Le spectre au blanc manteau
À M. LOUIS ESTRABEAU, RECEVEUR DES DOUANES.
Sur les tombeaux du cimetière,
À l’heure où tout n’est que sommeil,
La lune en versant sa lumière
Brillait comme un pâle soleil...
On n’entendait dans la nature
Que le gémissement des flots ;
Au sein de la verte ramure
Sommeillaient les petits oiseaux :
Lorsque soudain je vis dans l’ombre
Surgir un spectre d’un tombeau ;
Son œil luisait d’un éclat sombre,
Il se drapait d’un blanc manteau.
Saisi d’une frayeur subite,
À la Vierge je fis un vœu ;
Et je fus me cacher bien vite
Dans la sainte maison de Dieu.
Minuit sonnait et de l’église
Le vieux clocher jetait dans l’air
Sa voix d’airain qu’au loin la brise
Portait de la plaine au désert ;
Quand tout-à-tout un cri sonore
Sortit de la nuit d’un tombeau….
À ce cri, j’en frémis encore,
Je vis danser le blanc manteau...
« Mécréants, qui dormez sous terre,
» Réveillez-vous, réveillez-vous ;
» La blanche lune vous éclaire,
» Pour vos os ses rayons sont doux !…
» Venez, et qu’une ronde immense
» Vous réunisse cette nuit,
» Dansons, que chacun en cadence,
» Bénisse l’heure de minuit. »
À cette voix qui les appelle,
Je vis s’agiter maint tombeau,
Et cent squelettes pêle-mêle
Danser autour du blanc manteau.
La chauve-souris, la chouette,
Abandonnant les vieux créneaux,
Vinrent assister à la fête
Des mécréants des noirs tombeaux !…
La sorcière quittant son bouge ;
Sur un manche à balai brûlé,
Plus rapide qu’un éclair rouge
S’élance !... et sous son front voilé
On voit son œil ridé qui brille
Comme les charbons d’un fourneau ;
En ricanant elle sautille
Devant le spectre au blanc manteau...
Je vis, dans ma frayeur extrême,
Je vis, dans ce sabbat sans nom,
Un danseur à la face blême,
Qui hurlait comme un vrai démon ;
Un frisson courut dans mon âme,
Car c’était le roi des enfers ;
Un livide dragon de flamme
Planait sur lui du haut des airs !....
C’était un bruit, un tintamarre
À briser le meilleur cerveau ;
C’était une danse bizarre
Digne du spectre au blanc manteau…
Les échos de l’église sainte
Répétaient le bruit de leurs pas ;
Alors que je tremblais de crainte
Tous ces morts riaient aux éclats !...
Leurs os faisaient un bruit étrange
Lorsqu’ils s’entrechoquaient entr’eux ;
Que n’avais-je des ailes d’ange
Pour m’enfuir d’un vol dans les cieux ?...
Je tremblais devant ce spectacle,
J’étais muet comme un tombeau :
J’entendais près du tabernacle
Le frôlement du blanc manteau !...
Las de cette danse infernale,
Je me signai dans le saint lieu,
Et sur l’autel où l’or s’étale,
Je pris la croix de notre Dieu :
Alors, sans crainte au cimetière
J’entrai tenant le Christ en main, –
– Le sabbat disparut sous terre
À l’aspect du Maître divin !...
Au souvenir de la défaite
Des noirs mécréants du tombeau,
La fièvre vient brûler ma tête,
Et je crois voir le blanc manteau.
J.-B. FITERRE,
Brigadier des douanes.
Paru dans La France littéraire,
artistique, scientifique en 1859.