Un lis brisé
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
C’était par une nuit sombre de février. Dans la petite ville paisiblement endormie veillait le fléau redoutable. Pareil à un monstre en quête d’une proie, il promenait çà et là ses yeux dévorants et se glissait traîtreusement dans les rues brumeuses !
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour pater son ciel !
Tout à coup il apparaît dans le parterre éclatant de la jeunesse et choisit une fleur qui dépassait toutes les autres en force, en éclat et en parfum, un beau lis qui s’agitait plein de confiance au vent froid du soir.
Et le monstre rampa jusqu’à la fleur charmante et superbe ; il fit passer sur elle son souffle ardent et impur.
Elle se brisa.
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
Le lendemain un voile funèbre, voile de deuil, couvrait la ville entière, et des poitrines humaines répétaient, comme de sympathiques échos, les sanglots qui déchiraient les cœurs que la chute du lis avait brisés. Et celle qu’on avait vue la veille traversant les rues et les places de son pas ferme et léger les traversait dans son cercueil blanc, et pas un œil ne restait sec sur son passage, car elle était bonne, elle était aimée, elle était belle.
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
Elle s’appelait Alix, et ceux qui l’ont connue savent avec quelle gracieuse dignité elle portait ce vieux nom. Elle était l’orgueil et l’amour de beaucoup, et elle jouissait sans vaine gloire des dons les plus charmants de Dieu. La loyauté de son caractère, la droiture et la fermeté de son esprit, l’exquise bonté de son cœur, se reflétaient sur son beau visage calme et pâle.
Qui ne se souvient encore de l’œil brun, brillant, limpide, si franchement ouvert sous d’admirables sourcils ! Qui ne se souvient de son doux et bienveillant sourire, de cette physionomie tour à tour grave, enjouée, tendre, réfléchie !
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
Bien peu la connaissaient. On ne pénétrait pas facilement dans cette âme délicate, facile à effaroucher, qui se fermait naturellement devant tout regard étranger, tant elle se défiait de l’inconnu. On n’arrivait pas vite jusqu’à son cœur ; mais comme elle aimait ses choisis, comme elle aimait bien autour d’elle, comme elle savait fidèlement aimer ! Son cœur détestait la perfidie, ses lèvres ignoraient le mensonge et la flatterie, elle avait l’amour des grands caractères et des grandes choses, elle avait l’amour saint de la vérité.
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
Aussi était-elle sincèrement, profondément aimée. Aimée par le monde, qui recherche la distinction et la beauté ; aimée par les petits, qui appréciaient sa justice et sa noble simplicité ; aimée par tous ceux qui l’avaient approchée de loin ou de près, car si elle était parfois sérieuse jusqu’à la tristesse, elle était, à ses heures, gaie jusqu’à l’abandon, et alors elle laissait deviner les trésors de raison, de sagesse, de tendresse que Dieu avait déposés en elle.
Et Dieu, qui lui avait donné d’être difficile en fait de bonheur humain, l’a prise jeune et aimée.
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
Elle est morte portant haut dans sa belle main le calice de la vie plein jusqu’aux bords ; elle est morte sans avoir vraiment souffert, sans avoir vraiment lutté ; elle est morte, et un concert de regrets, de bénédictions, de louanges vraies et méritées, s’est élevé autour de ce lis brisé ; elle est morte heureuse, bénie, pleurée ; ah ! bien pleurée ! pleurée par ceux qui ne la connaissaient pas, mais qui voyaient qu’elle était belle, qui sentaient qu’elle était bonne ; pleurée par ceux qui la connaissaient et qui avaient goûté le charme entier de son esprit, touché la délicate bonté de son cœur ; pleurée par ceux qui l’aimaient...
Ceux-là l’aimeront et la pleureront toujours.
– Ah ! comme on souffre et comme on pleure sur cette terre d’épreuves quand Dieu vient cueillir nos fleurs vivantes pour parer son ciel !
Zénaïde FLEURIOT.
Paru dans L’Écho de la France
en 1868.