Regina
I
Il était sur le lac bleu
Une maisonnette
Entourée de figuiers, d’oliviers et de vignes,
Enveloppée de lierre étroitement
Jusqu’aux balcons fleuris.
Se balançait au pied
De la maisonnette,
Toute propre et nette
Du timon à la proue, une barque
Crevassée par le soleil et l’eau.
Et, solitaire, vivait
Dans la maisonnette
Une pauvre batelière :
Visage las, mise négligée,
Parole timide.
Au matin elles partaient,
Barque et batelière,
Par temps calme ou tempête.
Dans l’asile caché barque et batelière
Revenaient tard le soir.
II
Le long des rives enténébrées la barque
Passe dans la morsure et le mugissement des flots.
Un voyageur se tient à la proue ;
Son vêtement et sa voix sont d’un étranger.
– Moi aussi j’ai vécu sur l’eau et parmi les vents. –
Il saisit deux rames de ses mains puissantes ;
Contre l’eau noire qui en vain l’assaille
La barque s’élance et franchit les vagues.
– Femme, voit-on ta maisonnette ?
Là certainement un ami t’attend,
Il prépare pour toi un doux réconfort,
Il place une lumière sur ton balcon. –
– C’est moi qui attends mon époux ;
Depuis quinze ans il a passé la mer.
Le toit, la table frugale et moi
Nous sommes prêts toujours pour son retour. –
Elle parle d’une voix brisée,
Et lui a peine à soutenir les rames.
– Dis-moi : une fille toute jeune
Ô batelière, t’attend peut-être ? –
– Certes une fille toute jeune
Pour moi soupire ; elle m’attend,
Mais non sur le seuil, non sur le balcon.
Elle prépare pour moi un doux réconfort ;
Quand, pour mon dernier sommeil, j’aurai fermé les yeux
Alors, je m’éveillerai dans son sourire. –
Elle parle d’une voix brisée,
Et lui a peine à soutenir les rames.
– Est-ce ta maison que je vois à la proue ? –
– Vous ne la voyez pas encore étranger ;
Ce sont des éboulis de pierres blanches. –
– Non pas un éboulis de pierres blanches,
Ô batelière, mais une maisonnette
Enveloppée de lierre étroitement. –
– C’est un rocher peut-être ou un arbre. –
– Ce n’est pas un rocher ni un arbre ;
Je vois la darse, le jardin, les vignes,
Les deux balcons fleuris sur le lac.
Je vois, de la montagne, sur le vieux toit,
Se pencher l’olivier, se pencher le figuier.
Je vois le berceau de notre fille,
Je vois notre lit, Regina. –
Les rames tombent, la barque s’arrête.
III
Que regardes-tu dans la maison, lune naissante ?
À genoux près du berceau,
L’homme sans un mot y appuie son front.
Regina murmure : « J’ai tout tenté,
J’ai tant prié la Sainte Vierge ;
Pourquoi pleurer si elle est en Paradis ? »
L’autre ne peut s’éloigner du berceau ;
Elle le console et pleure et rit.
Antonio FOGAZZARO,
Poésies, 1937.
Traduit de l’italien par
Lucienne Portier.