La prière des petits enfants

 

LÉGENDE

 

 

Un pauvre bûcheron qui toute une semaine

N’avait pu travailler, malade qu’il était,

Sur son triste grabat un soir se lamentait.

Quel avantage a-t-il de mourir à la peine ?

Là, près de lui, sa femme et ses enfants sans pain,

De peur de l’affliger, dissimulent leur faim.

Sur quoi peut-il compter ? L’hiver glace la terre,

Sa cabane, cachée en un bois solitaire,

Elle est presque inconnue au reste du pays,

Personne ne viendra : pauvre, il n’a pas d’amis,

Et, sans un coup du ciel, la mort impitoyable

Finira de la faim la torture effroyable.

Et la mère disait à deux petits enfants,

Deux jolis chérubins, le bonheur de son âme :

« Allez dormir, enfants, l’âtre n’a plus de flamme ;

Il fait froid, sous la neige ont disparu les champs,

Dans les arbres, le vent souffle avec violence,

Au lit, vous aurez chaud, allez, mais en silence ;

Votre père est souffrant ; par de trop grands efforts,

En travaillant pour vous, il a brisé son corps.

Vous avez faim ? dormez. Le sommeil, d’ordinaire,

Trompe la faim. Dormez, mais que votre prière,

Avant tout, à Jésus demande son appui ;

La prière innocente arrive jusqu’à lui.

Dites du fond du cœur : « Jésus, notre espérance,

Toi qui fus comme nous sur la terre un enfant,

Petit Jésus si bon et que nous aimons tant,

Veille sur notre père et guéris sa souffrance. »

Aussitôt les enfants, qui tombent à genoux,

Se mettent à prier comme le dit leur mère,

Mêlant avec ferveur son nom à la prière,

Puis, joignant au bonsoir les baisers les plus doux,

Ils s’en vont se coucher sans faire aucune plainte,

Sans pleurer de la faim, dont la cruelle atteinte

Les a violemment tout le jour torturés,

Et, pour vaincre le froid, ils se tiennent serrés.

Comme ils sentaient déjà la chaleur se répandre,

Qu’en redisant tout bas leur prière à Jésus,

Les douleurs de la faim ne les tourmentaient plus,

Que le sommeil venait sur leurs yeux de descendre,

Et que la bonne mère, en les voyant dormir,

Remerciait le ciel dans sa reconnaissance,

Oubliant un instant qu’au jour son indigence

La reverrait pour eux et pleurer et frémir,

On frappe. Elle ouvre vite. Un enfant se présente,

Il a huit ans peut-être, il est pâle et souffrant,

Et demande un abri d’une voix suppliante.

Il montre ses habits, ses pieds nus en pleurant.

Ses habits en lambeaux ne le sauraient défendre

Contre le froid mortel d’un rigoureux hiver,

Ses pieds sont tout en sang. Dans un âge aussi tendre,

N’est-il personne à qui cet enfant-là soit cher ?

Il est joli pourtant. Les traits de son visage,

Que voilent à demi ses blonds cheveux épars,

Respirent la douceur, et ses tristes regards

Ont la timidité, la candeur de son âge.

Va-t-on le recueillir ou l’envoyer au loin

Réclamer le secours dont il a tant besoin ?

Va-t-on savoir pourquoi, seul, par la nuit obscure,

Il ose s’exposer aux vents, à la froidure,

Et, d’un ton courroucé, qui fait trembler de peur,

Par de mauvais soupçons accroître son malheur ?

Non, non, la charité ne voit que la souffrance !

Jamais sur le calcul réglant sa bienfaisance,

Elle ne va chercher si les infortunés

Méritent les secours au nom du ciel donnés ;

Dans sa mission sainte elle nomme ses frères,

Tous ceux que dans ce monde accablent les misères.

La pauvre mère ainsi comprend la charité,

Et ses enfants, près d’elle accourus tout de suite,

Embrassent l’étranger, et veulent que, bien vite,

Il prenne à lui tout seul le lit qu’ils ont quitté.

– Oh ! que tu dois souffrir, les pieds nus dans la neige !

Entre, lui disent-ils, notre lit est bien chaud.

Couche-toi. Ce banc-là c’est tout ce qu’il nous faut.

Que Jésus cette nuit encore nous protège,

Et nous allons dormir peut-être mieux que toi. –

Le sommeil, en effet, récompensa leur foi :

Un rêve, le plus beau qu’on puisse jamais faire,

D’un espoir enchanteur vint enivrer leurs sens.

Dans la pauvre cabane une vive lumière

Lançait, comme un soleil, des feux resplendissants.

Au milieu de ces feux, ils peuvent reconnaître

Ce même enfant qui là, tout à l’heure, souffrait,

Et pour qui leur bon cœur à la pitié s’ouvrait ;

Mais un miracle alors a changé tout son être.

Ce n’est plus cet enfant en proie à la douleur,

Dont les traits délicats ont d’un mort la pâleur,

Aux habits déchirés, aux yeux baignés de larmes ;

Radieux comme un ange, il en a tous les charmes ;

Son regard est divin, son air majestueux,

Il est vêtu de blanc et, sur ses blonds cheveux,

D’une couronne d’or le reflet étincelle,

Et voici ce qu’il dit aux enfants qu’il appelle :

« Je suis Jésus. C’est moi qui vers vous suis venu.

« Malheureux, désolé, tout sanglant, presque nu.

« Vous m’avez accueilli, comme on accueille un frère :

« Je veux vous protéger désormais sur la terre ;

« Vos vœux sont exaucés, tous vos maux sont finis.

« Dormez en paix, dormez, enfants, je vous bénis ! »

Puis cette vision se perd dans un nuage,

Où des sillons brillants attestent son passage.

Et puis tout disparaît. À peine réveillés

Les enfants, de leur rêve encore émerveillés,

Se lèvent curieux, courent au lit : personne.

Leur mère vient chercher avec eux et s’étonne.

Le petit étranger n’a pu sortir sans bruit...

Rien pourtant n’a troublé le calme de la nuit.

Son mari, seul, à l’aube est parti pour la ville,

Ne souffrant presque plus et, sans savoir pourquoi,

Sur le produit du jour confiant et tranquille.

Le rêve merveilleux la met tout en émoi :

L’enfant qu’elle a reçu, qui vient de disparaître,

Les tourments de la faim qu’elle ne ressent plus,

Et son mari sauvé, tout cela ne peut être

Qu’une faveur céleste, une œuvre de Jésus.

Elle croit, elle prie, et sa reconnaissance,

Aux accents de la foi, joint ceux de l’espérance.

En ce moment, au loin retentit un refrain,

Celui du bûcheron, lorsque sa joie éclate ;

C’est bien lui, le voici qui revient à la hâte,

Le visage content, les bras chargés de pain.

Plus de chagrins, de pleurs ! Il a repris courage,

Il a reçu l’argent d’un salaire ajourné,

Et se sent assez fort pour se mettre à l’ouvrage.

Mais du rêve, à son tour, comme il est étonné !

Ce rêve aux deux enfants offrant la même image,

Il en veut plusieurs fois entendre le récit.

Toujours mêmes détails, toujours même langage.

Un sentiment pieux à la fin le saisit ;

Lui, dont, jusqu’à présent, la nature grossière,

Avait pour le Très-Haut brûlé bien peu d’encens,

Il fait comme sa femme et ses petits enfants :

À genoux, il répète une ardente prière.

On eût pu dire alors que la faveur du ciel

Faisait tomber pour eux la manne d’Israël.

La santé, le travail, ses premières richesses,

Réalisent d’abord du rêve les promesses,

Puis, un jour qu’il était dans le bois à creuser

Pour arracher au sol un chêne séculaire,

Le bûcheron voyant son outil se briser,

Veut en savoir la cause, et tire de la terre,

Un grand coffre aussi vieux que le chêne, et plein d’or :

Pour combler son bonheur, il trouvait un trésor.

 

 

 

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À Nuremberg encore on a cette légende.

La grand’mère la dit à ses petits enfants,

En ajoutant toujours : « Pour que Dieu vous entende,

« Priez bien, mes chéris, aimez bien vos parents ;

« Envers les malheureux, soyez bons, charitables,

« Et le petit Jésus viendra vous voir un jour ;

« Il puisera pour vous aux trésors ineffables

« Des dons si précieux de son divin amour. »

 

 

 

P.-B. FOURNIER.

 

Paru dans La Muse des familles en 1858.

 

 

 

 

 

 

 

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