La petite madone du hêtre
I
Lui était un charbonnier rude et fort ;
Elle était blonde, blanche, délicate,
Elle ne l’aimait pas, et lui fut accordée.
Elle pleura la dureté des siens et du sort,
Fidélité, humble amour ne surent la vaincre ;
Elle languit, puis s’éteignit.
Morne, il courait les montagnes. Le soir
Son bâton à la main, courbé sous son fardeau,
Rapide il descendait jusque dans la vallée
Vers la sombre chaumière où se trouvait
Une silhouette délicate, la tête
Blonde d’une enfant.
Ayant lavé d’abord dans l’eau son visage noir,
Déposé ses vêtements souillés, à peine osait-il
Embrasser sa petite fille et il la berçait
Sur ses genoux, heureux d’un sourire.
Il allait cherchant dans sa mémoire obscure
Les chants du berceau,
Écho lointain du temps heureux,
Et les vieilles légendes de rois cruels, de belles
Reines pieuses, de monstres, de damoiselles
Et de fées merveilleuses qui savent
Changer les haillons en pourpre et en joyaux,
Les masures en châteaux.
Telle, en climat rigide, dans une tiède
Maison de verre et de fer,
Croît une petite et triste image
Du palmier lointain de l’Orient ;
Telle grandissait l’enfant, image frêle
De la fatale beauté
Maternelle. Elle étonnait parfois
Les gens par ses mots insolites ;
Parfois, négligeant les jouets
Pour une nouvelle robe aux belles couleurs,
Comme une grande dame se dérobe au vulgaire,
Elle s’asseyait muette et seule.
Et voici qu’elle sembla se flétrir, blessée
Par un souffle funeste, peu à peu.
Elle languissait le jour, la nuit faiblement
Elle pleurait, appelant son père à l’aide.
Il n’avait en lui ni larmes ni prières,
Mais une foi profonde et ardente
En la Reine de la douleur, Marie.
Il renonça un jour à la logique humaine,
Arracha du berceau sa fille chérie, renversa
Les remèdes vains ; par un chemin pierreux,
La tenant dans ses bras, le front découvert,
Il se jeta avide dans la montagne.
II
À l’endroit où, montant de l’étroite vallée,
Le sentier, au sommet du Boglia, arrive
Libre entre le ciel et l’étendue des prés,
Tel une géante sentinelle, un hêtre solitaire
Étendait ses larges rameaux sur la pente
Effrayante. Une antique Madone
Insérée dans le tronc, de là voyait
Les villages en bas à travers la vallée
Et, au fond, le lac vert.
Devant Elle
Il se dressa soudain, épuisé, haletant ;
« La voici » dit-il.
De ses mains attentives
Il déposa dans l’herbe la petite fille
Et tout droit se leva. « Veux-tu donc encore celle-ci ?
Vierge clémente, prends-la si tu peux ! »
La voix s’éteignit dans l’immense paix
Des cimes. Un léger souffle fugace
Lui murmura « Silence » doucement,
Comme si, derrière lui, le Tout-Puissant
Passait sur les fronts recueillis
De cette foule muette de monts.
La fillette gémit de peur ;
Et lui sentit sa colère et sa parole dure
Se briser en un bruit soudain de pleurs.
Et s’agenouillant tout près de son enfant :
– Joins les mains, ma petite fille,
Et prie toi-même la Vierge Marie. –
Pensive un instant, elle fixa son regard
Sur la petite image et sourit :
– Ave, Maria.
Si tu es fée,
Je voudrais avoir de Toi
Un grand château d’argent
Comme une étoile,
Et m’entendre saluer à tout moment :
Reine belle. –
– Non, ne prie pas ainsi, ma petite fille,
N’appelle pas fée notre divine Mère. –
Elle, changeant de voix et de visage
Pria la Dame du paradis :
– Ave, Maria.
Si tu es mère,
Enlève mes haillons
Et achète-moi une robe
De soie et d’or.
Donne-moi les étoiles qui entourent ta tête,
Madone ou je meurs. –
– Non, ne prie pas ainsi, ma douce enfant,
Ne demande pas de l’or à cette Madone
Qui est celle des pauvres gens.
C’est à moi de te vêtir, triste gueux ;
Même en travaillant au soleil et à la lune,
Je ne t’achèterai pas une robe de soie. –
Elle baissa son gracieux visage
Et dit doucement, toute en larmes :
– Ave, Maria.
Je voudrais ma maman. –
Elle n’ouvrit plus les lèvres, et comme au soir
Se décolore un nuage léger,
Le délicat visage devint tout blanc.
Le petit corps las sembla se dénouer
Entre les bras du père ; et lui, comprenant
Que mère et enfant étaient réunies, il se prosterna
Et pour sa petite fille, humblement,
Il rendit grâces à la Vierge puissante.
Antonio FOGAZZARO,
Poésies, 1937.
Traduit de l’italien par
Lucienne Portier.