en expiant son crime,

Porte sur les Romains sa bénédiction ! –

Ils disent ; et prenant de leur main frémissante

Les crânes desséchés des ennemis vaincus :

– Frères, que l’hydromel à la vertu puissante,

Dont le doux flot se mêle à l’amer sambucus,

De nos cœurs abattus ressuscite la flamme.

Si tu vois au combat pâlir notre fureur,

Accours, ô grand Ésus, et prête-nous ton âme ;

Teutatès, couvre-nous de ton bras protecteur !

– Les crimes sont remplis de la liqueur divine,

Sur les guerriers voltige un sourire sanglant,

À leurs traits contractés leur rage se devine,

Levant la coupe au ciel ils boivent en chantant :

– Guerre aux Romains !... Non, Non ! jamais notre patrie

Sous le joug étranger ne courbera le front,

Nés sous ton beau soleil, ô liberté chérie,

Comme nous, sous tes feux, nos enfants régneront.

Dieu vengeur, ô Tarann, que ta coupe est amère !

À d’éternels revers veux-tu nous consacrer ?

Quoi ! Rome envahirait la Gaule, notre mère,

Pour enchaîner ses fils ou pour les massacrer ?

Protège, ardent guerrier, tes enfants, ton épouse,

Tends ton arc avec force et fais vibrer le dard !

Oui ! de sa liberté ta patrie est jalouse,

Défends jusqu’à la mort son auguste étendard,

 

            Peut-on trembler sous votre égide

            Guerriers vaillants, sacrés dieux,

            Votre âme à nos destins préside,

            Et vos exemples glorieux

Bien plus que l’hydromel ou la bière enivrante

Entraîneront nos pas dans l’arène sanglante

Pour défendre nos droits et notre liberté !

Frères, pour la patrie heureux celui qui tombe !

Au Walhalla sacré tout soldat qui succombe

S’enivrera de gloire et d’immortalité.

 

Tout se tait ! la victime étendue et muette

Déjà sur le dolmen attend le coup mortel.

Le druide appuyant sa clef d’or sur sa tête,

Invoque les aïeux par ce chant solennel :

 

– Héros illustres, dont la cendre protectrice

Repose et nous entend sous cet autel sacré,

Recevez sur vos fronts le sang du sacrifice !

Vous, dont le bras puissant est partout célébré,

Oh ! Puissiez-vous sauver la patrie en alarmes

Et rendre à leurs beaux jours la Gaule et ses enfants !

Et toi.....

 

 

                                       LES GUERRIERS

 

                D’où viennent donc ces lueurs incertaines ?

L’ennemi fond sur nous !... ô dieux ! des voix romaines !

Chevaux ! boucliers ronds !... heaumes étincelants !

Ce sont eux ! grand Ésus, leur légion s’élance,

Protège-nous !

                          Soudain, un choc affreux commence,

Une grêle de traits voile les combattants ;

Le druide oubliant de frapper la victime,

Tourne vers l’ennemi son bras désespéré ;

Barde, ovate, guerrier que sa voix sainte anime

Battront jusqu’à la mort sur ce terrain sacré.

Dards sifflants, cris confus, bouillant coursier qui tombe,

Glaive, armure en éclats, soldat blessé qui meurt :

Le cromlech disparaît sous la vaste hécatombe,

Dans le bruit d’une immense et sinistre clameur.

Le désespoir succède au valeureux courage,

Les Romains ont cerné le terrible Gaulois :

Sous leurs coups celui-ci sent redoubler sa rage,

Il s’avance, il recule, et s’élance vingt fois,

Et vingt fois abattu, vingt fois il se relève,

Sur les rangs ennemis comme un tigre il s’abat,

L’arc se brise en sa main, il agite le glaive

Et semble disputer la palme du combat.

Mais c’est en vain qu’il frappe, et sa troupe aguerrie

En vain porte partout le carnage et la mort,

Envahi par le flot des Romains en furie,

Débordé par le nombre et vaincu sous l’effort,

Il succombe !...

                          Un profond, un lugubre silence

A plané tout à coup sur le front des guerriers,

Les Gaulois sont tombés, mais non pas sans vengeance ;

Huit cents Romains, tombés sous leurs coups meurtriers !

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

 

Le jour point ! Des flambeaux la sombre flamme éteinte

Ne verse plus au loin ses sinistres clartés,

Le général paraît au milieu de l’enceinte,

Jette un ardent regard sur ces lieux dévastés.

Un orage terrible éclate dans son âme :

II n’est pas venu vaincre, il est venu venger !

Et rien ne s’offre à lui pour répondre à sa flamme !

Et son trésor demeure aux mains de l’étranger !

– La captive l’a vu : « Marcellus !... ô mon père !... »

Puis regardant le ciel : « Ô Dieu sauveur, merci !... »

Et déjà Marcellus gagnant la large pierre,

Avait brisé ses fers : « Quoi ! ma fille est ici,

Sur l’autel ? enchaînée ? ô sacrilège culte !

Ma fille allait tomber sous leur glaive inhumain !

Ils devront dans leur sang expier cette insulte...

Ah ! que n’ai-je frappé ton bourreau de ma main !

Ô Marcella, ta vue a calmé ma souffrance ;

En vain j’avais fouillé les plus sombres forêts,

Chaque jour emportait un rayon d’espérance

Et consumait mon âme en de mortels regrets ;

Je te retrouve enfin, fille de ma tendresse !... »

Et Marcella, perdue en doux embrassements,

Disait par ses soupirs son ineffable ivresse,

Quand Marcellus ainsi dévoila ses serments :

– « Ô Christ, j’avais juré d’embrasser ta loi sainte,

Si tu calmais les maux dont mon cœur se mourait,

Si je pouvais encor, dans une ardente étreinte,

Baiser ce front chéri que mon âme adorait :

Ton bras vient d’exaucer ma douleur suppliante,

Mon cœur à ton amour est à jamais acquis.

J’adore, ici, mon Dieu, ta main toute puissante,

Par un double miracle, oui, ton cœur m’a conquis.

Prends ta victime, ô Christ, commande, sois mon maître,

J’abjure les faux dieux ! Me voici, que veux-tu ? »

 

 

 

Abbé Hilaire FEIGE.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 

 

 

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